Pourquoi Vladimir Poutine considère que la mission des forces russes en Syrie est "globalement accomplie" alors que l’Etat islamique est toujours là et bien là<!-- --> | Atlantico.fr
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Une cérémonie a eu lieu pour accueillir des soldes russes de retour de Syrie.
Une cérémonie a eu lieu pour accueillir des soldes russes de retour de Syrie.
©Reuters

Entre les lignes

Le retrait de l'aviation russe de la Syrie confirme que l'objectif principal de la Russie n'était pas de vaincre l'Etat islamique mais de consolider le régime dans l'Ouest de la Syrie. Moscou a réussi à faire valoir ses intérêts : le régime syrien est (pour l'instant) sauvé et l'issue politique au conflit syrien qui se profile, à savoir la partition du pays, lui est favorable.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : La Russie a décidé de se retirer de la Syrie au motif que ses objectifs ont été atteints. En quoi son retrait est-il révélateur des priorités de sa stratégie en Syrie (que nul n'ignorait : appuyer les troupes gouvernementales davantage que lutter contre l'EI) mais aussi d'une inflexion de cette dernière notamment en ce qui concerne le soutien à Bachar el-Assad ? 

Alain Rodier : A n'en pas douter, le président Vladimir Poutine a peu apprécié les déclarations de Bachar el-Assad affirmant qu'il souhaitait reconquérir tout le territoire syrien. Il est vraisemblable que ce désaccord à également dû porter sur d'autres griefs que l'Histoire dévoilera peut-être un jour. Au fond, la Syrie n'est qu'une partie du "grand jeu" qu'adopte Moscou en matière de politique étrangère. Dans un premier temps, il a semblé indispensable de sauver le régime syrien qui, à l'été 2015, était directement menacé par les rebelles du Front Al-Nosra, le bras armé d'Al-Qaida en Syrie. Il est vrai que Daech n'était qu'un objectif secondaire car alors assez peu au contact des forces légalistes syriennes. Cela n'a plus été le cas après l'attentat dirigé contre l'Airbus russe de Charm-el-Cheikh et surtout, les forces du Groupe Etat Islamique (GEI) ont été visées par l'armée régulière appuyée par l'aviation russe dans les régions d'Alep, de Palmyre et des monts Qalamoun. L'objectif des Russes consistait à consolider le régime dans l'Ouest de la Syrie et de s'assurer du soutien des Kurdes. Ce sont les Russes qui ont formalisé l'offensive menée conjointement au nord d'Alep par le PYD et les forces gouvernementales.

Petit ajout : l'opération militaire en Syrie coûte très cher à Moscou dont l'économie est en ce moment en triste état en raison de la chute des cours du pétrole et des sanctions occidentales. Ce côté économique a dû jouer pour une petite partie dans la décision du président Poutine.

La Russie a-t-elle vraiment atteint ses objectifs en Syrie ? Son retrait ne pourrait-il pas entraîner une inversion du rapport de force sur le terrain ? 

Bien que Moscou s'en défende, la partition de la Syrie en trois entités (Alaouistan, Kurdistan et Sunistan) dont deux premières lui sont favorables constitue une aubaine. Cela va permettre de préserver les facilités militaires à Tartous et Lattaquié tout en affaiblissant le président Erdogan dont le président Poutine s'est juré d'avoir la peau. Bien sûr, de manière à préserver les apparences, on va parler d'un "Etat fédéral"... 

Selon un rapport de l'institut IHS Jane's basé à Londres, l’EI aurait perdu 22% de son territoire entre fin 2014 mi-mars 2016. Même si l’EI n’était pas la cible prioritaire de la Russie en Syrie, est-ce que le désengagement russe pourrait lui profiter et lui permettre de regagner certaines positions ? 

Il faut rester prudent. Le GEI a perdu 22% de zones majoritairement désertiques sans grand intérêt économique, humain ou stratégique. Malgré les pertes enregistrées en raison des frappes de la coalition et russes, les effectifs semblent constants. D'ailleurs, si l'on en croit les chiffres, Daech a perdu presque 30 000 combattants, ce qui constitue la totalité de ses effectifs estimés à l'été 2014, et aujourd'hui, il en aurait toujours 30 000 ! La propagande a certainement magnifié les résultats annoncés. Juste un petit "arrêt sur images" à ce propos : il ne faut pas que le public soit dupe ; tous les chiffres annoncés par un camp ou un autre sont faux pour deux raisons. Un, la propagande et deux, parce que personne n'est vraiment là pour compter sur le terrain ! Pensez que les estimations des pertes depuis 2011 varient de 270 000 à 500 000... Si on est pour le régime de Damas, c'est 270 000; si on est contre, c'est 500 000.

Le désengagement russe peut profiter à Daech qui a continué à mener des offensives vigoureuses pour s'opposer au grignotage des forces légalistes syriennes. Celles-ci ne bénéficient plus de la même quantité d'appui aérien encore que... Si les avions se retirent à grands frais de publicité, les hélicoptères très efficaces en appui direct des troupes au sol sont toujours bien présents ! Cela me rappelle une galéjade du temps de la Guerre froide : quel est le plus grand pays sur le plan de la superficie derrière le rideau de fer ? Ce n'est pas la Russie mais la Pologne car les troupes russes s'en retirent depuis 1945 mais ne sont pas encore sorties (cela date des années 1980). 

En quoi ce coup d’éclat de la Russie et de façon plus générale l'action russe menée depuis septembre 2015 montrent la centralité qu'a prise la Russie dans le processus de règlement du conflit syrien ? 

Moscou créé en permanence la surprise stratégique alors que tous les autres acteurs restent dans l'indécision et l'hésitation. L'Occident en général et l'Europe en particulier parlent beaucoup, donnent des leçons de morale et ne font presque rien (en dehors des Etats-Unis). Une exception tout de même pour la France mais sur un autre front : l'opération Serval qui a été une (mauvaise) surprise stratégique pour les djihadistes d'Al-Qaida et consorts.

Pour revenir au Proche-Orient, la Russie avait déjà créé la surprise en parvenant à un accord sur le démantèlement des armes chimiques syriennes. Personne d'autre n'aurait été capable d'y parvenir sans casse comme cela a été le cas. Pour ce fait, Vladimir Poutine pourrait concourir pour le prix Nobel de la Paix, le président Obama l'a bien obtenu !

La Russie a une position centrale en raison des relations qu'elle a toujours su maintenir avec l'Iran, les régimes irakien et syrien et les Kurdes. Sa faiblesse réside dans les rapports difficiles qu'elle entretient avec les pays sunnites (à l'exception de l'Egypte où elle est revenue discrètement) encore que, elle peut là aussi créer la surprise particulièrement en direction de l'Arabie saoudite.

Son vrai problème est que le (ou plus probablement la) futur(e) président(e) des Etats-Unis accentuera la pression car pour les Américains, la Russie reste l'adversaire numéro UN, même avant la Chine. Washington repassera donc à l'offensive en s'appuyant sur les ennemis institutionnels de Moscou : la Pologne et plus généralement les ex-pays de l'Est. Je peux les comprendre car le passé de l'URSS est très lourd à porter. L'Europe devra alors voir quelle politique mener vis-à-vis de Moscou sachant qu'elle est divisée entre un clan anti-Russes (les pays nommés précédemment plus la Grande-Bretagne) et celui qui lui est plus favorable. Pour l'instant, Paris est hésitant avec la tentation de suivre les Américains auxquels les fonctionnaires du Quai d'Orsay semblent être très attachés.

Nous risquons d'être encore victimes de "surprises stratégiques", moi le premier car j'ai égaré ma boule de cristal. Sur le fond, faire du renseignement, c'est assez facile, il n'y a qu'à ramasser. Par contre, prévoir l'avenir est une science inexacte.

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