Alerte à la faillite de l’Arabie saoudite : le régime des Saoud pourrait-il résister au choc ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi Salmane d'Arabie saoudite.
Le roi Salmane d'Arabie saoudite.
©Reuters

Game over

Selon un rapport du FMI, les réserves de la trésorerie de l'Arabie saoudite sont en chute libre et le pays pourrait tenir maximum 5 ans à ce rythme. Une situation qui serait lourde de conséquence pour l'ensemble de la région.

Frédéric Encel

Frédéric Encel

Frédéric Encel est Docteur HDR en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris, Grand prix de la Société de Géographie et membre du Comité de rédaction d'Hérodote. Il a fondé et anime chaque année les Rencontres internationales géopolitiques de Trouville-sur-Mer. Frédéric Encel est l'auteur des Voies de la puissance chez Odile Jacob pour lequel il reçoit le prix du livre géopolitique 2022 et le Prix Histoire-Géographie de l’Académie des Sciences morales et politiques en 2023.

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La situation est-elle grave ? Quelles seraient les conséquences d'une telle crise d'un point de vue international ?

Frédéric Encel : La situation n'est pas seulement grave, elle risque bien de devenir désastreuse ! Ce rapport tombe à point nommé pour rappeler non seulement que les réserves de brut saoudiennes ne sont pas inépuisables, mais aussi et surtout que la gestion de ses prodigieuses ressources par Riyad est de plus en plus erratique. Certes, les Saoud et autres princes de sang ne dilapident plus leur manne dans des dépenses aussi somptuaires que dans les fastes années 1970, mais les investissements infrastructurels demeurent souvent illogiques et, en l'espèce, insuffisants. On oublie trop souvent que le pétrole ne s'extrait ni ne s'écoule comme par magie une bonne fois pour toutes dès qu'on a assemblé un derrick et un pipeline... Et cela même si l'Arabian light est de bonne qualité. Il faut constamment investir dans de nouveaux "tuyaux" et cela coûte fort cher. 

Or avec un baril à 50 dollars, si l'équilibre budgétaire de l'Arabie saoudite est toujours largement assuré, ses capacités d'investissements et d'achat ne le sont plus ; je pense là aux chasseurs bombardiers et autres bâtiments de guerre français récemment acquis au profit de l'allié égyptien.  
Le comble, c'est que le pouvoir saoudien a lui même organisé cette fragilité, en continuant de produire des huiles en grande quantité, afin d'affaiblir la grande rivale et concurrente russe d'une part, de rendre moins rentable les schistes nord-américains d'autre part. Seulement, les Saoud se tirent ainsi une balle dans le pied (ils ont déjà rapatrié plus de 70 milliards !) et - entre nous soit dit - coulent littéralement des Etats mono-exportateurs comme l'Algérie et le Venezuela. Si l'on ajoute à cela le gouffre financier que représente la guerre (d'ores et déjà ratée) au Yémen, on en arrive effectivement à une odeur de fin de règne...

Pourquoi est-ce que cette crise annoncée pourrait remettre en cause l'influence Saoudienne sur tout le Moyen-Orient ? Qu'est ce que cela impliquerait ?

Vous savez, la puissance sinon l'existence même de l'Arabie saoudite ne tiennent qu'à deux éléments : le pétrole (les premières réserves prouvées de brut), et le statut de gardienne des Lieux saints de La Mecque et Médine pour la dynastie. Si les réserves s'épuisent plus vite que prévu, et si la montée en puissance des chiites entourant cet Etat sunnite radical se poursuit, que restera-t-il aux Saoud, une dynastie pas même descendante du Prophète contrairement aux dynasties chérifienne du Maroc et hachémite de Jordanie ? J'ajoute qu'au regard de la manière catastrophique dont est géré le hadj, le pèlerinage, avec encore récemment ces 1 300 morts à La Mecque, on peut douter de ce qui reste de l'aura des wahhabites intégristes au pouvoir à Riyad...  

C'est tout de même avec les pétrodollars que la famille régnante a pu s'offrir tant d'allégeances et d'influence, tant diplomatique que religieuse, à travers la planète. Idem du reste pour le petit confetti gazier et semi-esclavagiste voisin, le Qatar, lui aussi wahhabite. Alors avec une rente pétrolière plus modeste et sans la moindre valorisation du savoir éducatif, universitaire, technique et technologique par ailleurs, quelle serait l'alternative ?

Qui pourrait en tirer profit et s'en réjouir ?

L'Iran bien sûr. Intelligemment, la République islamique a renoncé à la bombe en contrepartie d'avantages conventionnels tout à fait considérables, et étend son influence pan-chiite sur l'ensemble de la région. Or les Iraniens, eux, produisent beaucoup d'ingénieurs ! Et ils ne compteront pas que sur le pétrole pour se développer, forts de plusieurs centaines de milliards de dollars que l'accord nucléaire du 14 juillet dernier leur procurera en quelques années...

A l'heure où les USA cherchent à prendre leurs distances avec l'Arabie Saoudite, les Saoudiens pourront-ils compter sur leur aide ?

Non, je crois que c'en est fini de la vieille alliance du Quincy de février 1945 entre Roosevelt et Ibn Saoud. Cela prendra du temps, se fera en douceur, mais la démarche américaine me paraît inéluctable. Déjà après le 11-Septembre des néo-conservateurs avaient tenté de convaincre George W Bush de se réorienter vers l'Iran. Mais, outre que le président était assez limité sinon inconséquent, son entourage proche demeurait très lié - y compris financièrement - au pétrole saoudien. Tout cela est terminé, et Obama est convaincu qu'au fond, une future alliance avec un Iran géographiquement, techniquement et peut-être même spirituellement plus intéressant pourra se substituer à l'alliance d'une Arabie saoudite devenue davantage un problème qu'une solution. 

Cette perspective, pour Riyad, est littéralement cauchemardesque, d'où les initiatives assez radicales prises sur les plans militaire (guerre au Yémen, armement des islamistes radicaux face à Assad), économique (baisse des cours du brut, rappel d'investissements lourds) et patrimonial (éviction de Nayef) du nouveau roi ; tout cela a un goût de panique... 

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