Pour Eurostat ça baisse, pour la DARES ça monte : comment expliquer la cacophonie autour des chiffres du chômage<!-- --> | Atlantico.fr
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Les statistiques de Pôle Emploi sont à prendre avec des pincettes, mais au moins nous savons ce qu'il y a dedans. Celles d'Eurostat ressemblent un peu à une mixture bizarre, qui peut donner lieu à des révisions assez importantes…
Les statistiques de Pôle Emploi sont à prendre avec des pincettes, mais au moins nous savons ce qu'il y a dedans. Celles d'Eurostat ressemblent un peu à une mixture bizarre, qui peut donner lieu à des révisions assez importantes…
©Reuters

Tintamarre

D'après les chiffres publiés au début du mois par Eurostat, le taux de chômage en France est passé de 10,6% au mois d'août à 10,1% en novembre. Or, les chiffres de la DARES ne constatent pas cette amélioration et indiquent même une hausse du chômage.

Mathieu Plane

Mathieu Plane

Directeur adjoint du Département analyse et prévision à l'OFCE

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Atlantico : Comment peut-on expliquer une telle divergence entre les chiffres de la DARES et ceux d'Eurostat ?

Mathieu Plane : Il faut bien comprendre qu'Eurostat mélange des concepts. Le premier concept est celui du taux de chômage au sens compris par le BIT (Bureau International du Travail), qui est issu de l'enquête emploi trimestrielle publiée par l'INSEE. Le deuxième concept consiste à essayer de produire des données mensuelles. Eurostat va donc utiliser cette enquête de l'INSEE, mais en utilisant l'information de Pôle Emploi pour la mensualiser. Ils essayent de retomber sur leurs pattes au niveau des moyennes trimestrielles. Il y aura donc des décalages assez étranges entre les informations de l'INSEE, celles que donne Pôle Emploi et la mensualisation faite par Eurostat. Il faudra voir ce qui arrivera au 4ème trimestre mais les chiffres mensuels pour les derniers mois de l annee seront surement recalés dans les semaines à venir sur la base des chiffres du quatrième trimestre publiés ultérieurement par l enquête emploi. Pour le moment, la situation est assez bizarre. Il faut bien garder à l'esprit que Pôle Emploi donne une information uniquement sur le chômage, pas sur la population active. Or, le taux de chômage, c'est le nombre de chômeurs rapporté à la population active.

Honnêtement, la statistique mensuelle d'Eurostat n'est pas fiable. Les statistiques mensuelles de Pôle Emploi sont volatiles  et à prendre avec des pincettes, mais au moins nous savons ce qu'elles contiennent. Celles d'Eurostat ressemblent un peu à une mixture bizarre, qui peut donner lieu à des révisions assez importantes…

Les statistiques mensuelles d'Eurostat ne sont donc pas fiables ?

Non. Elles ne sont pas fiables, en tout cas sur les derniers points. De toute façon, elles sont recalées ensuite par les dernières informations fournies par l'enquête. Par exemple, nous avons les résultats pour les mois d'octobre-novembre, mais nous n'avons pas les chiffres issus de l'enquête. Cette extension fonctionnerait si les DEFM (Demandeurs d'Emploi en Fin de Mois) évoluaient comme le chômage du BIT. Or, ce n'est pas le cas. Au troisième trimestre, le nombre de DEFM en catégorie A a augmenté de moins de 10 000. Si vous prenez le chiffre au sens du BIT de l'enquête publiée par l'INSEE, la variation au troisième trimestre est de +75000. Cela signifie qu'Eurostat va recalculer un chômage mensuel à partir de l'information des DEFM alors que les évolutions peuvent être tres differentes a court terme. Par ailleurs, les DEFM ne donnent aucune information  au niveau de l évolution des taux d'activité de la population active.

En second lieu, il est également important de préciser pour Eurostat qu'il y a l'inclusion des DOM-TOM alors que les chiffres de l insee ou de pôle emploi plus commentés sont généralement sur la France métropolitaine. 

Enfin, il faut savoir qu'Eurostat calcule ses propres corrections des variations saisonnières. Les données brutes au mois le mois ne peuvent pas être interprétées en raison des variations saisonnières (vacances, emplois saisonniers l ete, arrivee des jeunes sur le marche du travail a la rentrée...) qui peuvent être très fortes. Les statisticiens utilisent donc des méthodes statistiques pour corriger cela. Sauf que l'INSEE et Eurostat font leurs propres corrections de variations saisonnières, ce qui donne par conséquent des résultats un peu différents.

De l'autre côté, quel crédit apporter aux chiffres de la DARES ?

Il y a un crédit certain mais les chiffres doivent cependant etre interpretes avec un certain recul. Contrairement à Eurostat qui essaie de faire des choses un peu alambiquées, Pôle Emploi ne cherche pas à calculer un taux de chômage. Eux, ils fournissent des donnees administratives. Il ne faut donc pas confondre le chômage au sens du BIT, qui est un concept assez bien défini, et ce que va donner Pôle Emploi qui détaille différentes catégories de chômeurs (A, B, C, D, E) avec, du coup, une volatilité d'un mois à l'autre qui peut être assez forte. Il y a des flux d'entrée, des flux de sortie, des corrections de variations saisonnières… L'interprétation d'un mois à l'autre ne veut pas dire grand-chose.

Pôle Emploi a sorti une note de méthodologie pour préciser à quel moment nous sommes effectivement sur une tendance de baisse du chômage.

En suivant la méthode de calcul de Pôle Emploi, nous pouvons considérer la possibilité d'existence d'une marge d'erreur à 27 000 près par mois. Cela veut dire que tant que nous n'avons pas une hausse ou une baisse de chômage à plus de 27 000, nous sommes dans l'incertitude.

Dès lors, peut-on réellement s'appuyer sur des chiffres mensuels ? Que peut-on dire de la réalité de la situation du chômage au cours de ces derniers mois ?

Nous devons être extrêmement prudents dans les commentaires des chiffres mensuels de pôle emploi. Il faut au moins regarder sur le trimestre, voire plus. Cela lisse les effets et permet de détecter des tendances.

Aussi, il faut être extrêmement vigilant sur les catégories. Il peut y avoir des basculements de catégorie. Lorsque nous faisons l'analyse économique et des prévisions, nous faisons des prévisions sur le chômage au sens du BIT qui est un indicateur bien défini utilisé pour les comparaisons internationales. Les chiffres donnés par pôle emploi donnent une information  mais il ne faut pas s'emballer sur les chiffres au mois le mois pour en faire des déductions. Il faut être prudent dans l'interprétation.

Partant de ce constat, à quelles évolutions peut-on s'attendre dans les prochains mois ?

Aujourd'hui, nous sommes sur une légère augmentation du taux de chômage au sens du BIT. Nous connaissons une dynamique de croissance qui est insuffisante pour générer suffisamment d'emploi pour faire baisser durablement le chômage. Le nombre d'actifs augmentent de 140 000 par an. Pour commencer à faire baisser le chômage en France au sens du BIT il faut créer plus de 140 000 emplois par an. Pour être dans ce contexte là, nous avons besoin d'une croissance assez robuste. Sur 2015, l'objectif n'a pas été atteint. Cependant, pour 2016, nous pourrons assister à une accélération de la croissance.  Jusque-là, notre prévision était la création de 200 000 emplois, avec 140 000 actifs supplémentaires, cela ferait baisser le chômage de 60 000, soit de 0,2%.

Si nous restons dans ce contexte macro-économique porteur (baisse des prix de pétrole très marquée, euros bas,  taux d'intérêt faibles), la reprise sera poussive mais elle va se concrétiser. Nous devrions connaitre un scénario avec une baisse du chômage, mais une fois encore, à 0,2 points. Aujourd'hui, nous sommes à 10,2%, nous passerons à 10%... en début 2008 nous étions à moins 7% ! A ce rythme là, revenir au niveau d'avant crise va prendre du temps. Nous devrions être  dans un schéma de début d'inversion de la courbe du chômage mais avec des rythmes qui restent très lents. Il n'en demeure pas moins qu'au regard de ce que nous avons connu ces dernières années, il s'agira d'une amélioration.

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