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Inculture : les médias, bouc-émissaires désignés, alors que l’éducation et l'école se doivent de former l’esprit et le jugement
©Reuters

Bonnes feuilles

La société actuelle, qui se définit par rapport à son passé, par la recherche de la croissance et par un déterminisme technologique, est de plus en plus indéchiffrable. Mais que reste-t-il de la culture ? Extrait de "Le choc des incultures" de Francis Balle, éditions de l'Archipel (extrait 1/2).

Francis Balle

Francis Balle

Francis Balle est professeur de Science politique à Pantheon-Assas. Il est l’auteur de Médias et sociétés 18 ème édition, ed Lextenso et de Le choc des inculture , ed L’Archipel.

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À l’ère de l’hypermodernité, les médias d’information ou de divertissement, soumis aux lois du marché, sont donc condamnés à vivre en permanence sous la menace de multiples dévoiements. Ils sont pourtant tentés de se disculper : le public, assurément, n’a jamais que l’information ou le divertissement qu’il mérite. Ils se défaussent de leurs responsabilités, à bon droit, sur l’école, qui a la charge de l’« institution » des enfants, comme disait Montaigne. C’est à l’éducation qu’il revient de former l’esprit et le jugement. L’école ambitionne de faire éclore des adultes à la tête bien faite plutôt que bien pleine. Elle ne demande pas aux élèves de connaître seulement les mots de leur leçon, mais le sens et la substance de ce qu’ils apprennent. Subissant le relativisme et le subjectivisme ambiants, les médias sont empêchés de faire ce qu’ils devraient faire ou ce qu’on rêverait qu’ils fassent, au risque de perdre leur audience, aux deux sens du terme : le nombre de ceux qui les fréquentent, et leur rayonnement sur ceux qui les entourent. Ils se défaussent alors, trop volontiers sans doute, sur les travers d’une société sur laquelle ils n’ont guère le pouvoir qu’on leur prête, sauf à perdre leur liberté et leur autonomie, au profit de tous ceux qui rêveront toujours de les asservir. Le constat pourtant s’impose : n’est-il pas facile, trop facile en vérité, de faire jouer aux médias, à tous les médias, le rôle de boucs émissaires ? Et si nous appréciions mal, en les sous-estimant, les difficultés de leur mission, nous défaussant sur eux de nos propres erreurs ou de nos propres fautes, voire de celles d’autres instances ?

Et si, en définitive, Michelet avait raison de faire de l’éducation la priorité des priorités, la condition qui rend possible l’exercice des libertés, personnelles ou politiques, la condition de la démocratisation de la société par la culture ? L’école était dans la visée de l’historien. En la surchargeant pourtant de responsabilités qu’elle ne peut assumer ou qui ne sauraient être les siennes, ne la constitue-t-on pas alors, après les médias, en bouc émissaire tout désigné ? Alors que les tablettes font désormais partie de l’équipement de la plupart des écoliers, que le copier-coller à partir du Web est devenu la hantise des enseignants, depuis l’école primaire jusqu'à l’université, il est vrai que les possibilités d’accès aux savoirs sont infinies. Encore faut-il apprendre aux élèves à ne pas se noyer dans cet océan !

La transmission des disciplines de la pensée, l’effort, la patience ne s’apparentent guère à l’accès instantané, par un simple clic, à tous les savoirs. Les œuvres diffèrent des tweets, de même que l’information n’est pas la rumeur. Éduquer ne signifie pas suivre les goûts et les désirs des élèves, leurs convoitises.

À l’instar de l’homme politique, l’éducateur doit tout à la fois précéder et suivre celui auquel il s’adresse : ne pas le précéder de trop loin, ni le suivre de trop près. L’éducation doit se garder aussi bien d’un autoritarisme aveugle que de la veule flatterie, comme la démocratie se définit par opposition à la démagogie et à l’idéocratie. L’éducateur doit dire qu’il y a autre chose que nous-mêmes, d’autres mots, d’autres personnalités, d’autres formes d’expression. Hegel l’a dit parfaitement : « La jeunesse se représente comme une chance de quitter son chez-soi et d’habiter, avec Robinson, une île lointaine. » Dans cette perspective, gardons-nous des contresens sur la formule « tête bien faite et tête bien pleine » : son auteur, Montaigne, avait le latin pour langue maternelle. Une tête vide, vide de tout savoir, évidée de toute connaissance, ne peut guère penser, si peu que ce soit.

Extrait de "Le choc des incultures" de Francis Balle, publié aux éditions de l'Archipel, 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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