Comment l’industrie française s’est enfermée dans une recherche de compétitivité-prix quand la solution aurait été plutôt du côté de la compétitivité-qualité<!-- --> | Atlantico.fr
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L’industrie française s’est enfermée dans une recherche de compétitivité-prix.
L’industrie française s’est enfermée dans une recherche de compétitivité-prix.
©POOL New / Reuters

Mauvaise stratégie

Le débat politique français s'est centré autour de la notion de compétitivité-prix, laissant de facto des aspects importants de l'équation de côté. Si le coût du travail en France est globalement plus élevé qu'en Allemagne, la France pourrait souffrir moins des variations de prix en montant d'une gamme la qualité des biens qu'elle commercialise.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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​Atlantico : Le débat politique français semble enfermé dans une stratégie de baisse du coût du travail afin de rendre les exportations du pays "compétitives". Or, les coûts ne sont pas l'unique facteur mis en cause dans ce processus. En quoi le niveau de gamme des biens produits par les entreprises françaises peut-il également être décisif ? Dans quelle proportion ?

Gilles Saint-PaulTout d'abord il faut recadrer la question. La raison pour laquelle le débat se focalise sur le coût du travail en France est que celui-ci ne cesse de s'envoler sous l'effet des trente-cinq heures et de la hausse continue des charges sociales. Ainsi, en 2004 le coût moyen total du travail était en France de 28 euros de l'heure, soit 5 % plus élevé qu'en Allemagne. En 2014 il est de 34,6 euros de l'heure, soit 10 % plus élevé qu'en Allemagne, en dépit du fait que le chômage a augmenté en France et considérablement baissé en Allemagne.

Ceci étant dit, bien qu'il existe des secteurs de pointe où la France est très bien classée,  il est certain que nos exportateurs sont en moyenne spécialisés dans des biens de milieu de gamme pour lesquels le prix joue un rôle important dans les décisions d'achat, ce qui implique que la demande pour nos exportations est assez sensible aux variations de prix, d'où l'importance de contenir nos coûts salariaux. Une montée en gamme permettrait aux exportations françaises d'être plus résilientes aux aléas de la conjoncture internationale, qu'elle pourrait mieux amortir en jouant sur leurs prix. 

A l'inverse de la France, et malgré des coûts salariaux plus ou moi​ns similaires, l'Allemagne est parvenue à s'extirper en partie de ces contraintes. Quels ont été les facteurs ayant permis cette transition allemande vers un niveau de gamme élevé ?

Cela ne s'est pas fait sans douleur.  D'une part, il y a eu une relative modération salariale, notamment à la suite des réformes Hartz, ce qui explique en partie pourquoi au cours des dix dernières années les Allemands ont en fait amélioré leur compétitivité par rapport à nous. Plutôt que de s'extirper de ces contraintes, ils les ont prises en compte dans leurs politiques, contrairement à la France qui ne s'est pas montrée réaliste. D'autre part, les Allemands ont délocalisé massivement les segments économiques à faible valeur ajoutée, notamment vers les pays de l'Est. Seules les portions de la chaîne de valeur "haut de gamme" sont restées en Allemagne. Cela a créé des flux commerciaux importants entre l'Allemagne et ses partenaires de l'Est. Ainsi, en 1996, l'Allemagne et la France exportaient environ 24 % de leur PIB. Mais en 2013, la France exportait 27 % de son PIB et l'Allemagne plus de 50 % !! A cette explosion des exportations correspond une explosion des importations, qui représentent 44 % du PIB allemand en 2013, contre 29 % du PIB français. C'est l'économie de bazar décrite par Hans-Werner Sinn: les biens intermédiaires à faible valeur ajoutée sont importés, les tâches à forte valeur ajoutée sont effectuées en Allemagne, et le bien est réexporté. Ces évolutions ont permis à l'Allemagne de se concentrer sur le haut de gamme, ce qui réduit effectivement la sensibilité de ses exportations aux coûts. Mais ces délocalisations n'ont pas profité aux travailleurs les moins qualifiés, et c'est précisément parce qu'ils coûtaient cher qu'elles ont eu lieu. 

​Les entreprises françaises disposent-t-elle de moyens leur permettant de rejoindre l'Allemagne sur un tel segment ? Quelles sont les pistes à privilégier afin d'organiser cette transition ?

En principe, la stratégie de délocalisation massive suivie par l'Allemagne pourrait fonctionner en France. Mais elle risque de générer des tensions politiques importantes. La France pourrait monter en gamme en investissant davantage dans la R et D et l'innovation, mais elle pâtit de handicaps relativement à l'Allemagne. Les relations entre partenaires sociaux sont caractérisées par un haut niveau de défiance. Une entreprise a peu d'incitations à conquérir des niches au niveau international, si elle s'attend à ce que les syndicats s'approprient les rentes générées par cette niche de façon opportuniste. Au contraire, en Allemagne, il existe une meilleure entente entre syndicats et patronat, qui peuvent se mettre d'accord sur un partage raisonnable et crédible des rentes créées par une spécialisation judicieuse de l'activité. Un autre handicap tient à notre système éducatif. Le système allemand d'enseignement supérieur fait la part belle à des formations courtes et spécialisées, très orientées vers le monde de l'entreprise, produisant une main d'oeuvre  intermédiaire de haut niveau capable de reproduire et d'améliorer les savoir-faire spécifiques aux niches de l'industrie allemande. La France s'aligne sur les anglo-saxons en privilégiant un enseignement supérieur plus abstrait et académique, ce qui produit des diplômés peut-être plus flexibles et adaptables mais auxquels manquent des compétences concrètes requises par les entreprises. 

Cela étant dit, même si ces handicaps étaient surmontés, les avantages comparatifs d'un pays (c'est à dire les secteurs dans lesquels il est efficace qu'il se spécialise) ne peuvent changer du jour au lendemain. Ils font en quelque sorte partie de sa culture, résultant des accidents de la géographie et de l'histoire, ainsi que du génie propre de la nation.

De la même façon, en quoi les politiques publiques peuvent elles participer à cette transition ? Est ce réellement souhaitable ? Quels sont les avantages et les inconvénients d'une telle stratégie ?

Il faut  se méfier de politiques volontaristes qui prétendent favoriser l'essor d'un secteur "high tech" sélectionné par des bureaucrates à grand coup d'aides publiques. D'abord ces politiques sont coûteuses pour le contribuable qui s'y retrouve rarement. Elle masquent le plus souvent des faveurs personnelles et du capitalisme de connivence. Elles violent les principes de l'OMC et de l'Union Européenne et les entreprises françaises seraient les premières à pâtir de mesures similaires, voire de représailles, de la part de nos partenaires. Enfin la plupart de ces politiques ont été sanctionnées d'échecs cuisants. Qui se souvient aujourd'hui du ridicule moteur de recherche "franco-allemand" appelé Quaero ? Qui parle encore des trente-quatre plans d'Arnaud Montebourg, avec leurs ballons dirigeables et leurs textiles intelligents? 

Toutes les industries ne sont pas high-tech et il faut bien que certains pays se spécialisent dans le milieu, voire le bas de gamme. De plus, bien des niches high-tech, dans des domaines comme l'informatique ou les semi-conducteurs, s'amenuisent au cours du temps parce que les prix ne cessent de baisser, à cause de la rapidité de l'innovation technologique dans ces secteurs. Inversement, l'hôtellerie, les entrées de musées, si elles ne constituent pas des activités high tech, voient leurs prix relatifs augmenter sous le seul effet de la demande mondiale. 

La spécialisation "milieu de gamme" de la France ne justifie donc pas un activisme politique qui viserait à la faire monter en gamme artificiellement. En revanche, il est légitime de s'interroger sur le contenu et l'organisation de notre système éducatif, ou sur les défaillances de notre système de négociation collective, et des réformes dans ces domaines importants auront aussi, à terme, des répercussions sur la structure de nos avantages comparatifs.

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