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Les taux 0 auront-ils la peau de votre assurance-vie (et de votre assureur par la même occasion) ?
©Pixabay

Avis de tempête à venir

Alors que les assurances-vie ne rapportent plus autant en raison du niveau très bas des taux actuellement, ce placement reste malgré tout très prisé des Français, attachés à la sécurité de leur capital. Par ailleurs, si les compagnies d'assurance ne sont pas pour l'instant en danger immédiat, ce ne sera plus le cas à l'horizon 2020 si rien ne change.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Dans un communiqué publié mardi, le Haut Conseil de stabilité financière estime que les assureurs-vie n'ont pas suffisamment adapté les rendements de leurs produits à la baisse des taux. Si les assurances-vie ne rapportent plus autant, y a-t-il un risque de voir les Français se détourner massivement de ce placement jusqu'ici très prisé ?

Philippe Crevel : Il faut rappeler ici que les assurances-vie se composent à la fois de fonds euros et d'unités de compte. Le fonds euro a rapporté l'année dernière autour de 2,25% nets d'inflation, il reste donc pour un produit avec une garantie de capital totale et des avantages fiscaux importants le meilleur rendement à l'heure actuelle. Le Livret A est à 0,75%, le PEL est à 1,5%, et je ne parle pas des SICAV monétaires qui sont à 0%... Donc l'assurance-vie, même en fonds euros, est utile.

Evidemment, son rendement baisse, même si le Haut comité a jugé que ce n'était pas suffisant. Il était de 4% en 2007, il est aujourd'hui de 2,25%. Cela incite une partie, mais encore faible, des Français à aller voir s'il y a d'autres supports plus rentables. Il y a eu l'an dernier une augmentation de la collecte sur les unités de compte (1,27 milliards d'euros selon la FFSA). Est-ce un mouvement spontané ou incité ? Un peu des deux, je pense. Les Français commencent à regarder ailleurs, mais sont évidemment très favorables à la sécurité du capital. Il est donc difficile de changer de modèle, même si les unités de compte rapportent 4,9% en moyenne en 2015. On ne change pas du jour au lendemain son tempérament. Sur 1500 milliards d'euros d'assurance-vie, il y en a plus de 1200 qui sont placés en fonds euros. Mais tout cela commence à être légèrement réorienté pour tenir compte de cette baisse du rendement.

En payant des intérêts supérieurs au niveau actuel des taux, les compagnies d'assurance se mettent-elles effectivement en danger ? Dans quelle mesure cette situation peut-elle les fragiliser ? 

Il faut voir pourquoi il y a des taux supérieurs aux taux du marché aujourd'hui. Les assureurs, au fur et à mesure de l'épargne placée par les ménages sur l'assurance-vie, ont acheté des obligations. Ils ont des vieilles obligations datant de 10 ans voire plus, souscrites à des taux plus élevés que maintenant (cela pouvait atteindre 6, 7 ou 8%), qui continuent à donner du rendement, permettant ainsi de rémunérer les épargnants à 2,25%. Aujourd'hui, les assureurs peuvent financer le 2,25% grâce à l'acquis du passé. Le problème, évidemment, c'est que plus on avance dans le temps, plus cela deviendra difficile car ces obligations vont arriver à échéance. C'est ce qu'ont indiqué le Haut comité et l'Autorité de régulation des FCPR (Fonds commun de placement à risque).

Est-ce qu'il y a un danger ? Le danger viendrait s'il y avait un choc obligataire, si on avait une très forte augmentation des taux d'intérêts après une longue période de taux bas. Là, c'est vrai que ce serait dangereux car il y aurait alors une contraction de la valeur des obligations. En raison de la garantie de capital, les compagnies d'assurance pourraient être mises en difficulté. Néanmoins, il faut prendre en compte les fonds propres. Quand les assureurs investissent sur des obligations, ils doivent avoir en parallèle des fonds propres pour faire face à un choc économique et financier. Cette injonction a été fixée par une directive européenne qui s'appelle Solvency II et qui a plutôt durci les obligations de fonds propres ces dernières années suite à la crise de 2008-2009. Globalement, le régulateur (la CPR), vérifie qu'à tout moment les compagnies d'assurance peuvent faire face à leurs échéances. En cas de choc obligataire terrible, il y aurait un problème systémique, mais à l'heure actuelle nous n'en sommes pas là. Les compagnies d'assurance ne sont pas globalement en danger. Le problème pourrait venir en 2020 si l'on n'a toujours pas remonté les taux. Il est vrai que plus la période de taux bas est longue, plus ce sera compliqué, mais pour le moment il n'y a pas lieu d'avoir la moindre peur à ce sujet.

Si nous sommes aujourd'hui encore loin d'une remontée des taux, si jamais celle-ci venait à être effective, quelles seraient les conséquences sur les compagnies d'assurance ? Quels effets pourrait avoir une remontée brutale et inattendue des taux sur les compagnies d'assurance et sur les assurés, et plus largement, sur le devenir du placement préféré des Français ?

Il faut que les taux remontent pour le bonheur des assurés et des compagnies d'assurance-vie. Comme je l'ai dit, plus la période de taux bas est longue, plus ce sera difficile de remonter, car il y aurait alors un stock énorme d'obligations faiblement rémunérées et qui seraient dépréciées en cas d'augmentation des taux. Il faut évidemment que le stock soit le plus faible possible, donc il est souhaitable qu'il y ait une augmentation progressive et durable des taux, pas trop brutale.

On sait aujourd'hui que cela n'interviendra pas avant mars 2017, voire bien plus tard car la BCE a indiqué qu'elle pourrait maintenir les taux bas au-delà de la fin du quantitative easing prévu pour mars 2017. 2017 et 2018 devraient donc se faire avec des taux bas, donc nous nous dirigeons vers un rendez-vous compliqué entre 2018 et 2020 pour les compagnies d'assurance, qui devront jouer sur leurs fonds propres, tout en abaissant le rendement des fonds euros. Nous serons donc amenés dans les prochaines années à voir se poursuivre la baisse du rendement des fonds euros.

Il est par ailleurs vrai que les compagnies n'ont pas pris trop d'avance. Elles ont essayé de maintenir leurs taux le plus haut possible car le secteur est très concurrentiel et elles ont donc eu peur que le voisin concurrent prenne le marché…

Propos recueillis par Benjamin Jeanjean

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