Mais à quoi joue Emmanuel Macron (et/ou à quoi le fait-on jouer...) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande compte sur Emmanuel Macron pour séduire le centre et une partie de la droite en 2017.
François Hollande compte sur Emmanuel Macron pour séduire le centre et une partie de la droite en 2017.
©Reuters

L'amour du risque

Le ministre de l'Economie, qui a affirmé mardi 10 novembre que les fonctionnaires devaient être rémunérés au mérite, a une nouvelle fois fait frissonner la rue de Solférino. François Hollande compte sur lui pour séduire le centre et une partie de la droite en 2017.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Après avoir remis en question les 35h, émis un doute sur la durée de l’indemnisation chômage, Emmanuel Macron continue à débroussailler son bonhomme de chemin. Mardi sur Europe 1, il s’est attaqué à un nouveau tabou de la gauche, la rémunération des fonctionnaires, suggérant comme une évidence, qu’il fallait "accroître la part du mérite" dans la rémunération des fonctionnaires, modérant à peine son propos en précisant que la performance des employés du secteur public ne pouvait être mesurée comme dans le privé. Nouveau coup de blizzard à gauche. Stupeur et tremblement dans les équipes des candidats aux régionales. "Franchement ce type de déclaration ne nous arrange pas. Sur les marchés, on nous parle de Valls, de Macron, on nous demande où est passé la gauche or je ne mesure pas l’impact positif de ces transgressions", peste, par exemple Kamel Chibli, tête de liste en Ariège. Et il ajoute : "Pour gagner, nous devons rassembler toute la gauche dès le premier tour, ce genre de déclaration faire fuir nos électeurs les plus à gauche et renforce le PC".

D'ailleurs, dans la foulée, un certaine nombre de dirigeants socialistes ont pris leurs distances comme la ministre Pascale Boistard qui expliquait au Talk du Figaro : "La position du gouvernement c'est celle que défend Marylise Lebranchu, Emmanuel Macron a exprimé une idée personnelle". La ministre de la fonction publique ayant précisé : "Je suis favorable à ce que les fonctionnaires soient en partie payés au mérite, dès le moment où cela se fait en accord avec les syndicats".

Alors à quoi joue le jeune premier de Bercy ? Aurait-il sacrifié le destin de sa famille politique sur l’autel de son propre personnage et de son avenir ? Ferait-il du passé table rase afin de se construire une rampe de lancement pour Matignon puis pour l’Élysée au risque de tuer toutes les chances du PS de l’emporter en 2017, présidentielle et législatives inclues ?

Rue de Solférino, personne ne croit à cette stratégie de la terre brûlée pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que lorsque François Hollande a eu à dire ses 4 vérités à l’un de ses ministres, il l’a toujours fait, Delphine Batho en est la preuve. Or, en ce qui concerne le jeune ministre de l’Économie, point de recadrage majeur. A peine un sermon, le 19 septembre dernier, lorsque le même Macron s’en était déjà pris au statut des fonctionnaires : "Le fonctionnaire a des droits, le statut, et a des devoirs et qu'il doit en permanence s'adapter, évoluer et être capable d'être au meilleur pour être au service du public", lui a répondu le Chef de l’État depuis son fief corrézien. Fermer le ban. Une réprimande qui n’a pas empêché le locataire de Bercy, moins de deux mois plus tard, de rééditer ses propos à peine édulcorés. Une confiance en soi qui commence à laisser transparaître une véritable complicité avec le chef de l’État. Macron ne fait pas cavalier seul, il agit avec l'assentiment du locataire de l’Élysée.

"Non décidément, je ne crois pas qu’il y ait une feuille de papier à cigarette entre ces deux-là, affirme l’un des secrétaires nationaux du PS. Macron est l’un des piliers de Hollande pour 2017, d’abord parce qu’il ringardise Valls". François Hollande a, en effet, toujours fort bien maîtrisé l’art des équilibres politiques. Faire monter un adversaire pour en contrer un autre ne lui a jamais fait peur. Ce fut son quotidien rue de Solférino.

Mais au-delà de ce subtil jeu d’équilibre des pouvoirs, François Hollande met en place, grâce à son ministre de l’Économie, une stratégie qui, l’espère-t-il, peut lui permettre d’emporter les élections présidentielles en 2017. Il se sait coupé de sa gauche, a conscience que la rupture est difficilement rattrapable et il ne s’en soucie guère, car il croit cette gauche encore habitée, traumatisée, par le souvenir de 2002. Tellement marquée qu’elle ne prendra pas le risque, se dit-il, face à la menace d’un duel Marine Le Pen Nicolas Sarkozy au second tour, d’aller voter autre chose que socialiste au premier tour comme ce fut le cas en 2007 puis en 2012 donnant ainsi une légère avance au candidat Hollande. Les terres de conquêtes de François Hollande se trouvent donc aujourd'hui à droite.

"François Hollande fait le pari que d’un coté l’alternative à gauche étant inexistante, de l’autre la droite se rapprochant de plus en plus du FN cela libère un espace au centre qui est en quête d’alternative politique", explique un cadre de la rue de Solférino. Les électeurs de François Bayrou, de l'UDI et même une partie des Républicains modérés pourraient, en effet, pense le Chef de l’État, s’ils ne trouvaient pas d’autre offre à leur goût, lui apporter les voix nécessaires pour accéder au second tour. D'où ce subtile décalage à droite de toute sa politique, d'où les déclarations peu orthodoxes d'Emmanuel Macron en matière d'économie et de Manuel Valls sur les questions de sécurité et d'immigration. Des appels du pied qui commencent à porter leurs fruits si l'on en croit les déclarations notamment de Jean-Christophe Lagarde, le patron de l'UDI, qui affirmait partager les analyses d'Emmanuel Macron et appelait le jeune ministre à rejoindre les centristes.

"C’est une stratégie risquée, s’inquiète pourtant un secrétaire national, car ces électeurs de droite modérée, même si on leur propose une réforme du statut des fonctionnaires, la remise à plat des 35h ou la réduction de l’indemnisation chômage pourraient quand même préférer François Bayrou si Nicolas Sarkozy est le candidat des Républicains ou bien Alain Juppé". "On voit bien les briques se mettre en place une à une, mais c’est un quitte ou double", confirme un député qui préférerait que François Hollande travaille à élargir sa base électorale plutôt que de la déplacer à droite. "Les électeurs sont exaspérés, rapporte un élu de terrain. En 2002, ils ne l’étaient pas et ils n’ont pas voté Jospin, cette fois ça va être un défouloir. Hollande ne se rend pas compte à quel point ils se sentent trahis". Trahis mais peut-être pas encore suicidaires. C’est en tout le pari du chef de l’État et de ses conseillers.

D'autant que le socialisme branché de Macron présente un double avantage, séduire la droite et, chose plus étonnante, les quartiers. C'est, en tous cas, ce que rapportent les têtes chercheuses socialistes, les relais locaux comme Kamel Chibli en Ariège. "Emmanuel Macron, c’est une vraie star pour certains jeunes issus de milieu populaires, leur rêve à eux ce n’est pas d’être fonctionnaire à la mairie du coin mais de réussir. Les gens ont besoin de rêver, d’avoir de l’espoir et Macron leur en donne, c'est le rêve américain, il a un côté : allez, on se prend par la main !".

Or François Hollande sait qu'il va devoir partir à la conquête des quartiers s’il veut l’emporter. Les ouvriers lui ont tourné le dos, les chômeurs, à qui il a tant promis, aussi, tout comme les jeunes sur qui il avait appuyé sa campagne des primaires. Reste les quartiers qu’il avait ignoré en 2012 tout comme le centre à qui il avait fait peur en clamant sa haine des riches et de la finance. 2017 sera donc un anti 2012 ?

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