Accord sur les "femmes de réconfort" : la Chine doit-elle s’inquiéter du rapprochement entre le Japon et la Corée du Sud ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Corée du Sud et le Japon ont entériné un accord historique sur la question des "femmes de réconfort", ces Coréennes utilisées comme esclaves sexuelles dans l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale
La Corée du Sud et le Japon ont entériné un accord historique sur la question des "femmes de réconfort", ces Coréennes utilisées comme esclaves sexuelles dans l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale
©Reuters

Corée âme

Alors que la Corée du Sud et le Japon ont entériné cette semaine un accord historique sur la question des "femmes de réconfort", ces Coréennes utilisées comme esclaves sexuelles dans l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, le rapprochement entre les deux géants asiatiques n’est pas pour rassurer la Chine. Toutefois, le chemin est encore long avant que Pékin ne s’inquiète vraiment de la situation.

Valérie Niquet

Valérie Niquet

Valérie Niquet est Maître de recherche et responsable du pôle Asie à la FRS.  Elle est l'auteure du livre "La puissance chinoise en 100 questions" aux éditions Tallandier.

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Pascal Dayez-Burgeon

Pascal Dayez-Burgeon

Pascal Dayez-Burgeon est historien et ancien diplomate.

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Atlantico : Quelles peuvent être les conséquences géopolitiques en Asie de ce début de rapprochement entre le Japon et la Corée du Sud ?

Pascal Dayez-Burgeon : Un rapprochement entre la Corée du Sud et le Japon est très important dans la région dans la mesure où la puissance dominante économiquement et politiquement est désormais la Chine. La Chine renoue avec sa puissance millénaire, et les puissances régionales qui font face à la Chine se rapprochent naturellement des autres pour résister, avec les Etats-Unis en arrière-garde. Le rapprochement éventuel entre le Japon et la Corée du Sud peut effectivement préfigurer une réorganisation régionale dans les années à venir. Il ne faut pas oublier non plus la Corée du Nord, qui prend maintenant ses distances avec la Chine. Elles sont théoriquement de la même idéologie, mais leurs leaders ne s’entendent pas. Le Japon essaye timidement de se rapprocher de la Corée du Nord, et la Russie joue aussi un rôle dans tout cela, Séoul et Pyongyang entretenant de bonnes relations avec la Russie. En quelque sorte, tous ceux qui peuvent faire contrepoids à l’influence de Pékin sont très importants, et cette première étape de rapprochement entre Corée du Sud et Japon est effectivement importante. Il y en aura d’autres à franchir, puisqu’il existe encore d’autres contentieux très violents. Mais celui-là est bien entendu non négligeable.

Valérie Niquet : L’accord signé le 28 décembre entre le Japon et la Corée du Sud est un pas en avant très positif. Le Japon a su faire preuve de pragmatisme en hiérarchisant les enjeux auxquels il fait face. Sur la scène internationale, jusqu’aux Etats-Unis, son image pâtissait de la gestion difficile de la question des femmes de réconfort en Corée. Par ailleurs, l’accord précise que la question est désormais définitivement réglée et ne sera pas portée devant des instances internationales. Il s’agissait de répondre par avance à la volonté de Pékin de présenter un dossier commun avec la Corée du Sud auprès de la commission "mémoires de l’humanité" de l’UNESCO. Enfin, même si on peut supposer que les Etats-Unis ont joué un rôle dans la décision, avec la signature de cet accord, le premier ministre Shinzo Abe démontre sa capacité à imposer une vision stratégique, au-delà des oppositions qui peuvent s’exprimer sur la scène intérieure. C’est toutefois en Corée du Sud que l’opposition sera peut-être la plus virulente, contre une présidente accusée de brader, comme son père l’avait fait, les intérêts de la Corée.

La Chine doit-elle craindre de voir les deux grands alliés des Etats-Unis dans la région se rapprocher l'un de l'autre, elle qui souhaite développer son influence dans cette partie du globe ?

Valérie Niquet : Pour Pékin, dont la stratégie consiste à affaiblir les alliances héritées de la guerre froide entre les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud en soulignant les dissensions entre Tokyo et Séoul, cet accord est un échec. Un de plus dans une stratégie chinoise en Asie fondée sur la confrontation, qui s’est révélée très contre-productive jusqu’en Asie du Sud-Est où la méfiance à l’égard de la Chine s’est également renforcée. La RPC espérait consolider avec la Corée du Sud un partenariat stratégique fondé sur un mémoire historique commune et un positionnement très anti-japonais. La décision de la présidente Park montre les limites de cette stratégie chinoise de division, en dépit des liens d’interdépendance économique étroits tissés entre Séoul et Pékin.

Cet accord symbolique pour les femmes de réconfort est-il plus important pour le Japon ou pour la Corée du Sud ?

Pascal Dayez-Burgeon : C’est un accord symbolique mais aussi historique, dans la mesure où les femmes de réconfort étaient sans doute au nombre de 200000 et ne sont plus aujourd’hui qu’une soixantaine. Il faut donc se dépêcher. Toute la région est encore très marquée par la Seconde Guerre mondiale. Elle est toujours régie par l’ordre de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide, mais est en train d’en sortir. Il fallait donc absolument résoudre cette question avant qu’il ne soit trop tard. 2015, c’est déjà assez tard : 70 ans après les faits ! Pour la Corée du Sud, c’est évidemment une victoire dans la mesure où beaucoup de Coréennes, peut-être la majorité, ont été réduites en esclavage sexuel. C’est tout aussi important pour le Japon, car on ne peut pas passer toute sa vie à nier. Le Japon est dans le déni systématique de ce qui s’est produit. Tout est sous le boisseau depuis 70 ans. Quand on interroge des jeunes Japonais, certains ne savent même pas ce qu’il s’est passé à Hiroshima et disent que c’est une histoire de vieux. Donc le Japon ne pouvait pas renoncer à ce point-là à sa mémoire. Il est important que le Japon fasse maintenant ce qu’avait fait l’Allemagne dans le temps, à savoir une sorte de travail sur lui-même. Pourquoi avons-nous fait ce que nous avons fait ? Pourquoi avons-nous envahi le monde, commis des crimes de guerre ? L’un d’eux était les femmes de réconfort, mais ce n’était pas le seul ! Il y a des gens qui ont été massacrés, il y a eu des camps de concentration, des expérimentations chimiques sur des êtres humains, des choses horribles… Pourquoi certains Japonais ont-ils fait cela ? Le Japon n’a pas encore fait le travail qu’a fait l’Allemagne. Il est grand temps de le faire maintenant.

Peut-on dire que c’est un très joli coup politique réalisé par la présidente sud-coréenne Park Geun-hye ?

Pascal Dayez-Burgeon : C’est un coup politique qu’elle prépare depuis un certain temps et qui lui est indispensable car elle est dans une très mauvaise situation. L’économie sud-coréenne patine et les promesses qu’elle a faites n’aboutissent pas, donc on lui en veut. D’un point de vue politique, on la considère dans l’opposition comme une menace contre la démocratie. A cause de ses origines bien sûr, puisqu’elle est la fille de l’ancien dictateur Park Chung-hee, mais aussi parce qu’elle prend des décisions étranges et il n’est pas certain que son élection ait été totalement exempte de tricherie. Donner cette satisfaction nationaliste à l’opinion sud-coréenne, puisque le véritable ennemi de la Corée du Sud est le Japon et non pas la Corée du Nord, redore évidemment son blason. Elle a en ligne de mire les élections législatives du printemps 2016. Elle avait la réputation de gagner toujours ses élections, or maintenant on se demande si celle qu’on appelait autrefois « la reine des élections » ne va pas être détrônée en avril 2016. Si c’est le cas, la boîte de Pandore sera ouverte. Il n’est pas impossible qu’il y ait des manifestations et des mesures d’impeachment qui soient prises contre elle. Elle va donc jouer là-dessus et activer deux leviers : l’antagonisme avec le Japon et la menace de la Corée du Nord. Si le Nord se montre menaçant, elle pourra toujours faire jouer l’opinion nationaliste et conserver à l’arrachée la majorité.

Le conflit territorial qui persiste entre les deux pays au sujet des îles Dokdo (en coréen) ou Takashima (en japonais) peut-il mettre à mal ce début de rapprochement ?

Valérie Niquet : Le conflit territorial entre la Corée du Sud et le Japon sur les îles Dokdo n’est pas résolu. Il peut constituer un irritant entre les deux Etats. Toutefois, les Dokdo sont administrées par la Corée du Sud et, à moins d’une offensive japonaise peu probable, la situation peut difficilement dégénérer. En revanche, en dépit des garanties offertes par l’accord du 28 décembre, on ne peut exclure que de nouvelles flambées de nationalisme en Corée du Sud, y compris dans un contexte de politique intérieure tendue, ne réveillent à nouveau les tensions avec le Japon sur les questions historiques. 

Pascal Dayez-Burgeon : Oui, dans la mesure où d’un point de vue symbolique, c’est la même histoire. C’est un territoire coréen que certains nationalistes japonais réclament, mais pas le gouvernement. Tant que ce ne sera pas tranché, les Sud-Coréens ne le supporteront pas. Mais l’affaire Dokdo est surtout liée à autre chose : le nom de la mer qui sépare le Japon de la Corée. Les Coréens l’appellent la « mer de l’Est » et les Japonais la « mer du Japon ». C’est un contentieux terrible, très intense. L’entreprise Ikea qui avait ouvert un magasin à Séoul et qui avait mis une carte murale avec l’expression « mer du Japon » a fait l’objet d’un boycott et a dû fermer ses portes parce que c’est insupportable pour les Sud-Coréens. Tant que ce contentieux ne sera pas réglé, on aura beaucoup de gens qui trouveront que le Japon n’est pas fréquentable et qu’on ne peut pas s’allier avec lui. Mais la diplomatie fonctionne par petits pas. Il est probable qu’on puisse s’arranger là-dessus aussi et que les Japonais renonceront aux îles Dokdo. En revanche, je les vois mal renoncer à l’expression « mer du Japon ». Enfin, et le Japon ne pourra jamais l’effacer, les Coréens ne pardonnent pas aux Japonais de les avoir colonisés ! Ici, c’est une question de temps. Quand plus personne n’aura vécu la période de la colonisation (jusqu’en 1945), les blessures pourront peut-être se refermer. Pour le moment, le souvenir reste très vivace et les femmes de réconfort sont les derniers témoins de cette occupation.

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