Pourquoi la dénonciation acharnée de l’islam réac' pourrait singulièrement compliquer la tâche de Manuel Valls dans son projet de recomposition de la gauche au centre<!-- --> | Atlantico.fr
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Manuel Valls s'attaque au port du voile.
Manuel Valls s'attaque au port du voile.
©Reuters

Centre et menton font-ils bon ménage ?

Le Premier ministre a affirmé, lundi 4 avril, qu'il privilégiait la bataille identitaire à toute autre, s'attaquant violemment au port du voile. François Bayrou a marqué son opposition. Les rêves de recomposition politique de Manuel Valls pourraient être en train de prendre l'eau.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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"Bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire"… Lundi soir, au théâtre Déjazet, alors qu'il concluait une journée de débat pour un "sursaut républicain contre la montée de l’islamisme radical", le Premier ministre a relancé la polémique qui couve, à gauche, depuis les attentats du 11 janvier. Ce débat qui tiraille la majorité depuis des mois, la crispe et la menace de division.

La bataille a été lancée par Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat chargé des relations avec le Parlement et bras armé de Manuel Valls, en juin 2015. Dans une tribune publiée dans le journal Le Point, il explique : "pour la première fois depuis cinquante ans, la question sociale n'est plus l'élément moteur de la structuration du débat politique en France. Non que la question sociale ait été résolue ou qu'elle ne soit plus légitime, puisque les inégalités se sont aggravées ces dernières années. Elle reste un marqueur essentiel de différenciation politique. Mais, face aux principaux défis de la mondialisation, ce n'est, pour moi, rien de moins que notre modèle de civilisation qui est désormais en jeu. Et cela, sous la forme d'une interrogation centrale, non sur notre identité nationale, mais sur notre communauté de destin, et notamment certains de ses éléments les plus essentiels : notre République, notre appartenance à une unité européenne, la laïcité, les droits de l'homme, le statut des femmes, etc".

Si la tribune du ministre passe inaperçue du grand public, au PS elle fait trembler les murs. La bataille est engagée. Benoit Hamon réagit alors sur Atlantico: "Je ne crois pas la question sociale soit devenue secondaire". Mais la gauche vallsienne continue de creuser son sillon. Ecartant de façon opportune la question sociale dont il sait qu'elle sera un caillou dans la chaussure du futur candidat de gauche, la preuve de son échec, Manuel Valls lui substitue la question culturelle. Les inégalités ont continué de progresser depuis 2012 ? Il répond laïcité. Le chômage et l'exclusion gangrènent toujours un peu plus le pays ? Il répond qu'il faut transcender la République. Et de s'offusquer lorsqu'Emmanuel Macron affirme, quelques jours après les attentats de novembre, "Nous sommes une société dont au cœur du pacte il y a l’égalité. Nous avons progressivement abîmé cet élitisme ouvert républicain qui permettait à chacune et chacun de progresser. Nous avons arrêté la mobilité" et le ministre de l'Economie d'ajouter: "Les injustices, les discriminations et surtout l'échec de la mobilité sociale. Nous sommes dans une société toujours endogame où les élites se ressemblent de plus en plus et ferment la porte. Lorsqu'on étouffe la société, on nourrit l'amertume, l'exclusion et, au bout du compte, la folie totalitaire. Notre premier devoir, ce n'est donc pas seulement de prendre des mesures sécuritaires, mais d'ouvrir la société, sinon elle ne tiendra pas." La réponse de Manuel Valls ne se fait pas attendre: "aucune excuse sociale, sociologique et culturelle ne doit être cherchée". Macron mouché, le débat sur la déchéance de nationalité et la constitutionnalisation de l'Etat d'urgence peut servir de garde-fou préservant la gauche de toute nouvelle tentative d'aborder à nouveau la question sociale. Il s'agit bien sûr de ne pas pointer les échecs du quinquennat. Mais peut-être Manuel Valls partage-t-il aussi avec Patrick Buisson cette conviction que l'on ne gagne pas une élection sur les questions économiques et sociales mais sur les questions culturelles ou identitaires.

Pourtant un écueil se dresse déjà sur sa route car si cette médiatisation de la question identitaire lui permet de masquer ses échecs et de galvaniser l'électorat, elle pourrait, en revanche, lui aliéner le centre dont il entend se rapprocher. L'échange entre le locataire de Matignon et le président du Modem autour de l'appel au boycott des enseignes qui "surfent" sur la mode islamique en est une illustration. Hier, à l'Assemblée Nationale, le Premier ministre a expliqué: "il y a un moment où nous devons dire : 'Assez !' On ne peut pas accepter que, dans nos sociétés, on veuille effacer la femme de l'espace public, lui nier son identité quelle que soit la forme". La veille François Bayrou affirmait sur RMC et BFM:  "Il y a des moments où j’ai l’impression qu'en Occident, nous ne regardons que nous-mêmes. Il y a des centaines de millions de femmes dans le monde qui vivent selon les coutumes qu’on appelle l'islam, ou islamique - je ne sais pas si les deux mots on le même sens. Elles vivent comme ça dans leurs sociétés à elles. Eh bien, que la mode s’y intéresse, comment voulez-vous que ça ne soit pas le cas ? Du fait que la mode s’y intéresse, peut-être y a-t-il une ouverture, une autre manière de voir les choses ? Quelque chose qui n’est plus seulement dans l’enfermement ?".

Si entre Manuels Valls et François Bayrou il n'y a à peine une feuille de papier à cigarette sur les questions économiques, il n'en est pas de même notamment sur les questions de laïcité. Entre la gauche, mère de la loi de 1905, et le centre issu de la démocratie chrétienne, le rapport au fait religieux est, en effet, bien différent. Ainsi, François Bayrou a du grincer des dents en entendant, hier, les propositions de Najat Vallaud Belkacem qui a annoncé que le ministère de l’éducation nationale envisageait de changer le système d’ouverture des établissements scolaires "hors contrat", pour passer d’une simple déclaration à une autorisation. Elle vise bien sur les écoles musulmanes mais les écoles catholiques seront concernées par effet collatéral. De quoi agacer l'ancien ministre de l'Education qui, lorsqu'il était aux affaires, a voulu permettre aux collectivités territoriales de subventionner les établissements privés au-delà du seuil des 10 % prévu par la loi Falloux.

Voile, école… Le centre n'a jamais, non plus, été enclin à donner la priorité aux questions culturelles et identitaires par rapports aux questions économiques et sociales. Si Manuels Valls peut, par ses propos, remporter une véritable adhésion dans l'opinion, il risque donc d'avoir plus de mal à convaincre les appareils. Au risque de briser ses rêves de recomposition politique ?

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