11,1 milliards de dollars pour le box-office américain en 2015 : et si le "soft power" hollywoodien était pourtant en passe de s’incliner devant la puissance du cinéma chinois ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
11,1 milliards de dollars pour le box-office américain en 2015 : et si le "soft power" hollywoodien était pourtant en passe de s’incliner devant la puissance du cinéma chinois ?
©

Record en trompe-l’oeil

Alors que les recettes mondiales du cinéma ont été dévoilés ce mardi 12 avril par les propriétaires de salle américains, le président de la MPAA, Chris Dodd, a déclaré que la Chine serait bientôt le premier marché mondial du film. Les productions chinoises, dont le nombre et la qualité augmentent, rencontrent de plus en plus de succès. Pour autant, le soft power de la Chine est encore loin de dépasser celui des Etats-Unis.

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

Voir la bio »

Atlantico : Les salles de cinéma du monde entier ont enregistré des recettes record l'an dernier, à 38,3 milliards de dollars (selon les chiffres dévoilés par les propriétaires américains de salles). Dans quelle mesure la Chine contribue-t-elle aux bons résultats enregistrés ?

Barthélémy Courmont : Le développement du cinéma est très rapide en Chine (près de 50% en 2015, du jamais vu), comme d'ailleurs dans d'autres pays émergents, essentiellement en Asie et en Amérique latine. Mais la population chinoise pèse tout naturellement de manière de plus en plus forte dans les résultats à échelle mondiale. Et l'appétit du public chinois pour les blockbusters, qui y rencontrent généralement un immense succès, n'est pas étranger à de tels chiffres.

Chris Dodd, ancien sénateur et président de la Motion Picture Association of America (MPAA), a déclaré que la Chine éclipserait l’Amérique du Nord, pour devenir le plus grand marché du film mondial dans les prochaines années. Auprès de quels publics les films chinois ont-ils le plus de succès ?

C'est certainement vrai, mais il s'agit là de données purement quantitatives, qui s'appuient sur l'importance de la population chinoise (quatre fois supérieure à celle des Etats-Unis), l'émergence d'une classe moyenne, et l'apparition d'une société de loisirs en Chine. En ce sens, Chris Dodd ne fait que reprendre les études généralement fournies sur la consommation en Chine et sa croissance. La vraie question est de savoir si le cinéma chinois pourrait un jour éclipser le cinéma américain, comme conséquence directe de ce rapport de force quantitatif. Ainsi, quel type de cinéma les Chinois affectionnent-ils ? Si on note un vif succès des blockbusters hollywoodiens, il est incontestable que le cinéma chinois est en très forte progression et rencontre un écho très fort à l'intérieur de la Chine. Il faut y voir des raisons linguistiques bien sûr, mais aussi culturelles. Après tout, le monde tel qu'il est présenté dans le cinéma hollywoodien a beau être "mondial", il n'est pas nécessairement "chinois". Parce qu'ils sont de plus en plus nombreux, d'une qualité en progression, et adaptés au public chinois de tous âges, les films chinois ont un bel avenir sur le marché intérieur.

Selon le directeur général de l'Association américaine des propriétaires de salles (NATO), John Fithian, la diversité est l’un des principaux défis du cinéma américain. Il estime que comme l'a montré le film Fast and Furious 7 (cinquième meilleure recette aux Etats-Unis l'an dernier et qui a récolté 1,5 milliard de dollars dans le monde entier), "plus le casting d’un film ressemble au monde, plus le monde va au cinéma". Après la polémique des Oscars "trop blancs", les Etats-Unis semblent aborder une question culturelle sous un prisme essentiellement économique : une telle approche peut-elle s'avérer suffisante pour faire face à la concurrence des productions chinoises ? 

Les propos de Fithian sont tout à fait discutables. Le problème avec les responsables de la NATO est qu'ils raisonnent quasi exclusivement en termes de chiffres. Ce n'est pas tant parce qu'un film "incarne" une certaine idée du monde qu'il bat des records de recettes. Regardez Titanic : difficile de faire plus "occidental" dans l'histoire et le casting, et pourtant, succès planétaire. Soyons lucides, les spectateurs de Fast and Furious 7 n'allaient pas voir la diversité du monde (discutable par ailleurs) mais des voitures rutilantes, des muscles et des jolies filles ! Bref, la recette du blockbuster, rien de plus. A ce titre, le public chinois ne fait pas exception. Cela dit, la question des quotas dans le cinéma américain, analysée sous un prisme purement économique et commercial, est une question intéressante, bien que problématique. Quid de l'universalité du cinéma américain au-delà de ces quotas ethniques ? Et quid de la portée réelle de ce phénomène, qui reste impossible à démontrer ? En revanche, il est certain que le succès du cinéma chinois en Chine s'explique en grande partie par la proximité culturelle, qu'on ne retrouve pas nécessairement dans le cinéma américain (en dépit d'un casting rassemblant des acteurs asiatiques...). C'est donc plutôt dans l'identification du public à des personnages et des situations que le cinéma chinois pourrait progresser, tandis que Hollywood serait progressivement cantonné à un rôle de faiseur de blockbusters autour de superhéros ou de personnages de légende.

Si les films chinois seront bientôt les plus nombreux, ils restent soumis à une forte censure en interne. Est-ce un frein à leur internationalisation, notamment en Occident ?

Pas nécessairement. Prenez pour exemple les films de Zhang Yimou, très proche du pouvoir et offrant une certaine image de la Chine, et qui rencontrent un immense succès dans le monde occidental. L'esthétique du cinéma chinois, associé à des moyens considérables, permet une progression constante à l'international. Par ailleurs, il faut associer au cinéma "chinois" les productions de Taiwan ou de Hong Kong, qui ne sont pas soumises à la censure, et connaissent un très grand succès international. 

En dépit d’une certaine imperméabilité, l’intérêt du public occidental pour les films chinois est grandissant. Pourquoi selon vous ? Peut-on y voir le signe que la stratégie chinoise de soft power est en train de porter ses fruits ? Si le le soft power de la Chine va au-delà des seuls "pays en développement", pourrait-il à terme dépasser celui des Etats-Unis ?  

Le monde entier a une curiosité et une connaissance de plus en plus importantes à l'égard de la Chine, qui fait désormais partie de notre "décor". C'est pourquoi les productions culturelles chinoises en tout genre sont désormais plus "exportables", en particulier la culture populaire dont le cinéma est l'un des porte-flambeaux. Ajoutons à cela la qualité de certaines productions, le nombre grandissant de films et le fait que les acteurs chinois sont de plus en plus "connus".

Quant à savoir si le soft power chinois pourrait dépasser celui des Etats-Unis : pourquoi pas ? A condition toutefois de revoir la définition du concept de Joseph Nye, qui a été totalement reconstruit en Chine, et accorde une importance considérable aux implications des pouvoirs publics pour servir une stratégie globale, ce qui n'est pas par essence (mais l'est en revanche à plusieurs égards dans la pratique) aux Etats-Unis. A condition aussi que l'image de la Chine soit mieux acceptée, notamment dans les pays occidentaux où elle fait encore défaut. Nous verrons bien comment la Chine parvient, ou échoue, à modifier cette image.

Propos recueillis par Emilia Capitaine

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Rencontre avec la papesse du soft power chinoisDe la Corée du Nord au Pakistan, quand le soft power d’Hollywood ne rentre plus comme dans du beurreOscars "trop blancs" : derrière la polémique sur le racisme, la réalité pas moins inquiétante de la ségrégation de fait des modes de consommation culturelle aux Etats-Unis

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !