Marine Le Pen - Xavier Bertrand : l’impact pour la stratégie 2016-2017 des Républicains si le scénario noir en Nord-Pas-de-Calais se confirmait<!-- --> | Atlantico.fr
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Xavier Bertrand est donné perdant par les sondages contre Marine Le Pen lors des prochaines élections régionales.
Xavier Bertrand est donné perdant par les sondages contre Marine Le Pen lors des prochaines élections régionales.
©Reuters

Un versus attendu

Les sondages sont formels : d'ici deux mois et demi, la région nordiste et picarde devrait tomber dans l'escarcelle de Marine Le Pen, et non celle de Xavier Bertrand. Les régionales, qui auront lieu au Nord-Pas-de-Calais-Picardie les 6 et 13 décembre, semblent déjà sourire au FN et sonner le glas de la ligne incarnée par les Républicains pour enrayer la montée du parti frontiste.

Carine Bécard

Carine Bécard

Carine Bécard est journaliste politique à France Inter.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : D'après la majorité des sondages, les élections régionales qui se dérouleront cet hiver (les 6 et 13 décembre) en Nord-Pas-de-Calais Picardie, le FN risque d'écraser ses concurrents et de remporter la région. Faut-il effectivement s'attendre à une victoire de Marine Le Pen ? Quel serait l'impact d'un tel résultat sur les Républicains ?

Jean Petaux : L’impact d’une telle victoire dépasserait très largement le simple parti "Les Républicains". Ce serait, évidemment, un fait politique majeur non seulement en France, et pour toute la classe politique, mais également en Europe. Le mode de scrutin des élections régionale (listes départementales et attribution des sièges à la proportionnelle avec prime majoritaire) est plutôt favorable au FN. Bien plus que celui des dernières élections départementales. Dans cette nouvelle région redécoupée, Nord-Pas-de-Calais-Picardie il n’y aura que cinq départements (par comparaison, dans la grande région du sud-ouest il y en aura 12 et en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon 13). Dans cette nouvelle région nordiste et picarde il n’y aura donc que 5 listes à constituer pour le FN. La tâche lui sera en quelque sorte facilitée. Si Marine Le Pen se retrouve en tête (même avec une majorité relative, c’est-à-dire avec un score inférieur à 50% des suffrages exprimés dans le cas d’une triangulaire) au soir du second tour, par le jeu de la "prime  majoritaire" elle sera en mesure de gouverner la région sans avoir la nécessité de constituer une coalition.

Rappelons que ce mode de scrutin existe depuis l’épisode des élections régionales de 1998 où, du fait de la proportionnelle quasi-intégrale, le FN d’alors s’est retrouvé dans plusieurs régions, dont d’ailleurs Picardie présidée à l’époque par Charly Baur (UDF), "arbitre des élégances" comme on dit. Pour éviter que le FN ne fasse ou défasse les majorités, le PS et ses alliés d’une part, le RPR et l’UDF d’autre part se sont conjointement entendus et mis d’accord pour instaurer cette "prime majoritaire" accordant à la coalition arrivée en tête un quart des sièges à pourvoir, les autres sièges (75%) étant répartis à la "proportionnelle à la plus forte moyenne". Ce dispositif devait les mettre à l’abri de la pression du FN. Il en va en matière de règle du jeu électoral comme du reste : les surprises sont souvent au rendez-vous. Désormais cette "arme anti-FN" peut tout à fait devenir une formidable opportunité offerte au FN pour gouverner une région, même en étant minoritaire en voix. Et il sera d’autant plus fort en sièges qu’il sortira majoritaire en voix du second tour prévu le 13 décembre. 

L’effet sur "Les Républicains" sera immédiat. On peut tout à fait concevoir que certains élus ou certains cadres de "LR" en profiteront pour "franchir le Rubicon" et militeront pour une alliance avec la nouvelle direction de la Région. D’autres en tireront une conclusion définitive : tout faire pour ne pas laisser d’espace à droite au FN et "bétonner" en privilégiant les thèses d’une "Droite forte". Globalement le parti sera sérieusement secoué même si Nicolas Sarkozy ne pleurera certainement pas de voir Xavier Bertrand battu. Plus largement, la victoire de Marine Le Pen signifiera aussi que le PS aura été sévèrement éliminé. Il ne faut pas oublier qu’une première fois le PS a perdu, dans les années 90, la présidence de cette région fétiche dans l’histoire du socialisme en France, le Nord-Pas-de-Calais. C’était alors au profit de la "Verte" Marie-Christine Blandin. Mais, au moins la coalition à la tête du Conseil régional à Lille incluait-elle des Socialistes. Cette région a quand même été celle dirigée par Pierre Mauroy avant même les lois Defferre de 1981-1982 et Michel Delebarre en a été, par la suite, une des grandes figures. Mais c’est aussi là que tout l’édifice socialiste a montré ses lézardes (nombreux scandales, mises en examen et autres irrégularités plus que condamnables, tout simplement condamnées par la justice…). Autrement dit c’est dans ce fief historiquement inexpugnable pour les partis de gauche et essentiellement pour le PS (dans la grande tradition de Jules Guesde puis de Guy Mollet par exemple) que le FN a pu prospérer. La victoire de Marine Le Pen dans cette partie de la France et son arrivée à la présidence de la Région sonnerait, incontestablement, le glas d’un socialisme "old style" qui se sera révélé impuissant à casser le mur de la désaffiliation sociale et de la crise.

Carine Bécard : Dans le cadre de ces régionales, beaucoup d'ingrédients présents tendent à confirmer une victoire probable de Marine Le Pen au premier tour. Il est important de savoir qu'elle est très bien implantée dans le Nord-Pas-de-Calais, notamment grâce au travail de Steeve Briois. Parmi les habitants de la région, on trouve beaucoup d'électeurs tantôt heureux, tantôt admiratifs, contents qu'elle s'intéresse ainsi à leur région. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si elle lance sa campagne dans en Picardie : elle n'y est pas connue et a besoin de convaincre l'électorat picard, de le séduire.

Le Nord-Pas-de-Calais est, traditionnellement, un bastion très à gauche. Aujourd'hui, cette gauche est en pleine déliquescence, en raison de multiplies scandales. La plupart concernent la gestion de la municipalité, mais tous décrédibilisent la gauche. Elle apparaît toujours sur les écrans radars, certes, mais de plus en plus faiblement. Face à cette situation et en l'absence d'un véritable espace de droite dans le débat, une partie de l'électorat de gauche, déçue, risque de se tourner vers le Front National et d'en gonfler les rangs. Une autre partie pourrait se complaire dans le choix de l'abstention.

Le scénario d'une défaite des Républicains est réel et Nicolas Sarkozy l'envisage vraisemblablement. Cela doit même l'effrayer et l'impact sur Les Républicains serait important. Dans la mesure où la gauche est très absente et sans le moindre crédit, une réaction de la droite est attendue. Or, si Marine Le Pen gagne son pari, ce sera la première dans l'histoire de France que le Front National dirigera une région. Il ne s'agit pas d'une ville, pas d'un département, mais bel et bien d'un petit empire, d'un espace considérable. Cela représente donc un tremplin pour elle dans la perspective de 2017. Au fond, si elle l'emporte, il ne lui restera plus d'autre cap que l'Elysée à franchir. Cela traduirait les difficultés grandissantes que la droite classique rencontre face à un FN conquérant. 

Cependant, il ne faudrait pas y voir une défaite globale de la droite vis-à-vis du FN : ce serait excessif. Ce serait un impact fort et les observateurs politiques vont lire le résultat (quelqu'il soit) dans la perspective de 2017. Malheureusement pour Marine Le Pen, son parti continue à résumer ses propres résultats. Il est clair qu'elle est en bonne voie pour l'emporter au Nord-Pas-de-Calais et en Picardie, mais cela ne signifie pas que son parti s'imposera nécessairement dans d'autres régions. S'il n'y parvient pas ce sera la preuve qu'il se résume essentiellement à Marine Le Pen, et un parti de gouvernement ne peut pas être incarnée que par une seule personne : c'est d'ailleurs l'une des craintes qui pourrait saisir ses électeurs. 

Sur le plan de la stratégie politique pure, j'ai peur qu'une défaite de Xavier Bertrand ne fasse pas réagir Les Républicains. Il est peu probable que leur ligne change, dans la mesure où chaque candidat organise sa propre campagne comme il le souhaite, dans sa région. Par conséquent, tous les candidats pourront se dédouaner et expliquer qu'ils n'auraient pas mené la même campagne. Il faut s'attendre à ce que les Républicains estiment que cette défaite soit due à la personnalité de Xavier Bertrand seul, et non du parti dans son ensemble. En outre, Nicolas Sarkozy est intimement persuadé de sa capacité à récupérer ceux qu'il appelle les "madeleines" : l'électorat de droite qui s'est déporté vers Marine Le Pen. Il y a peu de chances qu'il change sa ligne de politique.

Dans quelle mesure une victoire de Xavier Bertrand, candidat Les Républicains, est-elle envisageable ? Qu'impliquerait-elle concrètement ?

Jean Petaux : Elle est peu envisageable. Sa principale carte, son atout décisif, serait sans doute la constitution d’un "front républicain" entre les deux tours par le retrait ou le ralliement de toutes les listes arrivées derrière les listes départementales qui se réclameront de la coalition "LR, MODEM, UDI". Dans l’hypothèse de la fusion de ces listes avec celles de Xavier Bertrand on peut imaginer que les électeurs, toutes tendances confondues, se mobiliseront pour faire obstacle au Front National. Mais cette hypothèse qui pouvait encore avoir une forte probabilité de réalisation il y a quelques années me semble, désormais, bien plus aléatoire. On a vu lors des dernières élections municipales de 2014 que la "réunion des anti-FN" au second tour est soit "improbable" soit "infructueuse". En d’autres termes les électeurs ne fonctionnent plus vraiment sur le ressort du "danger FN". Même cet argument-là lasse et ne mobilise plus. En fait, en dehors de ce "sursaut" qui reviendrait à ce que les ennemis d’hier passent une alliance de circonstance uniquement dictée par le refus du FN, rien ne semble vraiment sourire à Xavier Bertrand…

Carine Bécard : Comme expliqué plus tôt, la droite ne fait actuellement pas partie de l'espace politique dans le Nord-Pas-de-Calais et en Picardie. Si Xavier Bertrand désire cet espace, c'est donc à lui d'aller le créer. Traditionnellement, la région appartient à la gauche, mais celle-ci déçoit. Le FN apparaît comme un sauveur et, par conséquent, c'est un véritable défi pour Xavier Bertrand.

Est-il capable de distance Marine Le Pen ? Il faut garder à l'esprit que les sondages ne représentent qu'une photographie de la situation, à deux mois et demi du premier tour. Pour l'heure, il n'a pas encore trouvé comment créer cet espace et est largement distancé, mais tout n'est pas joué. Ceux qui le connaissent bien présentent sa campagne comme réussie. Il fait parti de ces élus très à l'aise dans ce genre de situation, capable de dépenser une énergie folle pour tenter de convaincre chaque électeur, un par un. C'est également le cas de Christian Estrosi : tous deux tâchent de cueillir chaque électeur. Dans la mesure où Marine Le Pen est à la tête de son parti, on peut supposer qu'elle ne pourra être aussi présente sur le terrain, que Xavier Bertrand jouit d'une chance de l'emporter.

Néanmoins, Marine Le Pen s'ancre dans une stratégie de conquête. Le FN surfe sur une vague partout en France, qui ne l'oblige pas à être aussi présente. Dans le fond, elle n'a pas peut-être plus besoin de porter un discours aussi "fort, vrai, puissant" qu'auparavant, puisqu'une partie de la population française a envie de croire en elle. Par conséquent, Xavier Bertrand fait face à un vrai challenge, qu'il sera très difficile de relever. S'il y parvient, il changera d'échelon et sera certainement projeté dans le top 10 des ténors à droite, sur lesquels il faudra compter.

Ces élections, peu importe le résultat, ne témoigneront-elles pas de l'efficacité (ou non) de la ligne actuelle du parti de Nicolas Sarkozy, vis-à-vis du Front National ? Est-ce un indicateur fiable quant à la ligne que Les Républicains ont intérêt à adopter pour gagner et ne pas se laisser dépasser par le FN ?

Jean Petaux : Le vrai problème pour "Les Républicains" en ce moment c’est qu’il y a une grosse "friture sur la ligne" fixée à l’égard du FN. On peut même dire que la ligne n’est pas vraiment droite, même si elle se veut clairement "à droite" dans l’esprit du président du parti Nicolas Sarkozy. L’ennui c’est que cette position n’est pas du tout partagée par d’autres leaders au sein du parti "LR". Evidemment que le clivage est fort entre Juppé, Fillon et Sarkozy voire Le Maire pour ne parler que des candidats aux primaires de l’automne 2016 en matière de ligne à adopter vis-à-vis du FN. Mais, au-delà de ce "quarteron" (comme n’aurait pas manqué de dire le général de Gaulle) il est tout aussi intéressant de constater les différences d’attitude entre les têtes de liste de la droite et du centre d’une région à l’autre.

Comment imaginer par exemple qu’un Dominique Reynié, compte tenu de ses valeurs, de ses prises de position très fermes sur le sujet, puisse adopter à l’égard du FN en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon les mêmes options que celles d’un Christian Estrosi tête de liste en PACA voire d’un Laurent Wauquiez en Rhône-Alpes ? Ce dernier n’ayant, à l’évidence, pour conviction que son envie de l’emporter, quoi qu’il en coûte et coûte que coûte. Dans la grande région ALPC (Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes), Virginie Calmels, nouvelle venue en politique, adjointe au maire de Bordeaux Alain Juppé, ne peut guère partager la ligne d’un Nicolas Sarkozy pour s’efforcer de "contrer" le FN et ses propositions. Au demeurant la problématique à laquelle le parti "Les Républicains" est confrontée à l’égard du Front National est toujours la même : faut-il "coller aux thèses" du FN au risque que les électeurs, pas dupes, préfèrent toujours "l’original" (le FN) la "copie" (un parti "LR" ripoliné pseudo-FN) ? faut-il au contraire faire de la surenchère et en rajouter pour tenter de doubler le FN sur sa droite et par la droite (modèle Buisson conseillant Sarkozy entre les deux tours de la présidentielle de 2012) ? faut-il inversement se rapprocher du centre-droit, stigmatiser le FN, ériger une cloison étanche entre ses idées et celles de la "droite républicaine" sur le modèle d’Alain Juppé actuellement ? Ces trois options sont totalement contradictoires et le parti que dirige Nicolas Sarkozy risque tout simplement le claquage violent en s’efforçant de pratiquer un grand écart idéologique à même de concilier toutes les lignes possibles. Au bout du compte l’électorat de droite, aux prochaines primaires, choisira celui des candidats qui lui paraitra le plus à même de battre et Marine Le Pen et François Hollande. Le petit jeu des pronostics n’a pas fini de produire ces effets. Mais c’est sans doute plus en termes de personnalités que de programmes que se fera le choix de ceux qui voteront à l’automne 2016. Hélas ?...

Carine Bécard : C'est une question légitime. La campagne de Xavier Bertrand donne le sentiment qu'il court après celle de Marine Le Pen. Dans l'idée d'avoir un poids auprès des gens, qui votent de plus en plus FN, il estime indispensable de tenir un discours dur. Si lui même prône un discours dur, sans parvenir à distancer Marine Le Pen, il lui offre sa victoire sur un plateau. Parallèlement, dans les régions PACA, Christian Estrosi mène une campagne très dure, bien plus que Xavier Bertrand, face à Marion Maréchal-Le Pen. Or, on peut légitimement penser qu'il a encore de bonnes chances de l'emporter. En dépit de campagnes semblables (Estrosi et Bertrand échangent beaucoup, sur comment résister à la poussée du FN, par exemple), il est probable que les résultats diffèrent.

Par conséquent, si deux campagnes comparables n'offrent pas le même résultat, il est difficile de parler d'indicateur fiable, d'en tirer de grandes leçons ou des principes susceptibles d'aider à affronter le FN pour les mois qui viennent. Il s'agit de campagnes régionales qui dépendent beaucoup de la personnalité du candidat, de la géographie de la région, de l'adversaire (et Marion Maréchal-Le Pen n'est pas Marine Le Pen). C'est très différent d'une campagne nationale puisque les régions restent des territoires (quand bien même ils sont de plus en plus grps). Il est complexe d'établir une stratégie directionnelle sur ce plan de base.

Ce qu'il est important de noter, c'est que Xavier Bertrand aura vraisemblablement plus de chances de l'emporter, s'il clarifie ses ambitions. En jouant sur l'ambiguité d'une potentielle candidature aux primaires (dans le cadre d'une réussite aux régionales), il risque de détourner certains électeurs de lui.

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