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Les viols ne sont-ils pas une fatalité liée à une pulsion irrépressible chez les hommes ?
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Bonnes feuilles

Un extrait de "Violences sexuelles - les 40 questions-réponses incontournables", de Muriel Salmona, publié chez Dunod (2/2).

Muriel  Salmona

Muriel Salmona

Muriel Salmona est psychiatre, psycho-traumatologue, chercheuse et formatrice en psychotraumatologie et en victimologie. Présidente et fondatrice de l’association Mémoire traumatique et Victimologie (www.memoiretraumatique.org), elle a dirigé une grande enquête nationale en 2015 sur l'Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte soutenue par l'UNICEF France. Elle a publié de nombreux articles et en 2013 Le livre noir des violences sexuelles (Dunod).

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UN HOMME, UN VRAI, veut-on nous faire croire avec les stéréotypes sur la sexualité masculine, est un être saturé de testostérone, aux pulsions sexuelles difficilement contrôlables, avec des besoins sexuels insatiables et un désir violent, auxquels il est normal que les femmes, surtout leurs femmes, aient à se plier. La femme serait par nature passive et soumise, et il est naturel qu’elle aime cela. Les hommes viennent de Mars et sont naturellement des prédateurs, et les femmes viennent de Vénus et sont naturellement des proies.

Le viol n’est pas, comme certains voudraient le penser, provoqué par une pulsion sexuelle irrépressible que ressentirait l’agresseur face à une femme « désirable ». Le viol est froidement intentionnel, ce n’est pas un désir sexuel qui en est à l’origine mais une volonté de la part du violeur de soumettre, d’exercer un pouvoir en prenant possession du corps d’autrui pour l’instrumentaliser à sa guise pour son plaisir : plaisir de chasser, de vaincre, de faire mal, de détruire, de souiller, de déshumaniser. Il ne s’agit pas d’un comportement « naturel » : le viol est un comportement culturel et repose sur une domination masculine qui octroie aux hommes des privilèges inouïs sur l’accès au corps des femmes, qu’elles soient enfants ou adultes, au mépris de leurs droits, et sur le mythe d’une sexualité masculine de prédation « incontrôlable » et « conquérante », qui légitime ces privilèges par la nature et les rend ainsi inaccessibles à toute remise en question, en en faisant une fatalité avec les laquelle les femmes sont obligées de composer. Non, la sexualité masculine n’est pas par nature violente.

>>>>>>>>>> A lire également : Violences sexuelles : pourquoi le mythe des femmes qui aiment être forcées reste tenace

Non, les violences sexuelles ne sont pas une fatalité. Les violences sexuelles ne procèdent pas d’une pulsion agressive originelle chez l’homme (comme le dit Freud), ni d’une cruauté innée (comme le pense Nietzsche). L’être humain est naturellement empathique comme le prouvent toutes les études, et ce dès sa naissance (Rizzolatti, 2008). Ceux qui utilisent la violence mettent en scène que les victimes sont des êtres inférieurs, sans valeur et de ce fait méprisables. Mais ce n’est qu’une construction mensongère leur permettant de justifier une véritable addiction à la haine. La violence est une drogue pour eux, très efficace pour se dissocier et donc s’anesthésier émotionnellement, et s’arroger une position de toute-puissance (Salmona, 2013). La toute puissance et l’adhésion à cette idéologie très inégalitaire sont donc le terreau des viols comme le confirme l’étude de l’ONU précitée. Pour ces hommes, mettant en scène des privilèges, le monde se divise entre ceux qui sont les maîtres, qui ont tous les droits, et ceux qui sont des esclaves à leur service. Les esclaves sont des êtres déclarés inférieurs auxquels on ne s’identifie pas, et dont les émotions et les souffrances ne sont pas prises en compte, mais méprisées, voire moquées. Cette position de dénigrement et d’absence d’empathie est facilitée par des siècles de sexisme et de domination patriarcale qui ont véhiculé une représentation mensongère des femmes et des enfants. La disqualification des femmes et leur exclusion de toutes les activités à haute valeur ajoutée, dans un tour de passe-passe pervers, a trouvé sa pseudo-justification grâce aux discriminations et aux violences subies. Priver les femmes d’accès au savoir, les traumatiser et générer chez elles des symptômes de sidération, de mémoire traumatique et de dissociation, ainsi que des conduites d’évitement massives permet de leur renvoyer qu’elles sont inintelligentes et incapables de se défendre. Il est facile ensuite de leur renvoyer qu’elles sont méprisables et dépourvues de dignité ce qui justifie les violences exercées contre elles, et le système bien rôdé tourne sans fin...

L’instrumentalisation du corps des femmes a trouvé dans la sexualité son paradigme. Sous couvert de la sexualité le corps des femmes peut être transformé en un objet qu’on s’approprie et qu’on utilise pour son plaisir, avec lequel on joue, voire on fait la guerre comme la pornographie le met en scène. La sexualité est souvent présentée comme un champ de bataille, où il s’agit de vaincre, avec une érotisation de la violence. D’où ces nombreux stéréotypes présentant la sexualité des hommes comme naturellement conquérante et envahie par des pulsions sexuelles, et celles des femmes comme naturellement passive, avec une érotisation de la soumission, voire de la douleur. Toutes ces idées reçues sont fausses, la sexualité et le désir sont faits d’envies réciproques, et ils n’échappent pas au reste de nos comportements, ils n’ont plus rien d’instinctif, ils sont saturés de constructions sociales, ils s’inscrivent dans des contextes historiques complexes et ils nécessitent d’être contrôlés. Les taux de testostérone ne sont pas corrélés à plus d’agressivité, au contraire la testostérone est une hormone qui favorise les comportements équitables comme l’a montrée une étude parue dans la revue scientifique Nature (Eisenegger, 2009). Le manque, la frustration sexuelle ne sont en aucun cas des arguments pour justifier une mainmise sur le corps d’autrui. Comme tous nos comportements, ils ne peuvent pas échapper aux lois qui régissent notre monde, ils sont soumis au respect des droits d’autrui.

La libération sexuelle des années soixante et surtout soixante-dix a permis de lever de nombreux tabous qui pesaient sur la sexualité et sur le corps sexué, mais elle a pu faire oublier qu’aucune liberté ne peut s’exercer aux dépens d’autrui, que le respect des droits à l’intégrité physique et psychique de son partenaire, le respect de sa dignité, sont des absolus qui ne souffrent d’aucune dérogation. Sans ces limites, la liberté devient la loi du plus fort et un outil de domination. Sous prétexte de liberté sexuelle, on pourrait instrumentaliser le corps de l’autre et le soumettre à ses désirs, sans se soucier de son consentement et de son désir, consentement qui peut être d’autant plus contraint que les relations se font sur un terrain d’inégalité, de dépendance et de méconnaissance de ses droits. Le parti des Verts allemands a très récemment reconnu qu’ils avaient couvert dans les années soixante-dix et quatre-vingt des crimes sexuels sous prétexte de libération sexuelle, en reconnaissant la pédophilie comme une orientation sexuelle et les pédophiles comme une minorité opprimée qu’il fallait donc libérer, sans prendre en compte le droit des enfants à ne pas subir des actes sexuels avec des adultes, auxquels ils n’étaient en aucun cas en situation de consentir, et qui représentaient pour eux une grave atteinte à leur intégrité.

Un extrait de "Violences sexuelles - les 40 questions-réponses incontournables", de Muriel Salmona, publié chez Dunod, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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