Sinead O'Connor ou le craquage en direct sur Facebook : comment les réseaux sociaux doivent être intégrés dans la détection et le soin de la dépression<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
Sinead O'Connor sur scène.
Sinead O'Connor sur scène.
©Facebook/Sinead O'Connor

Vous avez dit réseaux ... sociaux ?

Trois jours seulement après avoir annoncé sur Facebook sa volonté de mettre fin à ses jours par overdose, la célèbre interprète de la reprise de Nothing Compares 2U de Prince s'est une nouvelle fois épanchée sur les réseaux sociaux et a réglé ses comptes avec ses proches. Les réseaux sociaux sont en effet en partie responsables de nombreuses dépressions ou volontés de se suicider.

Michael Stora

Michael Stora

Michael Stora est l'auteur de "Réseaux (a)sociaux ! Découvrez le côté obscur des algorithmes" (2021) aux éditions Larousse. 

Il est psychologue clinicien pour enfants et adolescents au CMP de Pantin. Il y dirige un atelier jeu vidéo dont il est le créateur et travaille actuellement sur un livre concernant les femmes et le virtuel.

Voir la bio »

Atlantico : Le pétage de plomb de Sinead O’connor est-il révélateur de ce qu’on appelle la dépression Facebook ?

Michael Stora :Non cela n’a rien à voir car nous avons à faire dans ce cadre là à une histoire individuelle. C’est une femme qui a en outre une certaine fragilité. Je ne crois pas que Facebook soit à l’origine de ce type de pétage de plomb. En revanche, d’une manière générale, oui il peut-être en responsable. Une étude a été réalisée par des Danois à ce sujet. Ces derniers ont demandé à 1 000 personnes d’arrêter Facebook pendant une semaine, et les tests liés à l’émotion et aux humeurs ont montré qu’ils se sentaient beaucoup mieux lorsqu’ils se passaient de réseaux sociaux. 

Sur les réseaux sociaux, les internautes montrent une image d’eux-même totalement idéalisée et très positive. Lorsque nous sommes nous même pris par des sentiments négatifs ou de colère, cette image positive et superficielle que nous cherchons à donner ne tient pas très longtemps. Finalement la réalité est-ce ce nous appelons en psychologie le contre-investissement maniaque, c’est à dire, de chercher à donner une image positive, alors que nous n’allons pas bien et arrivons à moment ou un autre, où la réalité nous rattrape. 

Sur les réseaux sociaux se joue le jeux de l’hypocrisie sociale. Nous sommes dans un espace idéalisé, où la pensée « so amazing and so nice » des américains est d’une certaine manière étouffante, et peut nous conduire, parfois, à une folie passagère. Refuser à tout prix le négatif peut engager des vrais pétages de plomb ou des dépressions. 

Accusés justement d’être à l’origine de jouer un rôle nuisible dans le suicide de plusieurs adolescent victimes de harcèlement, les réseaux sociaux pourraient-ils a contrario s’avérer salvateurs dans la détection de signes dépressifs? 

Oui tout à fait. Je suis d’autant plus convaincu qu’il s’agit de mon métier. Je travaille pour deux réseaux sociaux et ai dirigé des cellules psychologiques. Ma mission consiste à faire un travail de veille autour de paroles d’adolescents très inquiétantes. Parfois nous avons été jusqu’à prévenir la cyber police, afin qu’avec le numéro IP elle puisse intervenir chez les personnes concernées. 

Le gros problème est que cette modération psychologique n’existe pas sur la plus part des grands réseaux sociaux, pour des raisons entre autre économiques : un suivi coute cher.Mais aussi parce que, en dehors de leur discours humanistes, dans la réalité, la dimension citoyenne des dirigeants des réseaux sociaux est à remettre en question. Ils misent tout sur la « modération entre pairs », c’est à dire penser que si quelqu’un évoque son envie de mourir, ce sont ces amis et les autres qui vont le sauver. Sauf que nous avons toujours dans nos amis des ennemis, des personnes terriblement sadiques qui pourraient même pousser quelqu’un à mettre fin à ses jours. Nous avons déjà pu le voir. La modération entre pairs ne se suffit pas à elle-même, il faut certes un soutien entre pairs, mais une modération par des spécialistes. Il serait important que la plus part des grands sociaux ait une responsabilité citoyenne par rapport au fait qu’ils ont à faire à des êtres humains et que certains vont très mal. A un moment, il faut que des spécialistes interviennent.

Pourquoi rien n’est fait pour prévenir davantage les suicides sur les réseaux sociaux ? De quoi disposons-nous pour agir ?

Ce sont des propos que j’ai tenu au niveau de la commission européenne devant tous les grands directeurs de communication des grands réseaux sociaux. Il y a de la part de ces personnes là un grand déni dramatique.

En France, nous avons des choses qui commencent à être légiférées (par exemple sur la diffusion de photo avec arme, ou des femmes dénudées…), mais concernant l’assistance en personne en danger, nous n'avons rien. Beaucoup d’adolescents vont sur les réseaux sociaux pour évoquer leur malaître, voire le désir d’en finir, mais rien ne peut être fait au niveau national. Si quelqu’un qui évoque son envie de mourir, les responsables des réseaux vont jouer sur le fait que c’est à l’entourage d’aider, alors que dans la réalité ce n’est pas le cas. Au contraire, nous avons vraiment vu des cas ou des personnes encourageaient l’autre à mourir. Internet c’est le meilleur et le pire.

Nous disposons de moteurs de recherche avec des mots clés associés qui fait que nous pouvons de manière assez fine repérer des paroles très inquiétantes et nous pouvons intervenir. C’est possible mais nous le faisons pas. Une des premières missions des cybers policiers est la prévention et la protection des mineurs.

C’est une problématique de loi, mais aussi de finance. On a pu voir sur youtube, des jeunes qui cherchent à se tuer devant la caméra, qui se brulent une partie de leur corps, et rien n’est fait. Nous restons impuissants. 

Aujourd’hui, la parole des jeunes se situent au sein des réseaux sociaux, c’est pour cela qu’il s’agit d’un endroit important.Les réseaux sociaux peuvent être un révélateur ce qu’est l’être humain dans toute sa mechanceté.

On peut peut être imaginer que petit à petit les réseaux sociaux vont prendre les choses en main, mais aujourd’hui je ne vois pas de prise de conscience ni de réflexions sur ce sujet.

Concrètement, à partir de quand faut-il s’inquiéter ou agir dans le cas d’un suicide ?

En général, c’est très clair. Les signes d’un désir suicidaire ressemblent à une dépêche AFP, à savoir une annonce courte. Ils posteront tout simplement le fait qu’ils ont l’intention de se tuer. Dans ce cas là, il faut alerter la cyber police qui peut intervenir chez la personne à partir du numéro IP.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !