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Pourquoi les Républicains ne pourront plus arrêter Trump
©Chris Keane / Reuters

Trop tard

Alors que Donald Trump fait face à un tir nourri de critiques depuis quelques jours, la réaction des ténors du Parti républicain apparaît bien tardive. Et sans doute contre-productive.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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C’est un véritable déluge qui s’est abattu sur Donald Trump depuis sa victoire dans le "Supertuesday". Discours, publicités négatives, éditoriaux, prises de positions d’élus, etc. : les critiques s’abattent sur le favori républicain comme les Tomahawks sur Bagdad en 1991. Mais tout porte à croire que ce bombardement intensif arrive trop tard. Donald Trump est en bonne voie pour emporter la nomination républicaine. Cette opposition de dernière minute est inutile et risque même d’être contre-productive. Son prix se paiera en juillet, lors de la Convention nationale, et en novembre lors de l’élection générale.

La démocratie est d’une terrifiante beauté. Ce que le peuple veut, le peuple l’obtient. C’est une simple question de nombre. Après un mois de campagne et dix-sept primaires, les électeurs républicains ont placé Donald Trump largement en tête des candidats à la nomination présidentielle. Ce mardi 1er mars, il a encore remporté sept des onze Etats en jeu. Mathématiquement, il est encore loin d’avoir le nombre de délégués nécessaire pour garantir sa nomination. Mais tel un train lancé à grande vitesse, Donald Trump est sur une dynamique quasi-irrésistible.

Du 18 au 21 juillet prochain, à Cleveland, dans l’Ohio, 2 472 délégués républicains se réuniront pour désigner leur candidat à la Maison Blanche. Celui qui aura le soutien de 1237 de ces délégués emportera la nomination. L’objet de la campagne des primaires consiste à connaître ce candidat à l’avance, en laissant les électeurs décider par le choix de leurs délégués, Etat par Etat. Cela évite les batailles de dernières minutes et les petits arrangements de bas étages.

A ce jour, Donald Trump a acquis 319 délégués, contre 226 pour Ted Cruz, 110 pour Marco Rubio et 25 pour John Kasich. Ben Carson, qui n’en avait que 8, s’est retiré de la course. Plus d’une trentaine d’Etats ont encore à se prononcer : la Louisiane, le Kansas, le Maine, le Kentucky dès ce week-end, puis le Michigan et le Mississippi le 8, la Floride, l’Ohio et d’autres le 15 mars. Et ainsi de suite, jusqu’au 14 juin.

Pour l’instant, l’attribution des délégués se fait à la proportionnelle. C’est pourquoi un candidat comme Ted Cruz, qui n’a remporté que quatre Etats contre douze pour Trump, mais a terminé souvent deuxième ou troisième, n’a qu’une centaine de délégués de moins que lui. A partir du 15 mars, la règle d’attribution va changer. L’ensemble des délégués d’un Etat sera attribué au candidat arrivé en tête. C’est ce que les Américains appellent les "winner take all primaries", les primaires où le gagnant rafle la mise. Entre le 15 mars et le 14 juin, 1280 délégués seront ainsi attribués. Soit plus que le seuil nécessaire pour emporter la nomination. Si un même candidat venait à remporter tous ces scrutins, il serait inévitablement l’élu du parti. Dans la dynamique actuelle de la campagne, Donald Trump a de fortes chances de terminer devant ses rivaux dans quasiment tous ces Etats. Dès lors, il accumulera le nombre de délégués nécessaire à se présenter à la convention comme le candidat présumé du parti.

Marco Rubio et John Kasich, actuellement troisième et quatrième au nombre de délégués, ont décidé, pour l’instant, de se maintenir dans la course. Leurs chances de l’emporter au final sont devenues infimes, mais leur véritable objectif est désormais non pas de s’imposer, mais plutôt de priver Trump de la majorité dans les urnes.

John Kasich est le gouverneur de l’Ohio. Il compte bien remporter cet Etat le 15 mars. Cela ne lui donnera que 66 délégués, mais privera Donald Trump d’autant. Marco Rubio, de son côté, espère gagner en Floride, Etat dont il est le sénateur. Cela priverait Trump de 99 autres délégués. Si quelques autres Etats comme le Maryland, le Delaware, l’Oregon ou la Californie (qui vote le 7 juin) venaient à placer l’un d’eux ou Ted Cruz en tête, Donald Trump pourrait être privé, in-extremis, de la majorité des délégués.

Or, si à l’ouverture de la convention aucun candidat ne dispose de la majorité des délégués, ceux-ci se voient "libérés". En clair, ils peuvent voter pour le candidat de leur choix et non plus le candidat arrivé en tête dans leur Etat. Ils peuvent même se prononcer pour un candidat n’ayant pas jusqu’à lors fait campagne. Cela s’appelle une "brokered convention", une convention négociée. C’est la politique à l’ancienne.

Une telle situation ne s’est pas produite chez les Républicains depuis 1948. Le candidat désigné alors, Tom Dewey, avait été battu en novembre. Le dernier républicain à avoir envisagé d’être nommé à l’issue d’une convention négociée était Ronald Reagan en 1976. Il était à la traîne du président sortant Gerald Ford qui disposait d’une avance si étroite que la convention s’ouvrit sans que le candidat soit déterminé. On procéda au vote, et, miracle pour Ford,  il l’emporta dès le premier tour de scrutin.  

Aborder la convention de Cleveland sans que le candidat du parti soit connu serait néanmoins un constat d’échec pour les Républicains. Et l’assurance de trois jours d’une bataille de chiffonniers. Exactement ce que la longue campagne des primaires est supposée éviter. Si, depuis un demi-siècle, les candidats prennent la peine de sillonner le pays pendant les quinze mois qui précèdent la convention, c’est précisément pour donner aux électeurs l’occasion de se prononcer directement, et aborder la grande réunion nationale l’esprit serein avec pour seul souci d’afficher une unité retrouvée après des mois de bagarre. Ce n’est pas pour se présenter divisés et laisser aux cadres le soin de négocier entre eux, loin des électeurs.


Si tel devait néanmoins être le cas et si le parti parvenait à désigner un candidat autre que Donald Trump, rien ne garantit que les électeurs l’ayant soutenu durant les primaires acceptent  de voter pour le nouveau venu, en novembre. Le vote Trump est l’expression d’une colère profonde à l’égard de Washington et de Barack Obama, mais aussi et surtout à l’égard du parti républicain lui-même, et en particulier de ses cadres que l’on appelle collectivement "l'establishment".  Depuis bientôt trente ans, le parti a systématiquement privilégié des candidats modérés - George H.W. Bush en 1992, Bob Dole en 1996, John Mc Cain en 2008, Mitt Romney en 2012 - et il a systématiquement été battu. Cette année, les sympathisants républicains expriment clairement leur rejet de tels candidats. Ils votent Trump parce qu’il n’appartient pas au petit monde de Washington, parce qu’il exprime un mépris profond à l’égard des élites,  et parce qu’il tient un discours à la fois nationaliste et populiste.

Et ils sont excessivement nombreux à s’exprimer. Depuis le 1er février, les primaires républicaines ont attiré un nombre record d’électeurs. La participation électorale est en hausse de 20% à 50% par rapport à 2012. Un phénomène dû largement à la présence de Donald Trump, qui en est d’ailleurs le principal bénéficiaire. Il est probable qu’en novembre ces électeurs voteront Trump ou ne voteront pas du tout. Pour les Républicains, désigner un autre candidat serait prendre le risque d’être désavoués par leurs propres troupes et de se précipiter vers une défaite humiliante.

Rien ne garantit non plus que Donald Trump lui-même accepte de renoncer à sa candidature. Fort de sa notoriété, avec une équipe de campagne déjà en place et bien rodée, il pourrait choisir de se présenter seul, sans le soutien du parti et avec une totale liberté de parole. Il s’est engagé à ne pas le faire, à la condition que le parti respecte les règles du jeu. Mais il lui serait facile de prendre prétexte du barrage de critiques dont il fait l’objet, ainsi que des manœuvres diverses pour l’évincer, pour se libérer de sa promesse. Il priverait alors le parti républicain de 35% de ses voix. Soit plus de vingt millions d’électeurs. Il aurait peu de chances d’être élu président, mais dans une course à trois candidats dont deux Républicains, Hillary Clinton serait au contraire assurée de gagner. D’autant que face aux désordres et aux divisions des Républicains, les Démocrates s’efforcent déjà de présenter un front uni et serein.

En clair, s’ils veulent conserver une chance de l’emporter en novembre, les Républicains n’ont plus d’autre choix que de suivre Trump. Leurs attaques en règles arrivent trop tard. Dénoncer Donald Trump comme un "escroc", un "imposteur", un "menteur"  et un "arnaqueur" aurait pu être utile en août dernier, quand il n’avait pas encore suscité l’engouement dont il bénéficie à présent. Aujourd’hui, ces tirs de barrage apparaissent comme une tentative désespérée de déni de démocratie, en même temps qu’elles nuisent à l’image du parti et au futur candidat quel qu’il soit.

Comment se rassembler après s’être envoyés de tels noms d’oiseaux au visage ? Comment penser que les démocrates n’iront pas reprendre ces attaques à leur compte pour dénoncer l’hypocrisie républicaine ? En voulant sauver le parti de sa reprise par Donald Trump, les Républicains font le jeu d’Hillary Clinton.

Trump n’est peut-être pas présidentiable. Ni dans sa manière d’être, ni dans sa façon de s’exprimer, et encore moins par sa vision du monde et du rôle de l’Amérique. Peut-être serait-il massivement rejeté en novembre. Mais le seul moyen de le savoir est de le laisser aller au bout de sa candidature. Et de laisser la décision aux électeurs.

Car encore une fois, c’est la terrifiante beauté de la démocratie. Ce que le peuple veut, le peuple l’obtient. C’est une simple question de nombre.

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