Attentats de Paris : comment les réseaux sociaux nous ont aussi rendu idiots<!-- --> | Atlantico.fr
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Beaucoup d’internautes ont malheureusement le réflexe de retweeter d’abord et de réfléchir ensuite.
Beaucoup d’internautes ont malheureusement le réflexe de retweeter d’abord et de réfléchir ensuite.
©Reuters

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Les attentats de Paris ont permis de mettre en lumière le meilleur comme le pire des réseaux sociaux, car ils ne nous permettent pas toujours de prendre le recul nécessaire sur les événements.

Michael Stora

Michael Stora

Michael Stora est l'auteur de "Réseaux (a)sociaux ! Découvrez le côté obscur des algorithmes" (2021) aux éditions Larousse. 

Il est psychologue clinicien pour enfants et adolescents au CMP de Pantin. Il y dirige un atelier jeu vidéo dont il est le créateur et travaille actuellement sur un livre concernant les femmes et le virtuel.

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David Fayon

David Fayon

David Fayon est responsable de projets innovation au sein d'un grand Groupe, consultant et mentor pour des possibles licornes en fécondation, membre de plusieurs think tank comme La Fabrique du Futur, Renaissance Numérique, PlayFrance.Digital. Il est l'auteur de Géopolitique d'Internet : Qui gouverne le monde ? (Economica, 2013), Made in Silicon Valley – Du numérique en Amérique (Pearson, 2017) et co-auteur de Web 2.0 15 ans déjà et après ? (Kawa, 2020). Il a publié avec Michaël Tartar La Transformation digitale pour tous ! (Pearson, 2022) et Pro en réseaux sociaux avec Christine Balagué (Vuibert, 2022). 

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Atlantico : Si les réseaux sociaux ont permis une certaine solidarité et de créer du lien social à la suite des attentats de Paris, ils ont aussi pu nuire à la réalité avec certains messages qui semblent incompréhensibles. Comment expliquer par exemple que certaines personnes ont pu penser que la Tour Eiffel n'avait jamais été illuminée depuis 1889 ? Les réseaux sociaux nous rendent-ils idiots ?

David Fayon : Oui, les réseaux sociaux ont été utiles dans les événements du 13 novembre avec une solidarité qui s’est exprimée avec par exemple sur Twitter le hashtag #PorteOuverte ou encore les informations pour rechercher des personnes disparues par exemple avec Facebook et la fonctionnalité activée pour l’occasion.

Mais pour en revenir à votre question, au départ, le tweet en question émane d’une personne influente et crédible dans son domaine. Ainsi Jeff Jarvis est un auteur américain suivi par plus de 15 000 personnes sur Twitter. Après, chacun peut affirmer des choses sans vérification préalable par souci du scoop et de la quête d’audience qui est perçue positivement et participe à l’estime de soi, du moins au renforcement de l’ego de la personne. Un tweet non retweeté ou une information non reprise, non aimée, non commentée peut a contrario représenter quelque chose de déprimant pour l’internaute, un peu comme l’image de la bouteille lancée à la mer avec un message dedans dans l’océan informationnel qu’est le web. Cela semble être le cas de Jeff Jarvis qui a une connaissance très approximative - pour rester dans le politiquement correct - de l’histoire de la Tour Eiffel. Ensuite, nous avons les twittos eux-mêmes qui pour beaucoup ont relayé l’info en pensant qu’elle était intéressante. C’est souvent le cas avec Twitter qui est un excellent outil de veille dans l’instantanéité pour suivre certains événements - que l’on y participe ou que l’on soit à distance - mais qui demande aussi quelques précautions et beaucoup de discernement.

Beaucoup d’internautes ont malheureusement le réflexe de retweeter d’abord et de réfléchir ensuite. Par ailleurs le fait de retweeter un message ne vaut pas acceptation de son contenu. On n’est plus dans le relai de l’information.

Je ne crois pas que les réseaux sociaux nous rendent idiots, pas plus que le PowerPoint. Au contraire, ils nous permettent d’accéder à davantage d’information, mais celle-ci doit être analysée, disséquée, critiquée, classée. Et ce dans un temps qui reste limitée alors que l’information croît de manière exponentielle. Cependant c’est l’utilisation même des réseaux sociaux qui peut induire un côté voyeuriste et exhibitionniste avec une simplification de la réalité et une mise en scène où vont être mis en avant ce qui suscite une émotion, le buzz ou une image positive de soi. Ceci induit un prisme par rapport à la réalité. Comme le dit mon ami Joël de Rosnay, il convient de procéder à la diète informationnelle et c’est là que le travail d’analyse critique et de curation prend tout son sens – mais celui-ci demande du temps, ce qui est antinomique avec la primauté de l’info. C’est cette utilisation aveugle des réseaux sociaux qui peut nous rendre idiots avec un effet en cascade qui cause préjudice.

Michael Stora : En soit les réseaux sociaux, de part leur ergonomie et ce qu'ils proposent, mettent en avant une pensée positive et un idéal de bien être qui font de nous des sortes de caricatures notamment de certains américains. On peut retenir les expressions "So nice" ou "So amazing" qui sont des termes très positifs qui modifient notre perception de la réalité. D'un autre côté, notre capacité à avoir un sens critique est mise de côté. On finit par essayer de rentrer dans ce moule qui nous empêche d'être suffisamment créatif. Les attentats ont créé une certaine anxiété avec un sentiment de sidération. Dans ce contexte là on peut avoir des réactions excessivement violentes ou des pulsions de vie. Nous sommes alors dans un état maniaque ou de surexcitation comme les enfants au moment de la recréation. En conséquence certaines personnes vont se lâcher pour le meilleur ou pour le pire. On peut se retrouver comme des poissons rouges dans un bocal qui vont se mettre à gober toute les rumeurs comme celle de la Tour Eiffel mentionnée.

Beaucoup de médias ont été critiqués pour avoir relayé des informations non vérifiées. Comment expliquer qu'autant d'informations invraisemblables (et invérifiées) aient pu circuler aussi facilement ? Comment expliquer autant de confiance envers les réseaux sociaux ?

David Fayon : Tous les médias ne relaient pas des informations non vérifiées Dieu merci et ils ne sont pas tous dans les mêmes cycles temporels même si une concurrence avec des effets pervers peut régner pour la recherche du scoop. En effet le travail d’enquête et d’investigation demande du temps lequel n’est pas compatible avec la culture du scoop et de l’instantanéité incarnée par le smartphone, la géolocalisation et la 4G en permanence.

L’émotion suscitée par rapport aux attentats nous a fragilisé et il est dans ce contexte plus facile de croire à des informations, certes plausibles car l’horreur et la barbarie du terrorisme ou de la guerre n’a pas de limite, mais erronées.

Tout le monde ou presque est sur les réseaux sociaux y compris des idoles ou des icônes de citoyens qui vont les suivre et boire le contenu publié comme du petit lait, que ce soit sur Twitter, Facebook, Instagram, YouTube et beaucoup d’autres outils. Pourtant il est possible de truquer des photos, des vidéos, de manipuler l’information et de propager des informations fausses ou mensongères. Aussi il convient de prendre un peu de temps pour remonter à la source de l’information, de réfléchir si derrière l’information véhiculée il n’y a pas un message caché voire subliminal.

Notons que les usages des réseaux sociaux évoluent au gré des événements. Le compte Twitter de la Préfecture de police de Paris (@prefpolice), par exemple, a publié des informations demandant de ne pas relayer des fausses informations ou des rumeurs (cf. graphique). La police fédérale belge a également demandé de ne pas communiquer pendant les opérations en cours de la police pour ne pas influer négativement sur son action. Le suivi de ces messages reste au bon vouloir des internautes. De nouvelles règles du jeu sont à instaurer notamment pour ne pas donner des indications pour des actions malveillantes ou aux terroristes. Ce qui se passe sur les réseaux sociaux en matière de fausses informations ou d’informations non vérifiées et vite relayées rappellent ce que l’on constatait voici une quinzaine d’années avec l’usage de la messagerie qui était en plein essor : le phénomène des hoax (canulars). L’usage des réseaux sociaux va progresser. Et l’éducation au numérique est un prérequis qui doit être aussi l’occasion d’un dialogue IRL entre générations.

Michael Stora : C'est un peu comme le voisinage. On peut avoir envie de croire à une rumeur puisqu'elle vient de quelqu'un que l'on connait plus ou moins. Le but des personnes qui propagent ces rumeurs ou idioties est que celles-ci soient retweetées, followées et de créer du lien et pour certains propager l'angoisse. Quant aux médias il n'y a plus trop de filtres. Ils peuvent vouloir concurrencer les réseaux sociaux en mettant des images sans expliquer et sans transition. Certaines chaines d'info n'ont pas forcément eu une position très éthique en matière de diffusion d'information. En même temps des journaux demandaient aux lecteurs de ne plus regarder ce média. En effet, l'action de lire elle-même permet déjà de prendre un peu plus de recul sur les événements.

La génération actuelle est connectée en permanence aux réseaux sociaux. L'utilisation presque obsessionnelle des réseaux sociaux empêche-t-elle presque d'avoir son propre avis ? En quoi cela fait-il du bien de se déconnecter de temps en temps ?

David Fayon : La génération Z qui est né avec la 3D, plus encore que la génération Y, est hyperconnectée. D’ailleurs, les réseaux sociaux qu’elle utilise est un peu différente. Plus de Snapchat et d’Instagram, moins de Facebook... En étant en permanence à l’affût d’information, cela laisse moins de temps à la réflexion, à la philosophie, d’autant que sur un smartphone on réagit souvent plus vite que sur un PC et on a la possibilité de meubler les temps morts (dans les transports en commun, etc.). Le droit à la déconnexion au même titre que le droit à l’oubli et le droit au silence des puces sont des droits fondamentaux que l’homo interneticus doit revendiquer. Ne pas être joignable en permanence pour mieux profiter des événements dans la vraie vie, c’est aussi la thèse exprimée par le blogueur Thierry Crouzet dans J’ai débranché. Cela nous rend plus efficace avec un regard plus critique par rapport au flot ininterrompu d’information qui nous abreuve.

Le Web est ce que l’on en fait. C’est un média aux possibilités infinies. Le contenu appartient aux internautes qui l’utilisent à leur façon. Il serait bien que le pays des droits de l’homme et du citoyen, après avoir connu le siècle des Lumières, évolue non vers une société de cybersurveillance qui reste perméable aux terroristes mais vers celui des Lumières numériques !

Mickael Stora : Après les premières publications il y a eu un effet cathartique de partager son émotion. Elle est toujours là l'émotion mais, à l'image des chaines d'info en continue, la plupart des personnes vont colporter leurs angoisses. Facebook semble a priori un antidépresseur puisque l'on maitrise tout mais l'on est confronté à quelque chose de plutôt anxiogène puisque nous sommes dans l'information pure sans filtre.

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