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Arabie Saoudite : cette terrible lutte de pouvoir entre la famille royale et les technocrates qui menace l’économie mondiale
©Reuters

Déraison

La position de l'imprévisible vice-prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane sur la politique énergétique du royaume est davantage écoutée que celle du ministre du Pétrole. Le refus de l'Arabie Saoudite de conclure un accord à Doha pour un gel de la production de pétrole le week-end dernier en est l'illustration. Ce manque de pragmatisme menace d'empêcher un redressement du cours des hydrocarbures.

Francis Perrin

Francis Perrin

Francis Perrin est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (PCNS, Rabat).

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Atlantico : La politique énergétique saoudienne semble faire l’objet d’une lutte interne opposant les technocrates du ministère du Pétrole (et son ministre Ali al Naimi) au ministre de la Défense et vice-prince héritier, Mohammed ben Salmane. Ce dernier a été qualifié par le Financial Times de "nouvelle voix imprévisible de la politique énergétique du Royaume". Sur quoi repose cet affrontement ? Quel impact a-t-il sur la politique énergétique du royaume ? 

Francis Perrin : Il y a incontestablement des divergences et des tensions même s'il ne faut pas les réduire à un affrontement entre le ministre du Pétrole et le ministre de la Défense. Mais il y a clairement un durcissement saoudien sur le plan pétrolier qui repose sur la crainte de voir l'Iran monter en puissance dans ce secteur et il est exact que le ministre de la Défense, vice-prince héritier et fils du roi (ce n'est pas rien), incarne ce durcissement qui est particulièrement visible dans l'intervention armée au Yémen. Cela dit, si sa position hostile à un gel de la production du royaume si l'Iran ne fait pas de même l'a emporté, c'est aussi parce qu'il n'est pas le seul au sein du régime à penser qu'il ne faut faire aucun "cadeau" à l'Iran et qu'il faut répondre coup pour coup.

La crainte de l'Arabie Saoudite, c'est que, si l'Iran augmente sa production - ce qu'il a commencé à faire -, il pourra exporter plus de pétrole, donc augmenter ses revenus pétroliers et devenir encore plus dangereux qu'actuellement. Cela a conduit au blocage le 17 avril à Doha alors que la seule position réaliste sur le plan pétrolier est de chercher à conclure un accord entre producteurs en laissant de côté l'Iran et la Libye.

Le revirement de l'Arabie Saoudite à Doha souligne la plus grande politisation de la politique pétrolière du royaume, ce qui introduit effectivement un nouvel élément d'incertitude sur le marché pétrolier mondial qui n'en avait pas vraiment besoin. C'est un tournant important. La politique pétrolière saoudienne, qui était de longue date très prévisible et très professionnelle, devient plus difficile à déchiffrer.

Dans la perspective de la rencontre de Doha, l’Arabie Saoudite semblait prête à revoir sa position et à geler sa production de pétrole afin de stabiliser les cours mondiaux. Le samedi la délégation saoudienne se montrait conciliante et affichait sa volonté de conclure un accord, mais le dimanche Mohammed ben Salmane conditionnait finalement le gel de la production à la présence de l’Iran, qui a refusé. Comment expliquer ce retournement de situation en à peine 24 heures ? Mohammed ben Salmane a-t-il décidé seul de ce changement de ligne ?

Il est exact que l'Arabie Saoudite était prête à conclure un accord à Doha. N'oublions pas qu'à la mi-février ce pays ainsi que la Russie, le Venezuela et le Qatar avaient accepté à Doha (déjà !) de geler leur production en 2016 et qu'il n'était alors pas question de demander à l'Iran de se rallier à cette décision. Il y a eu un tournant à 180 degrés juste avant le 17 avril et cela illustre à quel point les dirigeants saoudiens sont obsédés par l'Iran et inquiets des conséquences de la levée partielle des sanctions contre ce pays en janvier 2016 ainsi que de l'attitude de l'administration Obama jugée beaucoup trop conciliante envers Téhéran.

Mohammed ben Salmane n'a pas pris seul cette décision mais ce revirement illustre à la fois sa vision, son influence, son pouvoir de conviction et ses ambitions. Il a par ailleurs dans ses diverses fonctions des responsabilités particulières en termes de politique pétrolière.

En quoi l’absence d’une politique énergétique saoudienne cohérente et pragmatique constitue-t-elle une menace pour l’économie mondiale et le redressement du prix du pétrole ? Pourquoi l’Arabie Saoudite continue-t-elle sur cette voie alors même que la baisse des cours pénalise son économie et ses finances ? (avec notamment une baisse de 23% des revenus saoudiens en un an et une dégradation de la note de sa dette). 

Cette absence de pragmatisme - je ne dirai pas forcément manque de cohérence - est un motif supplémentaire d'incertitude sur le marché pétrolier et c'est clairement, dans le contexte actuel, un facteur baissier. Cette attitude va rendre très difficile, voire impossible, la conclusion d'un accord entre producteurs. Le 2 juin, l'OPEP aura sa prochaine Conférence ministérielle à Vienne mais on voit mal comment cette organisation pourrait décider quoi que ce soit puisque l'Arabie Saoudite et l'Iran sont deux États membres clés.

Depuis la fin 2014, l'Arabie Saoudite disait : nous ne baisserons pas notre production si des pays non-OPEP ne se joignent pas à ce mouvement. À présent, on ajoute une condition liée à l'Iran alors que tout le monde sait que Téhéran ne peut absolument pas accepter de geler sa production qui a baissé dans les dernières années du fait des sanctions.

L'Arabie Saoudite sait qu'elle a des réserves financières qui lui permettent de tenir plus longtemps que d'autres pays producteurs et elle veut faire monter la pression sur l'Iran. Cela dit, les prix du pétrole devraient remonter quelque peu à l'avenir car la demande pétrolière mondiale va augmenter en 2016 alors que la production non-OPEP va baisser cette année en raison de la chute des prix. Le marché est en train de se rééquilibrer progressivement.

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