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Partition de la Syrie en vue : les Occidentaux contraints de remettre les doigts dans des redécoupages de frontières à hauts risques
©Reuters

Le fantôme de Sykes-Picot

A la différence des accords de Sykes-Picot conclus entre la France et la Grande-Bretagne au lendemain de la Première Guerre mondiale, la possibilité de dessiner de nouvelles nouvelles frontières en Syrie, dont discutent les membres du Conseil de sécurité, ne relèvent pas d'une "imposition" de l'extérieur mais simplement de la prise en compte d'une partition qui existe déjà dans les faits sur le terrain. Par ailleurs, l'aboutissement de ce projet n'est en rien assuré tant il va se heurter à de nombreuses difficultés.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Ce lundi 14 mars se tiendra la prochaine session des pourparlers de paix sur la Syrie. En prévision de cette rencontre, les puissances occidentales envisageraient un plan de découpage de la Syrie comme solution à la crise. Une telle décision signerait la fin des frontières héritées de Sykes-Picot. Ces accords conclus entre la France et la Grande-Bretagne au lendemain de la Première Guerre Mondiale n’ont jamais vraiment été appliqués. Pourquoi selon vous ? N’y a-t-il pas un risque à laisser une nouvelle fois les puissances occidentales définir l’ordre régional au Moyen-Orient ? 

Alain Rodier : Officiellement, ce sont les Syriens qui doivent décider de leur avenir, en particulier en passant par des élections présidentielle et législatives d'ici 18 mois. A l'évidence, pour l'instant, elles seraient impossibles à réaliser. On peut douter que la situation dans 18 mois permettra de les organiser correctement. En effet, il est difficile d'imaginer de faire voter les populations de Raqqa et de Deir ez-Zor car elles sont aujourd'hui placées sous le joug de Daech.

Les négociations, qui sont prévues pour durer jusqu'au 24 février (et qui pourraient être prolongées), vont aborder également des points fondamentaux qui nécessitent des réponses immédiates, à savoir : 

- Comment vaincre Daech et le Front Al-Nosra : en gros, qui s'y colle au sol ?

- Faire que le "cessez-le-feu" décrété -même s'il est très relatif- se prolonge indéfiniment

- Organiser le dialogue entre Syriens : ce sera extrêmement compliqué puisqu'il n'existe pas "une" mais "des" oppositions syriennes qui ne sont pas d'accord entre elles

- Permettre à l'aide humanitaire de parvenir aux 870 000 personnes (selon les estimations de l'ONU) encerclées dans six zones différentes que les Nations Unies ne sont pas parvenues à atteindre

Les intérêts des pays "sponsors" du régime et des mouvements rebelles étant divergents, les discussions risquent également d'être rudes à ce niveau qui dépasse largement le cadre syrien. A titre d'exemple, le sort de l'Ukraine et de la Libye se joue peut-être aussi lors de ces négociations qui, à n'en pas douter, n'auront pas lieu qu'à Genève. A savoir que de nombreuses tractations vont se poursuivre en bilatéral entre Washington et Moscou. Mais que valent les propositions du président Obama ? Seront-elles entérinées par son successeur à la Maison Blanche ?

Quel est le découpage envisagé par les membres du Conseil de sécurité de l'ONU ? Correspond-il à la partition qui existe de fait sur le terrain syrien ?

Globalement, l'idée qui circule est celle de la partition du pays en trois entités. L'une serait située à l'ouest jusqu'à la Méditerranée englobant Damas, Alep, Homs, Hama, Lattaquié, etc... Une deuxième se situerait au nord (le Kurdistan syrien appelé Rojava par les intéressés) mais le problème de la jonction du canton d'Efrin (situé au nord-ouest) à la partie kurde située à l'est de l'Euphrate se pose.

Enfin au centre et à l'est, une sorte de "Sunnistan". Afin de préserver les apparences et la susceptibilité de nombreux pays dont les voisins, cela se ferait sous l'égide d'un fédéralisme assurant une grande autonomie de ces trois "régions". Il est important de souligner que la partition existe déjà dans les faits sur le terrain. Il ne s'agira donc pas d'une création de frontières inventées par les vainqueurs de la Première Guerre Mondiale (les fameux accords Sykes-Picot) mais d'une reconnaissance par tous de la réalité des choses. 

Concrètement, comment se traduirait une telle partition ? Quels problèmes se poseront ? 

Ce projet va se heurter à de nombreuses et immenses difficultés. D'abord, le régime en place à Damas ne semble pas y être favorable pour l'instant. Les Turcs y sont viscéralement opposés car ils refusent la création d'un Kurdistan à leur frontière sud. Ils ont trop peur que cela ne serve de base arrière aux séparatistes du PKK. Beaucoup d'autres pays y sont également hostiles car cela pourrait donner des idées à des populations minoritaires (comme en Chine, voire en Russie ou en Arabie saoudite). Bagdad n'y est pas favorable car cette solution pourrait aussi être appliquée à l'Irak déjà divisé de fait en trois entités distinctes.

A ce propos, il ne faut pas se faire trop d'illusions : il est peu probable qu'un "grand Kurdistan" reliant le Rojava à l'Irak du Nord ne voit le jour à court ou moyen terme. En effet, il ne s'agit pas des mêmes populations kurdes, les syriennes étant plus proches des Kurdes de Turquie et les irakiennes plus près de l'Iran (et de l'Irak). Il est faux de présenter le peuple kurde comme totalement uni sous la même bannière, mais c'est là une autre histoire...

Si l'on voit bien qui sont les interlocuteurs pour Damas et le Kurdistan syrien, il reste à trouver ceux pour le "Sunnistan". Il est hors de question de négocier avec l'Etat Islamique ou avec le Front Al-Nosra, reconnus comme des mouvements terroristes par l'ONU (bien que la Turquie et les pays arabes ne semblent pas avoir ces réticences vis-à-vis du Front Al-Nosra qui dépend pourtant officiellement d'Al-Qaida). Il convient donc théoriquement de chasser ces deux mouvements pour les remplacer par des responsables sunnites présentables (la fameuse "opposition modérée"). Sur ce point, la partie est très loin d'être gagnée. De plus, le Front Al-Nosra est surtout présent dans la région d'Idlib au nord-ouest du pays (au fait, à quelle entité cette province sera-t-elle rattachée ?).

Et puis, il reste un petit détail qui va être mis sur la table. Même si l'on en parle moins dans les médias, la guerre se poursuit actuellement, particulièrement dans les régions d'Alep, de Hama, de Palmyre, etc. où, aux offensives des forces gouvernementales appuyées par l'aviation russe répondent les contre-offensives de l'etat Islamique, du Front Al-Nosra et de mouvements qui lui sont alliés. La situation est explosive avec les Turcs, dont le président semble capable de tout, même des pires folies. Il est vrai qu'il muselle la presse turque sans que les Occidentaux, pourtant généralement si moralisateurs, ne semblent réagir de manière significative. Il est vrai qu'il détient une arme importante : le flot de réfugiés qui peut s'abattre sur l'Europe s'il décide d'ouvrir les vannes ! Washington, moins concerné par ce problème, pourrait faire quelque-chose mais les États-Unis ont trop besoin de la base aérienne d'Inçirlik pour le moment pour réagir.

Plus on réfléchit, plus le problème semble compliqué et insoluble à court ou moyen terme, pour le malheur des populations civiles syriennes qui se retrouvent prises entre le marteau et l'enclume. Selon les dernières estimations, la moitié de la population a été obligée de quitter son lieu de résidence sans compter les 250 000 à 500 000 victimes (il convient de compter dans ces estimations des militaires, des miliciens et des rebelles) !  

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