Ces médicaments qui trouvent un usage totalement différent de ce pour quoi ils ont été conçus<!-- --> | Atlantico.fr
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Le disulfirame vient d'être utilisé pour lutter contre le sida.
Le disulfirame vient d'être utilisé pour lutter contre le sida.
©Wikipédiacommons

Coktail de médicaments

Un médecin a le droit d'engager sa responsabilité et de prescrire un médicament hors de son usage initial car certains ont des vertus insoupçonnées. Le disulfirame utilisé pour traiter l’alcoolisme permettrait par exemple de faire un pas supplémentaire vers un traitement pour le Sida.

Jean-Paul Giroud

Jean-Paul Giroud

Le Pr Jean-Paul Giroud est l'un des spécialistes les plus reconnus en pharmacologie. Membre de l'Académie nationale de Médecine, de la commission d'Autorisation de Mise sur le Marché, de la Commission de pharmacovigilance et expert auprès de l'OMS, il est également l'auteur de plusieurs livres, dont "Médicaments sans ordonnance : les bons et les mauvais" Editions de la Martinière.

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Atlantico : Le disulfirame est un produit synthétisé depuis les années 50, et utilisé depuis les années 2000 pour traiter l’alcoolo-dépendance. Mais, il vient d'être utilisé pour lutter contre le sida. L’équipe de Sharon Lewin, a mené un essai clinique de phase 2 sur une trentaine de patients séropositifs, et a permis de confirmer que le disulfirame permettait bel et bien de stimuler le VIH dormant, sans effets secondaires pour les malades. Cette annonce peut elle être prise au sérieux ?

Jean-Paul Giroud : Le traitement du SIDA est un cocktail de médicaments appelé trithérapie permettant de garder le contrôle du virus chez les patients séropositifs. Cela ne leur débarrasse pas du virus qui reste dans le corps des personnes traitées. Il reste ainsi sous une forme dormante. Il a été démontré que le disulfirame pouvait réveiller le virus. Mais il ne suffit pas de le réveiller, il faut également le tuer. C'est un travail de longue haleine qui attend encore les chercheurs. Certes cette découverte peut être prometteuse mais elle est totalement insuffisante à l'heure actuelle. S'il y a des résultats une faible de toxicité, il faudra attendre encore au moins 5 ou 6 ans une véritable avancée thérapeutique.

Est-ce fréquent que des médicaments soient utilisés à d'autres fins que celle de départ ? Quels sont les exemples les plus marquants de la médecine ?

L'utilisation de médicaments pour une autre fin que celle prévue initialement vient du hasard ou est basé sur des constats cliniques. Dans le cas de la tuberculose, un médicament utilisé pour la soigner entrainait un certain nombre d'effets indésirables comme l'excitation, des insomnies et autres stimulations intenses. Le médicament n'a donc plus été utilisé à cet effet mais pour soigner la dépression. L'iproniazide utilisé contre la tuberculose va être utilisé comme antidépresseur (iproniazide toujours utilisé comme antidépresseur sous le nom Marsilid). Mais il peut encore entraîner un certain nombre de troubles psychiques tels l'hyperactivité, l'euphorie ou l'insomnie voire même des convulsions. Autre exemple dans le domaine de la psychiatrie. Avant les années 50 il n'y avait pas de médicaments dits psychotropes.  En utilisant un antihistaminique, la prométhazine (Phenergan), un médecin français constate que son administration supprime des états d'agitation. On va alors développer un dérivé voisin la chlorpromazine qui sera le premier psychotrope, c'est-à-dire un médicament qui va agir sur le cerveau. Il permettra de traiter les schizophrènes et les états maniaques.

La fréquence de ces découvertes est néanmoins faible. C'est lié à des études pharmacologiques et d'études cliniques. Les sulfamides ont été la première chimiothérapie anti-infectieuse. On les utilisait en particulier pour traiter la fièvre typhoïde. Ce médicament a cependant eu pour conséquence d'entrainer des crises d'hypoglycémies, une chute du taux de sucre dans le sang. Certains chercheurs ont donc essayé d'utiliser ce médicament pour faire baisser le taux de sucre chez les diabétiques. Mais tous les médicaments faisant baisser le taux de sucre ne peuvent être considérés comme des antidiabétiques. Les premiers hypoglycémiants ont pu cependant être découverts, les sulfamides hypoglycémiants.   

La thalidomide, synthétisée en Allemagne dans les années 50 60, était un sédatif utilisé contre les nausées notamment pour les femmes enceintes. On s'est rendu compte que ce produit entrainait des malformations très importantes pour le fœtus (des raccourcissements des bras, des mains, et autres modifications importantes sur le plan embryologique). Des enfants naissaient sans leur membre, c'était épouvantable. Ce médicament a été retiré du marché. Par la suite, en faisant des expériences sur des animaux, on s'est rendu compte qu'il avait des propriétés immunomodulatrices. Il a donc été remis sur le marché pour traiter des infections très graves dont le myélome multiple, des lymphomes et même la lèpre ou le mélanome métastatique. On est donc passé d'un produit contre les anxiétés et les nausées à un produit contre un certain nombre de cancers.

Le mauvais usage d'un médicament peut néanmoins présenter des risques. Ces médicaments sont-ils plus efficaces dans leur utilité seconde que première ?

Dans certains cas oui mais on ne peut pas faire de généralité à ce sujet. Ce qui est important c'est que l'on trouve de nouvelles activités. Dans les années 50 il y avait un produit qui était le métronidazole, c'est le Flagyl, utilisé pour traiter l'amibiase. On s'est rendu compte que 15 ou 20 ans plus tard que c'était également un antibactérien. On s'est également rendu compte il n'y a pas longtemps qu'il pouvait être efficace pour lutter contre l'acné rosacée.

Faut-il investir davantage dans la recherche sur les médicaments déjà existants aux vertus insoupçonnées ?

C'est certain qu'il y a un grand nombre de molécules qui ont été synthétisées mais qui n'ont pas été testées dans d'autres angles. On recherche un antibactérien que l'on utilise contre les bactéries sans se poser la question des autres problèmes de santé. Il y a donc sûrement un tas de molécules que l'on connait actuellement et qui pourraient être utilisées contre des infections que l'on ne sait pas encore traiter".

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