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La "main des élites" contre la "voix du peuple" : pourquoi la campagne d’Hillary Clinton contre Trump ne pourra qu’être personnelle et violente
©Reuters

Face à face musclé

Depuis le Super Tuesday, la stratégie d'Hillary Clinton, mais également celle de Donald Trump, ont évolué. La démocrate, qui focalisait toute son attention et ses ressources sur Bernie Sanders a su se démarquer comme la grande favorite face à son rival. Elle se concentre dorénavant à la lutte contre le champion des Républicains, Donald Trump. La campagne risque d'être particulièrement personnelle et violente.

Patrick Chamorel

Patrick Chamorel

Patrick Chamorel est professeur à l'université de Stanford.

Il y enseigne les sciences politiques, à l'aulne des relations transatlantiques et des différences de systèmes politiques européens et français. Il collabore réguliérement au Wall Street Journal, Die Welt et CNN. Dans les années 90, il était conseiller politique dans plusieurs cabinets ministériels, à l'Industrie et auprès du Premier ministre.

 

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Atlantico : Après un début de campagne poussif, Hillary Clinton a pu se démarquer suite au vote favorable récolté au cours du Super Tuesday. En quoi la stratégie Clinton a-t-elle évolué au cours des dernières semaines ? 

Patrick Chamorel : Grâce à ses nettes victoires au Nevada, en Caroline du Sud et dans 7 des 11 Etats en jeu lors du "Super Tuesday", Hillary Clinton a largement levé l’hypothèque Bernie Sanders dans la course des primaires démocrates. Leur match ex-aequo dans l'Iowa puis la performance impressionnante de Bernie Sanders au New Hampshire, avaient conduit Hillary Clinton à focaliser toute son attention et ses ressources sur son adversaire démocrate. Depuis le Super Tuesday, qui a rempli son rôle en dégageant un candidat largement favori pour remporter les primaires dans chaque camp, la donne a changé du tout au tout pour Trump et Clinton: ils sont passés de stratégies adaptées aux primaires à une stratégie d’élection générale. C'est désormais Trump qui est dans le viseur de Hillary Clinton, beaucoup plus que Bernie Sanders. Ce dernier peut encore remporter certains caucus comme celui du Maine, petit Etat proche du Vermont, ou même plus tard ceux du Wisconsin, de Washington ou d'Oregon, mais les scrutins de ce week-end au Kansas, en Louisiane et au Nebraska, et ceux des 8 et 15 mars (Michigan, Floride, Illinois, Caroline du Nord et Ohio) devraient amplifier l'avance de Hillary Clinton.  

Depuis Super Tuesday, le camp Clinton estime avoir rassemblé une coalition électorale suffisamment large pour lui laisser espérer la victoire en novembre. Outre de très fortes majorités parmi les noirs et hispaniques, Clinton a mordu, dans le Sud, sur les électorats qui avaient porté la vague Bernie Sanders, notamment les blancs, les hommes et les électeurs se disant les plus a gauche. Les mêmes groupes sociologiques ne se comportent pas de la même façon dans le Sud que dans les Etats progressistes du nord et de l'ouest remportés par Sanders, tels que le Vermont, le Minnesota et le Colorado. 

Au regard des dernières tendances, Hillary Clinton est-elle en capacité d'obtenir un taux de participation des minorités aussi élevé que celui qui avait valu à Barack Obama de remporter l'élection finale en 2012 ? 

Oui, Hillary Clinton devrait réaliser lors de l’élection générale de novembre des scores chez les minorités noire et hispanique dignes de ceux d'Obama en 2008 et 2012, c'est a dire respectivement au-delà des 90% et 70% . En outre, Hillary Clinton attirera une plus forte proportion du vote féminin qu'Obama. Ce sont ces électorats qui ont permis a Hillary Clinton de creuser l’écart avec Bernie Sanders dans les primaires du Sud. Les Clinton, en grande partie grâce a Bill, ont toujours joui d'une très forte popularité parmi les noirs (Bill avait été gouverneur d'un Etat du sud, l'Arkansas) et même des hispaniques. L'avantage de Hillary Clinton devrait être encore accentué par la personnalité et le discours de son adversaire républicain, Donald Trump, qui n'a cessé de faire des remarques pour le moins désobligeantes envers ces minorités, et de proposer par exemple la construction d'un mur entre les Etats-Unis et le Mexique. Le défi, pour Hillary Clinton et les démocrates, sera sans aucun doute de mobiliser ces électeurs afin qu'ils votent en masse. Là aussi, Trump devrait aider la candidate démocrate dont on imagine difficilement qu'elle puisse susciter un fort enthousiasme, même dans l’élection générale (en dépit de la mobilisation favorable à Bernie Sanders, la participation aux primaires démocrates a été de 40% inférieure à celle de 2012). Le défi pour les démocrates consiste donc à mobiliser des minorités qui leur seront largement acquises, et à se rallier une minorité suffisante d'hommes blancs des classes moyennes et populaires, les plus révoltées par le statu quo.

Le scandale relatif au serveur d'email privé, utilisé en lieu et place de celui de son département d'Etat, est-il une bombe à retardement qui pourrait exploser pendant la campagne finale face au parti républicain ? Dans quelle mesure cette attitude fait-elle peser une menace sérieuse sur l'issue du scrutin ? 

Dans cette élection, tout semble possible ! Le scandale lié aux emails de Hillary Clinton pourrait donc rebondir après la nomination de celle-ci par la convention démocrate de Philadelphie l’été prochain. C'est à ce moment là que la procédure judiciaire entrera (comme par hasard?) dans sa phase critique, après la remise du rapport du FBI. Cependant, cette affaire est assez compliquée pour l'entendement du grand public, et d'autres scandales à venir prendront sans doute le dessus au cours de la campagne. En fait, Hillar Clinton y a déjà payé pour ses imprudences avec ses emails, qui a contribué à son déficit d'image en matière d’intégrité personnelle dans l'opinion (partagée avec son mari, Bill), un handicap durable pour elle.  Mais là encore, son adversaire a de fortes chances d'être... Donald Trump !

Du côté du parti républicain, le pouvoir de séduction de Donald Trump semble avoir été constamment sous-estimé. S'il peut a priori incarner un candidat d'opposition "idéal" et "prenable" pour Hillary Clinton, n'est-il pas périlleux d'affronter un homme aux méthodes aussi imprévisibles dans une telle campagne ? Le risque lié au fait de prendre de haut un tel adversaire a-t-il été suffisamment pris en compte par les équipes démocrates ?

Trump peut en effet sembler être un adversaire idéal pour Hillary Clinton. Trump a été sous-estimé par tout le monde: électeurs, observateurs et son propre parti. C'est vrai aussi du parti démocrate. Comme les républicains eux-mêmes, les démocrates ont été impressionnés par la façon dont Trump a écrasé ses rivaux dans les primaires, en particulier Carson et Bush, et affaibli Rubio et Cruz. Il est maintenant trop tard pour les républicains d’arrêter la déferlante Trump; plus ils l'attaqueront, plus les électeurs de Trump y verront (justement!) la main des élites pour faire taire la voix du peuple. C'est donc à Hillary Clinton qu'il revient d’arrêter Trump ! Or, vis-a-vis de l’électorat populaire en colère, et au-delà, elle apparaît souvent comme la caricature des élites contre lesquelles celui-ci se révolte. Une partie des électeurs de Sanders aux primaires pourraient s'abstenir; ils pourraient être séduits par le programme économique protectionniste et xénophobe de Trump, mais seront probablement dégoûtés par sa personnalité et sa fortune. La bataille Trump/Clinton sera en effet largement personnelle et d'une rare violence. Chacun des protagonistes a une vie personnelle et professionnelle riche et mouvementée. En outre, chacun suscite un rejet, sinon une véritable haine, dans le camp adverse et Trump également dans son propre camp. Trump a déjà laissé entendre qu'il fera de Hillary Clinton et de sa famille des cibles personnelles, où la vie privée ne sera pas épargnée. Toutefois, les attaques contre les femmes n'ont pas réussi à Trump, ni contre la journaliste (républicaine, de la chaîne Fox News) Megyn Kelly, ni contre la candidate Carly Fiorina. Même (surtout?) pour Trump, l’élection générale sera différente des primaires. Il sera forcé de s'assagir et de se recentrer. Une partie de son camp lui restera hostile, des électeurs d'un Kasich aux primaires pouvant même voter pour Clinton. Un choix inédit entre la première femme candidate à l’élection générale et le premier non-élu depuis Eisenhower. Mais lui au moins avait libéré l'Europe en guerre !

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