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Privatisation de Pôle Emploi : les limites de la proposition de Bruno Le Maire
©Reuters

Fausse bonne idée

Lors d’une cérémonie de vœux à Evreux, le député de l’Eure, Bruno Le Maire à proposer de « privatiser Pôle Emploi ». Selon lui, Pôle Emploi n’est pas « outillé pour faire ce travail de placement de chômeurs ». Une proposition qui ne peut jouer qu’à la marge sur les chiffres du chômage

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Dans quelle mesure la critique de Pôle emploi est-elle juste et en quoi son efficacité peut-elle être contestée ?

Gilles Saint-Paul : En tant que service public, Pôle emploi a peu d’incitations à faire un travail efficace de placement des chômeurs. D’une part parce que la rémunération de ses employés n’est pas liée à  leur performance dans ce domaine ; d’autre part parce que si le chômage baissait sérieusement, la taille de ses activités baisserait et il verrait son budget et ses effectifs diminuer. La mission de pôle emploi est donc en contradiction avec la tendance qu’ont les organisations bureaucratiques à croître et à justifier leur existence. Une privatisation du service public de l’emploi au profit de quelques acteurs soumis à la concurrence et rémunérés en fonction de leur performance en matière de placement serait donc de nature à améliorer la performance.

Ainsi, dans ce contexte, en quoi privatiser pôle Emploi pourrait présenter des aspects intéressants ?  

Cela permettrait la mise en concurrence de ces services, la mise en place d’une rémunération de ces entreprises en fonction de la performance, c’est-à-dire du nombre de chômeurs qui retrouvent un travail grâce à leurs services. Une idée intéressante que l’on pourrait mettre en œuvre est celle d’appliquer des critères de performance relative,  c’est-à-dire de mieux rémunérer les services qui dont la performance est supérieure non pas dans l’absolu mais relativement aux autres.  Cela permet de rémunérer l’effort des entreprises de placement et non pas la chance (ou la malchance) qu’elles rencontrent dans leur travail du simple fait des aléas de la conjoncture. Enfin, la privatisation, en réduisant la promiscuité avec l’administration, réduirait le pouvoir de lobbying de ces entreprises relativement à celui du pôle emploi actuel, ce qui rendrait plus facile, par exemple, de diminuer leurs ressources si une baisse durable du chômage avait lieu.

Ceci étant posé, il faut reconnaître que les rares études dont nous disposons à ce sujet ne sont pas très concluantes. Une expérience allemande suggère que pour les « soins intensifs » prodigués aux chômeurs de longue durée, le secteur public est mieux placé – bien qu’elle reste pessimiste sur la possibilité d’améliorer l’employabilité à long terme de ce groupe de travailleurs, quelle que soit la méthode employée. Une étude danoise montre que le secteur privé n’augmente pas la probabilité de placement, mais débouche vers des emplois de meilleure qualité. Ces études restent parcellaires et ne concernent que la sous-traitance au secteur privé de certains types de services concernant certaines catégories de travailleurs.

Néanmoins, Bruno Le Maire part du constat qu’il existe bien une offre qui correspond à une demande, mais que le problème réside dans un souci d’adéquation entre l’offre et la demande.  Ainsi, la solution qu’il préconise de confier le placement de chômeur à des entreprises privées répondrait à ce soucis de chômage naturel. N’est-ce pas qu’une partie du problème ? Quelle part représente ce type de chômage ? Quelles sont les limites de son analyse ?

Les problèmes d’inadéqution entre l’offre et la demande sont bien documentés, ainsi d’ailleurs que la relative inefficacité de services comme pôle emploi. Cela étant dit, le taux naturel de chômage en France est élevé à cause de multiples facteurs, notamment la prégnance des conventions collectives, le niveau élevé du SMIC, la taxation excessive du travail et la réglementation de l’emploi. L’inadéquation entre l’offre et la demande n’est pas seulement due au mode de fonctionnement de pôle emploi mais aussi à diverses entraves à la mobilité géographique et professionnelle tenant au code du travail, au code du commerce, au marché du logement, etc. Vouloir améliorer le fonctionnement de pôle emploi est louable mais ce n’est qu’une petite partie du problème du chômage structurel en France. Et une composante non négligeable, deux à trois points, s’explique par des facteurs conjoncturels.

On peut, au mieux espérer réduire le chômage de 0.5 à 1 point avec de telles mesures.

N’y a-t-il pas le risque que quelques sociétés privées saisissent le marché juteux des chômeurs au dossier les plus faciles mais pas ceux des plus difficiles et ainsi créer un traitement du chômage à deux vitesse ? Quels seraient les facteurs influents pour éviter cette situation ?

Ce risque existe et semble s’être matérialisé dans le cas de l’expérience australienne de privatisation du service public de l’emploi à la fin des années 1990. Néanmoins, cela ne prouve pas qu’un service public aurait fait mieux. Après tout, 40 % des chômeurs en France sont de longue durée, contre 20 % en Australie ! De plus, dans la mesure où les sociétés privées de placement sont des prestataires pour l’Etat, libre à celui-ci de structurer ses appels d’offre de manière à mieux rémunérer le placement des chômeurs de longue durée relativement aux chômeurs de longue durée. La performance de ces entreprises doit être évaluée intelligemment, en prenant en compte non seulement celle de leurs concurrents mais aussi la composition du groupe de chômeurs traités par une entreprise en particulier.

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