Scènes de guerre civile à Moirans : la France sur la pente fatale de la perte d'autorité de l'Etat<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Isère est le théâtre de violences provoquées par des gens du voyage.
L'Isère est le théâtre de violences provoquées par des gens du voyage.
©Reuters

Explosif !

Depuis mardi 20 octobre, l'Isère est le théâtre de violences provoquées par des gens du voyage qui réclament la permission de sortie de prison de deux d'entre eux pour l'enterrement d'un de leurs proches. A l'attaque contre l'autorité de l'Etat s'ajoute le manque de confiance des Français en leurs politiques en situation de crise.

Pascal Cauchy

Pascal Cauchy

Pascal Cauchy est professeur d'histoire à Sciences Po, chercheur au CHSP et conseiller éditorial auprès de plusieurs maisons d'édition françaises.

Il est l'auteur de L'élection d'un notable (Vendemiaire, avril 2011).

 

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Atlantico : Comment en est-on arrivé à un tel niveau de défi pour l'autorité de l'Etat ?

Xavier Raufer : Ce ne sont pas seulement des nomades, sédentarisés ou pas, qui ravagent le pays quand on ne les laisse pas agir à leur gré, sans contrainte aucune. Chaque semaine, des bandes de voyous des cités hors-contrôle assiègent des commissariats, incendient des voitures ou des locaux symbolisant l'autorité. Mes derniers articles dans "Atlantico" soulignaient que l'Etat perdait la maîtrise de pans entiers de la métropole : ce que font les nomades advient clairement dans ce contexte. Et bien entendu, les "jungles" de Calais et du nord de la France, où des bandits armés s'entretuent pour contrôler les trafics illicites, dans de contemporaines "Cours des Miracles".

Un point sur la "sédentarisation des nomades". Des complices des clans de nomades criminalisés (le criminologue ne se soucie pas des nomades honnêtes) ; ou pire encore des dingos en proie au fanatisme du bien, terrible fureur humaine provoquant des catastrophes, nous enjoignent d'accepter tous les nomades, Roms et autres, affluant des Balkans, pour les sédentariser ici. Or regardons les récentes émeutes : Moirans, etc., ces "gens du voyage" étaient sédentarisés de longue date - et tout aussi violents. Faut-il parsemer la France de telles collectives bombes humaines à retardement ? La population française est-elle avertie du danger ? On peut en douter.

L'autorité de l'Etat a souvent été attaquée, mais en quoi le contexte actuel où la confiance du politique est au plus bas, aggrave-t-il la situation ?

Xavier Raufer : Ce ne sont pas seulement des nomades, sédentarisés ou pas, qui ravagent le pays quand on ne les laisse pas agir à leur gré, sans contrainte aucune. Chaque semaine, des bandes de voyous des cités hors-contrôle assiègent des commissariats, incendient des voitures ou des locaux symbolisant l'autorité. Mes derniers articles dans "Atlantico" soulignaient que l'Etat perdait la maîtrise de pans entiers de la métropole : ce que font les nomades advient clairement dans ce contexte. Et bien entendu, les "jungles" de Calais et du nord de la France, où des bandits armés s'entretuent pour contrôler les trafics illicites, dans de contemporaines "Cours des Miracles". Un point sur la "sédentarisation des nomades". Des complices des clans de nomades criminalisés (le criminologue ne se soucie pas des nomades honnêtes) ; ou pire encore des dingos en proie au fanatisme du bien, terrible fureur humaine provoquant des catastrophes, nous enjoignent d'accepter tous les nomades, Roms et autres, affluant des Balkans, pour les sédentariser ici. Or regardons les récentes émeutes : Moirans, etc., ces "gens du voyage" étaient sédentarisés de longue date - et tout aussi violents. Faut-il parsemer la France de telles collectives bombes humaines à retardement ? La population française est-elle avertie du danger ? On peut en douter.

Pascal Cauchy : Je pense que nous pouvons dissocier plusieurs phénomènes de violence, qui n’ont pas tous pour but de défier l’autorité de l’état. Il n’y a pas forcement de vraie corrélation avec la baisse de crédit des politiques actuelles. Le lien entre les deux n’est pas si évident.

Il y a différents type de phénomènes :

D'une part, dans le cadre de l’émeute politique de la contestation du pouvoir d’un régime, les manifestants cherchent l’occupation violente de la rue. Il s’agit de l’acte 1 de la scène 1 d’une guerre civile, du tout premier scénario révolutionnaire. Nous avons connu ce type de contestation régulièrement sur toute l’histoire du 19 ème et le début du 20 ème.

Ensuite il y a l’émeute sociale et l’exaspération. Cela peut-être l’émeute anti-fiscale, elle peut-être très sérieuse. Le dernier exemple a été les bonnets rouges. Ce sont donc des mouvement d’ordre sociaux qui sont plus marqués par la perte d’un travail, la peur du chômage, ou la fermeture d’une entreprise. Ces mouvements d’exaspération sociale se manifestent très régulièrement depuis l’époque de la révolution industrielle. Ils peuvent être violents.

En plus il y a une troisième catégorie qui est plus neuve en France, ce sont ce que les politologues américains appellent les guerres fauves. Elles explosent sur des motifs de faits divers. Il s’agit d’émeutes qui rassemblent des communautés et non plus des classes sociales ni même des groupes politiques. Ils sont d’un autre ordre. Certains parlent même de révolution identitaire. Les communautés sont là pour manifester un contre-pouvoir. Eles prennent le pouvoir de la rue en tant que groupe, mais elles ne vont pas plus loin. C'est pour cela que les politologues parlent de guerres. Nous sommes dans une revendication communautaire d’un groupe qui porte sur la culture du groupe. 

Le 29 aout déjà des gens du voyage avaient bloqué l'autoroute A1 pour les mêmes raisons. L'Etat leur avait finalement donné raison en accédant à leur requête, mais surtout sans punir les actes commis par les protestataires. En quoi cela peut-il pousser à récidiver ? Quelle émulation risque d'être induite avec ce type de réponse ?

Xavier Raufer : Pas seulement en terme d'émeutes, mais généralement, l'être humain invente peu et copie beaucoup. Dans l'actuel effondrement de la justice - que les voyous de France métropolitaine voient désormais comme impuissante - ou même "sympa" vis-à-vis d'eux mêmes - alors que la téléphonie mobile dote chaque racaille d'un système d'alerte immédiate nous sommes toujours plus dans un contexte où, pour citer Mao, "Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine".
Mais aussi : l'appareil de l'Etat commence toujours par se coucher devant les émeutiers : on retire les forces de l'ordre, on filme de loin et on prend des notes ; on confie enfin le dossier à la justice de Mme Taubira - celle-là même qui considère ouvertement ces émeutiers et racailles comme de pauvres victimes de l'exclusion et du racisme. Au XIX siècle le polémiste autrichien Karl Kraus, hostile à la psychanalyse, la définissait cruellement comme "une maladie qui se prend pour son remède". La justice de Mme taubira, aujourd'hui, c'est ça.

Comment les Français ont-ils vécu cette affaire de blocage sur l'auroute A1 ?

Jérôme Fourquet : Nous avions réalisé fin août le baromètre mensuel pour Paris Match, dans lequel nous posions la question des conversations des Français. Nous demandions aux Français s'ils avaient parlé de certains sujets autour d'eux dans les derniers jours. Cela nous permettait de voir l'impact des thématiques dans les conversations et donc dans la vie des Français. Le 29 aout, il y a eu le fameux blocage de l'autoroute A1 dans la Somme, organisé par des membres de la communauté de gens du voyage pour exiger la sortie d'un des leurs pour assister à des obsèques. Cet événement intervient au cours de notre baromètre que nous avions organisé le 28-29 aout. Pourtant, il arrive dans les premiers sur l'ensemble des deux jours. 46% des Français l'avaient commenté, soit environ 1 Français sur deux, un chiffre important. Cela révèle de manière quantitative et objective que ce type de thématique rencontre toujours un fort écho auprès de la population française.

Pourquoi cet événement a-t-il rencontré un écho particulier auprès des Français ?

Jérôme Fourquet : Le caractère spectaculaire de cet événement (blocages, affrontements avec la police) et le coup de force mené par cette population choque une grande partie de nos concitoyens. Très souvent, un effet très négatif suit sur l'image des gens du voyage. Les clichés, les représentations et les images négatives associés sont renforcés.

En outre, cet événement a alimenté le débat sur l'impuissance publique et sur le manque de l'autorité de l'Etat. Les Français sont interpellés de voir comme l'autorité de l'Etat peut-être bafouée par des groupes qui appliquent leurs propres règles et leurs propres lois. Comme les commentaires des médias l'ont souligné, il s'agissait ni plus ni moins de tordre le bras à la justice. Dans le climat actuel où la question de la légitimité du politique et de l'Etat de manière générale se pose, cette attaque contre l'autorité est très mal perçue et très mal vécue par les Français. L'Etat laisse faire, et le précédent droit qu'il a octroyé lors de la manifestation a bien été analysé, puisque le gouvernement avait laissé le blocage s'éterniser pendant toute une journée et toute une nuit, qu'il n'y avait pas eu d'intervention des forces publiques pour dégager le barrage, et que l'Etat avait accédé à leur requête. Sur ce point là, au regard des chiffres, cette affaire à eu un écho très important et amplifié dans la société française, avec ces images de centaines voire de milliers de véhicules, bloqués de part et d'autre de l'autoroute par une poignée d'individus qui narguait l'état et les forces de l'ordre. Cela a été très mal perçu à l'époque et a eu également des répercussions négatives sur l'image du gouvernement et de sa capacité à faire respecter la loi et l'ordre.

Ainsi, lorsqu'une situation quasi-similaire s'est produite mardi 20 octobre, les leçons en ont été tirées. Très rapidement, les reproches contre le gouvernement se sont multipliées, et notamment sur le fait d'avoir mis du temps à réagir. Mais il faut malgré tout reconnaître que mettre en œuvre un plan d'action ne se fait pas en claquant des doigts, et que mobiliser des effectifs dans une petite ville ne se fait pas si rapidement. En revanche, la parole à été beaucoup plus ferme que la première fois dans l'ensemble du gouvernement.

Il y a atteinte à autorité de l'Etat, et de fait, derrière il y a des répercussions politiques. Nous pouvons comparer ces évènements à ce qu'il s'était passé en été 2010 à St Aignan dans le Loir-et-Cher. Un jeune homme de la communauté des gens du voyage avait été tué par la police alors qu'il tentait de forcer un barrage. Deux jours plus tard, une partie des membres de la famille commettent des dégradations dans la ville. Ils assiègent la gendarmerie, tronçonnent des arbres et vandalisent des bâtiments. La ville était en état de choc. De nouveau, la communauté des gens du voyage était en bras de fer avec l'autorité de l'Etat, incarnés dans ces affaires par les forces de l'ordre. A l'époque, cela avait également suscité un très fort écho dans le pays. Quelques jours ensuite, il y avait eu le fameux discours de Grenoble tenu par Nicolas Sarkozy qui annonçait un tournant sécuritaire très fort dans son quinquennat. A chaque fois, ce type d'événement annonce un électro-choc dans la politique du gouvernement. Nous voyons bien l'enchainement politique qu'il y a derrière…

Bien évidemment toutes ces actions sont illégales, mais certaines apparaissent plus légitimes que d'autres par une partie de l'opinion. Certaines actions violentes peuvent être menées par des groupes sociaux et susciter plus de compréhension de la part de l'opinion. Je pense notamment au mouvement des bonnets rouges… Des portiques avaient été démontés, des affrontements extrêmement violents ont eu lieu sur la voie publique. Pour autant, le jugement de l'opinion publique était plus clément sous prétexte qu’ils étaient au bout du rouleau. Même si nous n’approuvons pas leurs méthodes, nous comprenons la détresse. Il en est de même pour les agriculteurs. En fonction de la revendication et de l'identité du groupe qui va être à l'origine de cette violence, il existera un degré de tolérance plus ou moins important dans la société.

Quelle est la logique à court terme qui consiste pour le gouvernement à ne pas sanctionner, à laisser faire du moins dans un premier temps  ? A quoi cela peut-il mener ?

Xavier Raufer : 

On compare souvent l'Etat à un navire. Aujourd'hui, la France ressemble plutôt à un des ces bateaux gonflables dont usent les "migrants" pour traverser les mers. Ce "Zodiac" prend l'eau de partout et divers ministres, en une agitation purement réactive, courent en tout sens poser de chétives rustines sur les perforations. Ceci fait, ils usent pour la centième fois de grands mots : "insupportable"... "intolérable" - et attendent la suite, tolérant et supportant ce qu'ils ont dénoncé auparavant. Imprévision ? Incapacité de maîtriser la situation ? Je l'ai déjà écrit ici : depuis Charlie-hebdo, l'appareil d'Etat est tétanisé et attend le prochain drame, sans bien savoir qui le provoquera, et où. De hauts fonctionnaires assistant à ces réunions du sommet, où les stratégies se décident, décrivent "des lapins dans les phares".

Défi à l'autorité de l'Etat et perte de légitimité de pouvoir, quelles perspectives cela laisse—t-il entrevoir ? 

Xavier Raufer : Là encore, l'effondrement judiciaire provoque le désastre :
- Philosophie du droit, premier cours, première heure : la justice est la clé de voute de l'Etat de droit, policé et civilisé. Que cette justice défaille et, partout et toujours, pas d'exception à cette règle, la violence explose. Les voyous pillent tout et les citoyens honnêtes finissent par se faire justice eux-mêmes.
- Philosophie du droit, premier cours, deuxième heure : ou les lois sont respectées dans leur ensemble, ou l'échafaudage judiciaire s'effondre. Les citoyens prennent d'abord l'habitude de négliger les lois qui les dérangent - et enfin, n'en observent plus aucune. On savait ça déjà du temps de Platon, puis de Cicéron. Cette millénaire sagesse n'a pas encore

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