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"Neandertal : à la recherche des génomes perdus" : la longue quête pour en savoir plus sur un vieux cousin
©Reuters

Bonnes feuilles

Le séquençage du génome de Neandertal réalisé en 2009 est une découverte qui constitue une véritable révolution scientifique. Les conclusions de Svante Pääbo n’ont pas seulement redessiné notre arbre généalogique, mais remodelé les fondements de l’histoire de l’humanité – les débuts biologiques des Homo sapiens pleinement modernes, ancêtres directs de tous les humains aujourd'hui vivants. Extraits de "Neandertal : à la recherche des génomes perdus", de Svante Pääbo, aux éditions Les liens qui libèrent (2/2).

Svante Pääbo

Svante Pääbo

Svante Pääbo est l'un des plus grands scientifiques contemporains. Généticien évolutionniste suédois, directeur du Département de Génétique à l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste à Leipzig, en Allemagne, il est l’un des pères fondateurs de la paléo-génétique et publie régulièrement dans les revues Sciences ou Nature. Le Times l’a récemment classé parmi les 100 personnalités mondiales les plus influentes.

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Nous avons démarré le plus vite possible le séquençage de l’ADN nucléaire à partir des bibliothèques que Johannes avait préparées avec l’os. Les résultats ont été incroyables. Quand Udo a cartographié les fragments d’ADN au regard du génome humain, il a trouvé des correspondances pour presque 70 % d’entre eux. Pourtant, à en juger par l’ADNmt, la contamination par l’ADN humain moderne était extrêmement faible.

Cela signifiait que plus des deux tiers de l’ADN dans l’os étaient endogènes! En comparaison, nos meilleurs restes de Néandertal n’avaient donné que 4 % d’ADN. En général, la proportion était même inférieure à 1 %. Cet os était aussi bien conservé que le mammouth de Hendrik Poinar ou l’Esquimau séquencé par Eske Willerslev à Copenhague. Ces deux spécimens avaient été congelés dans le permafrost rapidement après leur décès. C’est pourquoi la majorité de leur ADN n’était pas d’origine bactérienne. Mais je ne comprenais pas pourquoi l’individu de la grotte de Denisova avait produit autant d’ADN. Quelle que fût l’explication, cette situation a vraiment facilité l’analyse du génome. Notre plus gros problème était de nous débarrasser des fragments d’ADN microbien, alors que, lorsque nous avions séquencé le génome de Néandertal, nous nous étions démenés pour pêcher les rares morceaux d’ADN endogènes. À présent, la grande question était positive : jusqu’où allions-nous pouvoir explorer le génome nucléaire? Comme toujours, nous ne voulions pas nous servir de la surface du fragment d’os. D’abord, il semblait irresponsable de l’épuiser en totalité, puisque nous ne savions pas quelle quantité du plus gros fragment Eddy et son équipe de Berkeley avaient utilisée. Ensuite, si une partie de l’os avait été contaminée par ceux qui l’avaient manipulé, c’était certainement la surface. Johannes a donc choisi l’intérieur de l’os pour produire deux extraits. Après avoir testé les bibliothèques préparées à partir de ces extraits d’ADN, Martin Kircher a estimé que nous serions capables d’obtenir une couverture du génome meilleure encore que pour l’homme de Néandertal.

Quand Johannes a créé les bibliothèques, il s’est servi d’une des innovations d’Adrian Briggs pour régler la question des dommages chimiques qui avaient transformé les nucléotides C en nucléotides U. Adrian avait montré que la plupart de ces nucléotides U étaient situés près des extrémités des molécules d’ADN ancien, et il avait trouvé un moyen de se débarrasser de ces pointes endommagées. Ce faisant, il perdait en moyenne un ou deux nucléotides aux deux bouts d’environ la moitié des molécules anciennes, mais il se débarrassait aussi de l’immense majorité des erreurs dans les séquences d’ADN. Puisqu’il n’était plus nécessaire de prendre en compte les nombreuses erreurs où C était lu T, la cartographie des fragments au regard du génome humain était plus facile. Johannes a créé deux grandes bibliothèques avec cette méthode. Non seulement près de 70 % de leurs fragments d’ADN provenaient de l’individu de Denisova, mais ces fragments contenaient beaucoup moins d’erreurs que ceux de Neandertal. C’était un vrai progrès. Pourtant, j’étais inquiet : je savais que l’équipe d’Eddy travaillait probablement sur le même projet; peut-être même était-elle en train de terminer un bel article présentant le génome. J’essayais donc de faire avancer les choses le plus vite possible : j’ai demandé aux équipesde séquençage de négliger les autres projets afin de séquencer ces bibliothèques aussi rapidement qu’elles le pourraient.

J’étais également très intrigué par la drôle de forme de la dent qu’Anatoli nous avait donnée. Seul un travail sur l’ADN pourrait nous dire si elle provenait du même type d’individu que l’os du petit doigt. Aussi précautionneux qu’un dentiste soignant un patient vivant, Johannes a foré un petit trou dans la dent. Avec la poudre, il a créé des extraits, puis des bibliothèques à partir de leurs fragments d’ADN. Dans ces bibliothèques, il a ensuite cherché les fragments d’ADNmt. De plus, nous avons immédiatement séquencé des fragments d’ADN pris au hasard dans les bibliothèques pour voir quelle proportion d’ADN était endogène.

Il y a eu une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne : Johannes avait réussi à reconstruire le génome complet de l’ADNmt. Il y avait deux différences entre la dent et l’os du doigt, ce qui voulait dire qu’ils venaient de deux personnes différentes, mais qu’il s’agissait de deux humains du même type.

La mauvaise : le taux d’ADN endogène dans la dent était seulement de 0,2 %. Nous avons alors été encore plus intrigués par l’énorme taux d’ADN endogène contenu dans l’os. Je pensais que ce dernier avait dû se dessécher rapidement après la mort, ce qui avait limité la dégradation de l’ADN par des enzymes dans les cellules mourantes et stoppé la prolifération des bactéries. J’en plaisantais : l’individu était peut-être mort le petit doigt en l’air, rapidement momifié avant que les bactéries aient pu se multiplier.

Maintenant que nous avions montré que la dent provenait du même type d’humain que le doigt, Bence s’est lancé à corps perdu dans l’analyse de sa morphologie. Bien que je ne sois pas un expert des dents, je trouvais tout de même celle-ci d’une taille impressionnante. Presque 50 % plus grosse que mes molaires.

Bence a souligné que ce qui la distinguait de la plupart des molaires des hommes de Néandertal, outre sa dimension, était à la fois la présence et l’absence de certaines caractéristiques dans sa couronne. Ses racines aussi étaient inhabituelles. Contrairement à celles des molaires néandertaliennes, qui sont très proches ou ont même parfois fusionné, elles étaient très écartées. Cette morphologie de dent, a conclu Bence, laissait penser que la population de Denisova était distincte des hommes de Néandertal et des humains modernes. En fait, puisque cette dent ne possédait pas certains traits des Néandertaliens apparus il y a 300000 ans, il a présumé que les ancêtres des individus de Denisova avaient divergé plus tôt. Cela concordait avec ce que nous apprenait l’ADNmt. Mais je suis toujours prudent – certains diraient même exagérément sceptique – avec l’interprétation de caractéristiques morphologiques. Peut-être les hommes de Denisova avaient-ils retrouvé des dents plus anciennes après s’être séparés des humains modernes ou des Néandertaliens. Seul le génome nucléaire pourrait nous donner le fin mot de l’histoire.

Extrait de "Neandertal : à la recherche des génomes perdus",des éditions Les liens qui libèrent, de Svante Pääbo, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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