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Et le lieu le plus propice à la découverte de nouvelles espèces est… (vraiment surprenant !)
©Reuters

Une de perdue dix de retrouvées

Des millions de spécimens d'espèces animales et végétales sont enfouis sur les étagères des collections des musées d'histoire naturelle du monde entier. Et il s'avère que, souvent, ces spécimens appartiennent à des espèces inconnues, qui attendent d'être identifiées et classées.

Gabriel Zignani

Gabriel Zignani

Gabriel Zignani est journaliste.

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De nombreuses espèces vivantes restent inconnues à ce jour. Si 1,8 millions d'espèces sont aujourd'hui identifiées et répertoriées par la communauté scientifique, il en resterait entre six et huit millions à découvrir. Une grande partie de cette nature secrète est encore cachée au centre de profondes forêts ou dans les fonds marins. Mais beaucoup de ces espèces inconnues sont déjà sur les étagères des musées d'histoire naturelle. "Il y a environ deux millions d'espèces qui attendent d'être découvertes dans les collections des différents musées", estime Philippe Bouchet, malacologue (spécialiste des mollusques) au Museum d'histoire naturelle de Paris. "Rien qu'à Paris, le nombre de spécimens d'espèces inconnues stockées dans les galeries se situe autour de plusieurs dizaines de milliers." Conservées dans des tiroirs, des bocaux ou entre des feuilles de journal, elles attendent patiemment que les scientifiques les redécouvrent.

L'esprit se prend immédiatement à rêver, à s'imaginer des découvertes de grands mammifères ou d'oiseaux tropicaux. "La curiosité est forte lorsqu'il s'agit d'espèces qui nous sont plus ou moins proches. Mais il n'y a plus énormément de découvertes à faire dans ces domaines. C'est par exemple chez les insectes ou dans le monde marin qu'il reste beaucoup d'inconnues. Le problème, c'est qu'il y a moins de spécialistes dans ces départements, qui suscitent moins de vocations. La recherche avance donc plus lentement, alors qu'il y a plus d'espèces."

Paris dispose de l'une des trois plus importantes collections au monde

Le Muséum national d'histoire naturelle de Paris est un bon exemple concernant la recherche et l'étude des espèces. Au carrefour des sciences de la terre, de la vie et de l'homme, le Muséum se consacre de manière générale à la nature. Un de ses rôles est l'étude du vivant. Il faut donc inventorier, ordonner et comprendre la nature. Les quelques 500 chercheurs chargés de cette mission ont de quoi faire, puisque la collection du Muséum de Paris est l'une des trois plus importantes au monde, avec celles des musées de Londres et de New-York.

Parmi ces collections donc, de nombreux secrets. Les spécimens d'espèces inconnues bien sûr. Mais les échantillons d'espèces déjà connues peuvent également receler des trésors. Des morceaux de temps qui contiennent des témoignages des écosystèmes passés. Ces archives donnent des indices sur les épidémies qui ont pu faire rage, sur les pollutions environnementales voire sur des extinctions massives mystères. L'étude de ces cas peut aussi montrer le niveau de dégâts que l'homme a infligé à certains lieux de la planète, davantage touchés que d'autres.

S'il y a tant de réserves dans nos musées, c'est parce que le temps nécessaire au tri, à l'analyse et à l'étude des spécimens est très long par rapport au rythme où les nouveaux échantillons arrivent. "En moyenne, un spécimen n'est étudié qu'au bout de 21 ans. Il y a plusieurs raisons à cela, notamment les nouvelles techniques moléculaires, qui permettent des études pointues, mais qui mettent du temps." Le record est pour le moment détenu par une espèce de crotale (de la famille des vipères), qui a attendu 206 ans dans les placards du Museum de New-York, avant d'être étudié.

La plupart de ces espèces inconnues cachées au fond des tiroirs ne feront toutefois pas rêver les foules. Exemple : les coléoptères. Cet ordre d'insectes, auquel appartiennent scarabées, coccinelles et autres hannetons, représente à lui seul plus du quart de la biodiversité au niveau planétaire. Un total de 400 000 espèces sont aujourd’hui identifiées, alors que plusieurs millions d'entre elles sont soupçonnées d'exister.

Même si c'est peu fréquent, il arrive que l'on découvre de nouvelles espèces chez les mammifères, les oiseaux ou les grands reptiles. Mais ces trouvailles proviennent souvent de corrections apportées à la classification précédemment admise. Evon Hekkala, généticienne à la Fordham University qui travaille régulièrement avec le musée d'histoire naturelle de New-York, détaille une telle découverte dans The Atlantic. "En travaillant sur les séquences ADN d'une douzaine de spécimens de crocodiles du Nil, j'ai compris que cette classe comprenait en fait deux espèces distinctes."

L'idée qu'il pouvait s'agir de deux espèces différentes lui est venu en voyant un spécimen particulièrement grand de crocodile du Nil, caché au fond d'une pièce remplie d'animaux empaillés du musée de New-York. "Et bien désormais, il y a le crocodile du Nil et le crocodile sacré, c'est comme ça que j'ai appelé cette nouvelle espèce". Pour confirmer sa découverte, la scientifique a collecté des tissus de crocodiles du Nil de plusieurs musées d'histoire naturelle. "J'ai même pu séquencer de l'ADN de sept crocodiles momifiés du Museum d'histoire naturelle de Paris. Ces momies avaient environ 2000 ans, mais les tissus étaient suffisamment bien conservés pour les étudier grâce aux techniques de préservation alors utilisées en Egypte."

D'ailleurs, les Egyptiens semblaient avoir remarqué la différence entre les deux espèces. "Tous les spécimens momifiés que j'ai étudié étaient des crocodiles sacrés." A cette époque, les deux espèces cohabitaient sur toute la longueur du Nil, alors qu'aujourd'hui, elles sont réparties dans différents lieux en Afrique. "Désormais, le seul habitat qu'ils partagent, ce sont les musées."

Les découvertes se font aussi sur le terrain

Les chercheurs ne sont pas toujours enfermés dans leurs laboratoires. Il faut bien charger les réserves de nouveaux échantillons, étudier le terrain. En 1997, le professeur Philippe Bouchet est parti en expédition sur l'île Mangareva en Polynésie française, à plus de 1500 kilomètres au Sud-Est de Tahiti, en plein pacifique. "C'est le bout du monde. Cette île est tellement isolée qu'elle est soumise à une grande fragilité écologique. C'est le meilleur exemple de destruction environnementale que je connaisse. Je suis parti là-bas pour étudier, entre autres, les espèces indigènes d'escargots (qui n'existent que sur cette île, ndlr)."

Dès son arrivée, il est confronté à un phénomène troublant. Il retrouve énormément de coquilles vides d'escargots indigènes. "Après étude, j'ai compris que 90% des escargots indigènes présents à l'origine sur l'île ont disparu entre 1870 et 1910. La grande majorité des escargots que je trouvais vivants étaient des espèces introduites par l'homme, arrivées par le biais du commerce. De nouvelles espèces qui se sont mises à proliférer, et qui ont pris la place des escargots d'origine." Autre explication, la destruction des habitats naturels. "A l'arrivée des premiers colons en 1830, il y a avait environ 1000 habitants. La population a quadruplé en 50 ans. On a alors cultivé à outrance. Il ne restait au final qu'un demi hectare de forêt sur l'ensemble de l'archipel, alors qu'il y a en tout 2700 hectares."

Une anecdote qui met en évidence le nombre incroyable d'espèces disparues alors que l'on n'a même pas conscience de leur existence. Des espèces fantômes en quelque sorte. "Parmi les coquilles vides, j'ai découvert plusieurs dizaines d'espèces nouvelles. Des espèces déjà éteintes. Si j'avais étudié les papillons de nuit, je n'aurais trouvé aucune trace de toutes ces catégories ignorées, qui ont disparu avant d'être découvertes."

Sans nom, comment survivre ?

Pour identifier un spécimen, il faut souvent plusieurs années et un travail immense. Ce qui, comparé à la rapidité à laquelle sont détruits les habitats naturels et la biodiversité, semble dérisoire. En botanique, on estime par exemple que trois à quatre espèces sont décrites chaque jour dans le monde. Dans le même temps, 70 à 80 espèces disparaissent.

Des recherches compliquées qui ont notamment pour but la protection future des espèces actuellement vivantes. Quand elle est effectuée sur des spécimens d'espèces déjà connues, la recherche permet de comprendre comment celles-ci s'adaptent ou non aux changements climatiques, aux changements d'habitats ou aux diverses activités de l'homme. Les scientifiques peuvent prédire comment les espèces vivantes vont réagir dans le futur.

Quand ces recherches concernent des espèces encore inconnues, elles permettent de mettre en évidence l'existence d'une espèce potentiellement menacée. Car nommer et décrire une espèce en suivant les règles de nomenclature dictées par un code international est le seul moyen de la faire exister d'un point de vue légal et de lui permettre d’apparaître sur les listes d'espèces en danger. Ce qui permet par exemple de bénéficier d'un programme de conservation.

Mais il ne faut pas se le cacher, l'une des raisons principales de ces recherches, c'est simplement la curiosité. La curiosité de connaître l'environnement qui nous entoure.

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