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Smart et les 35h : quand la rigidité des syndicats génère une situation qui pénalise aussi bien les entreprises que les salariés
©Reuters

Contre-productif

90% des employés de l'usine Smart à Hambach, en Moselle, ont signé l'avenant du contrat portant sur une augmentation du temps de travail à 39 heures par semaine et payées 37 heures. Sans ce pacte, Smart menaçait la fermeture de l'entreprise.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : Dans le détail, les conditions de ce pacte répondent à celles soumises au référendum qui avait été organisé en septembre dernier. Quel a été le rôle des syndicats dans l'élaboration de ces conditions nouvelles de travail ?

Hubert Landier : Je pense que la Direction de Smart a voulu opposer les réactions individuelles des salariés, qui étaient très naturellement des réactions de peur devant l’éventualité de se retrouver au chômage, au choix qui a été fait par les syndicats majoritaires au nom de leurs mandants. Devant cette contradiction il est un peu facile d’affirmer que les syndicats sont ringards ou qu’ils mènent, pour des raisons idéologiques, une politique contradictoire avec ce que souhaitent les salariés. En fait, il se trouvent confrontés à une situation très difficile pour eux puisqu’il leur est demandé de renoncer à des « avantages acquis » dans l’espoir de préserver les emplois.

Pour renoncer à ces avantages acquis, il faut qu’ils soient convaincus qu’il ne peut en être autrement. Cela les oblige à mettre le nez dans les dossiers économiques. Et cela n’est pas facile, surtout quand ils se méfient de la Direction. C’est à celle-ci de leur exposer toutes les données de la situation. Il y faut de la pédagogie. Ce n’est que petit à petit que se crée la confiance. Et ce n’est certainement pas en organisant un référendum tendant à les court-circuiter, puis à passer outre leur réaction d’opposition en s’adressant directement à chacun des salariés.

Je crains que la Direction de Smart ne soit confrontée d’ici peu à deux sortes de problèmes : d’une part, avec les syndicats, avec lesquels elle a engagé une relation fondée sur la confrontation ; d’autre part avec les salariés, qui n’auront eu d’autre choix que de s’incliner devant la décision de la Direction et qui pourraient être tentés de réagir par un comportement individuel de désengagement. Or, en 39 heures, un salarié désengagé peut de montrer beaucoup moins productif qu’un salarié fortement motivé en 35 heures.


Ce "pacte 2020", approuvé par le référendum à 56% (74% pour les cadres et 38% pour les ouvriers) avait été mis en échec par la CGT et la CFDT. Comment ces derniers auraient-ils pu améliorer les conditions proposées entre le référendum et le contenu de ces avenants ? Existe-t-il des exemples où pour des situations similaires, syndicats et direction ont pu intelligemment élaborer des solutions ?

Bien entendu. Je prendrai l’exemple de l’intersyndicale (CFDT, SUD et CFTC) de l’usine Bosch de Mondeville, qui a négocié un accord de modération salariale contre des garanties en ce qui concerne le maintien de l’emploi. Cet accord a été précédé de tout un travail entre le management et les représentants du personnel en vue de mettre tout le monde dans le coup en ce qui concerne les conditions de la sauvegarde du site ; ensuite, les trois syndicats présents dans l’usine ont travaillé ensemble en vue de parvenir à des propositions commune tout en tenant compte de leurs spécificités ; et enfin, le projet d’accord a été soumis par les syndicats à un référendum auprès des salariés qui a permis de le valider à une majorité de plus de 90%.

L’accord ainsi conclu trouve donc sa légitimité à la fois dans le travail qui a été accompli par l’intersyndicale et par sa validation par les salariés. Les représentants du personnel se sont ainsi posés en tant que partie prenante du devenir de l’usine. On est loin de la posture d’opposition a priori aux décisions de la Direction. Bien entendu, pour aboutir à un tel résultat, il faut que la Direction accepte ce jeu. J’ai tendance à penser que, au moins à terme, il s’agit d’une politique plus efficace que celle qui consiste, avec l’aide de juristes, à essayer de contourner les syndicats et à placer les salariés devant une sorte d’ultimatum : ou bien vous acceptez, ou bien on délocalise. Ce comportement est parfaitement ringard. Il va totalement à l’encontre du rapport sur le dialogue social dans lequel l’Institut de l’entreprise affirme que celui-ci constitue un facteur de la performance globale et durable de l’entreprise. Je m’étonne fort de ce qu’une entreprise dont l’actionnariat est allemand comme Smart ait pu adopter un tel comportement. Il faudra qu’on m’explique.

Quelles failles cet épisode révèle-t-il du rôle des représentants des salariés en France ?

Le choix est entre deux conceptions des rapports sociaux. Soit la Direction considère que les syndicats sont a priori des adversaires et inversement ; et ça nous donne des relations conflictuelles comme chez Smart. Ou bien Direction et syndicats s’engagent dans un effort de partenariat et dans la recherche de solutions tenant compte des contraintes et des préoccupations des uns et des autres. Ce n’est pas facile, mais l’exemple de Bosch montre que c’est possible. Je pense que c’est la solution souhaitable dans la mesure où elle crée une dynamique associant la Direction, les syndicats et l’ensemble du personnel dans un projet commun, même si un tel consensus reste toujours fragile. Cela demande à la fois un changement de regard, d’un côté comme de l’autre, et beaucoup de pédagogie : pédagogie de la Direction à l’égard de ses interlocuteurs, pédagogie des représentants du personnel à l’égard de leurs mandants.

En bref, ou bien on continue comme avant, ou bien on essaye d’inventer des relations sociales un peu plus intelligentes, ce qui, dans le contexte où nous sommes, me paraît absolument indispensable.

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