Méga tricherie de Volkswagen : les Européens sont-ils capables de se faire respecter par les grands groupes mondiaux comme les Etats-Unis le font ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux Etats-Unis, le groupe est menacé d'une amende record de 18 milliards de dollars.
Aux Etats-Unis, le groupe est menacé d'une amende record de 18 milliards de dollars.
©Reuters

Cachotterie

Volkswagen trichait sur les émissions en CO2 de ses voitures, c'est ce qu'a révélé une association indépendante. A la suite de la découverte de cette duperie, les Etats-Unis ont annoncé des sanctions monétaires s'élevant à 18 milliards d'euros. L'Allemagne, l'Italie et la France ont également déclaré qu'elles pénaliseraient le géant automobile.

David Bosco

David Bosco

David Bosco est Professeur de droit à Aix-Marseille Université. Son dernier livre, Droit européen de la concurrence (avec C. Prieto) est sorti aux éditions Bruylant. Il dirige l’Institut de droit des affaires d’Aix-Marseille.

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Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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Atlantico : En avouant mardi que 11 millions de ses véhicules intégraient le logiciel de trucage des émissions polluantes qui lui vaut des problèmes avec les autorités américaines, Volkswagen attire désormais sur lui la suspicion de l'Europe, principal marché du diesel. Aux Etats-Unis, le groupe est menacé d'une amende record de 18 milliards de dollars. Si les Etats-Unis semblent capables de faire respecter leurs normes - du droit des consommateurs à celui de la concurrence en passant l'environnement - l'Europe est-elle tout aussi en mesure de se faire respecter par les multinationales comme Volkswagen ou Google ?

David Bosco : Après l’affaire BNP Paribas l’an dernier (plus de huit milliards d’euros d’amende) et avec, aujourd’hui, cette nouvelle affaire, on a le sentiment que le système américain est particulièrement répressif. On parle d’un montant d’amende de 18 milliards de dollars aux Etats-Unis dans l’affaire Volkswagen. Cela paraît vertigineux, mais cela s’explique par l’ampleur de la tricherie et par le fait que la sanction se calcule en considération du nombre de véhicules concernés. Si la fraude a concerné 11 millions de véhicules, la sanction sera évidemment très lourde.

Pour ce qui concerne la situation en Europe, il ne me semble pas que l’on soit laxiste en matière économique, bien au contraire. L’Europe aussi sait durcir le ton. La politique répressive de la Commission européenne est clairement plus sévère depuis une quinzaine d’années. On garde en mémoire le montant des amendes prononcées dans les affaires Microsoft (près de 500 millions d’euros) en 2004, et Intel en 2009 (près d’un milliard d’euros), pour des infractions aux règles antitrust. Sans doute commence-t-on à la prendre au sérieux outre-Atlantique, même si le cas Google montre une certaine désinvolture de certains géants américains à son égard.

Erwan Le Noan : L’Europe est probablement aussi bien équipée que les Etats-Unis pour faire respecter son droit. La preuve en est qu'elle a infligé plus d’amendes à l’encontre des cartels en 2013 et 2014 que les Etats-Unis. Entre les deux continents, les lois (ou équivalents), les procédures, les sanctions encourues sont probablement différentes, mais l’un et l’autre savent parfaitement faire respecter leur droit. On peut discuter de la pertinence des lois européennes (sont elles bien faites ? suffisamment sévères ou trop ?) mais c’est un autre sujet.

Certains avancent souvent que les Etats-Unis utilisent leur droit à des fins protectionnistes, ce qui est également probablement vrai. Mais l’exemple de Google, comme un certain nombre de démarches européennes (nationales ou communautaire) récentes montrent que l’Europe sait aussi utiliser son droit pour poursuivre des objectifs politiques.

Olivier Babeau : Face au nombre grandissant de normes diverses (pas seulement environnementales) qui régissent certains marchés par ailleurs particulièrement concurrentiels, dont celui de l’automobile, les acteurs en place sont tentés de « jouer avec les limites » pour gagner un peu de compétitivité ou de marge.

Dans le cas de Volkswagen, il s’agit d’un dispositif particulier de fraude, mais on peut imaginer que les efforts de beaucoup d’autres acteurs pour utiliser toutes les zones d’incertitude des normes afin de s’y conformer à moindre coût sont considérables. Souvenons du scandale provoqué en 1965 par l’activiste Ralph Nader dans son livre Unsafe at any speed dénonçant la réticence des constructeurs automobiles américains à aux nouvelles normes de sécurité !

Face à cette lutte sourde, les instances de contrôle sont rarement assez nombreuses (pensons aux inspecteurs du travail en France), d’autant plus que les efforts des acteurs pour entretenir l’obscurité autour de leurs actions les plus problématiques sont considérables. Les autorités européennes sont soumises aux mêmes pressions que celles des Etats-Unis, mais je crois aussi qu’elles ne sont pas moins démunies face à elles.

Mardi, dans le dossier Volkswagen, Michel Sapin a appelé à "une enquête européenne". Plus tard, Berlin a exigé des tests plus poussés et l'Italie a annoncé l'ouverture d'une enquête. Ces réactions en ordre dispersé montrent-elles les limites de la riposte européenne dans des dossiers mêlant des multinationales ?

David Bosco : Non, globalement, l’arsenal répressif est assez bien organisé en Europe et les différentes autorités européennes de marché collaborent de manière efficace. Nous avons en particulier en Europe, un règlement n° 443/2009 qui prévoit tout un dispositif dissuasif pour les émissions excédentaires de CO2 et l’assiette de la somme à verser tient compte du nombre de voitures vendues. Le texte sera d’ailleurs prochainement révisé et le prochain sera plus ambitieux. C’est la Commission qui est en charge de mettre en œuvre ces textes.

Si une procédure s’ouvre contre Volkswagen et que le nombre de véhicules concerné est très significatif, l’amende sera lourde, c’est une évidence. En somme, je n’ai pas le sentiment que le droit européen soit en retrait sur les questions environnementales ou, plus généralement, sur le respect de ses réglementations techniques.

Erwan Le Noan : La diversité des réponses européennes ne montre pas une « faiblesse » de l’Europe, mais reflète simplement que les Etats de l’Union restent souverains pour un nombre non négligeable de leurs compétences et notamment pour tout ce qui concerne des matières de police, le droit pénal…

Une riposte unique en la matière supposerait soit une coordination intense – mais les Etats peuvent avoir des intérêts divergents – soit une union complète – et il n’est pas avéré que les peuples européens ni leurs gouvernants ne la souhaitent aujourd’hui, pour de multiples et très diverses raisons.

Olivier Babeau : Je crois que ces réactions doivent d’abord s’analyser comme des stratégies de communication politique bien compréhensibles : les responsables politiques des pays cherchent à montrer que, d’une façon ou d’une autre, ils sont aux commandes. Ensuite, l’action judiciaire qui aura probablement lieu me semble avoir plus vocation à être orchestrée au niveau européen, puisque le problème touche probablement tous les pays où la marque est présente.

En matière de concurrence en revanche, l'action de la Commission européenne, contre Microsoft hier ou Google aujourd'hui, semble plus agressive que celle des Etats-Unis. Comment expliquer cette différence ?  

David Bosco : Ces deux groupes là sont américains… Ce n’est peut-être pas tout à fait indifférent dans l’esprit des autorités américaines. Et il ne vous a pas échappé que les affaires BNP Paribas et l’affaire Volkswagen concernent des groupes étrangers. Je laisse ces phrases en suspens…

Il y a autre chose : les affaires Google et Microsoft sont des affaires antitrust. En la matière, le droit américain est plus prudent que le nôtre. C’est une différence culturelle, les américains font davantage confiance au libre jeu du marché que nous. Pour ce qui concerne l’affaire Microsoft, le cas a été négocié aux Etats-Unis et s’est terminé par une transaction, alors qu’il a donné lieu à de lourdes amendes en Europe. Quant au cas Google, en réalité, il commence à peine en Europe. Mais il semble bien que l’on s’oriente vers un contentieux long et difficile, avec sans doute une amende importante à la clé. 

Erwan Le Noan : Le cas de Google est très intéressant : aux Etats-Unis, l’autorité en charge de la concurrence a fait le choix d’abandonner la procédure qu’elle avait ouverte à l’encontre de Google, estimant qu’il n’y avait pas de pratiques anticoncurrentielles avérées. En Europe, la procédure dure depuis des années : longtemps, la Commission européenne a hésité à engager une procédure contentieuse, estimant que ses arguments étaient trop fragiles. Le changement de Commission récent a conduit à un changement de stratégie et à une offensive majeure et massive contre Google.

Cela montre bien que le droit peut également être utilisé, en Europe, de diverses façons et notamment pour poursuivre des objectifs politiques (non pas au sens de « partisan », mais au sens où la Commission européenne poursuit un agenda politique clair qui prône une régulation plus interventionniste des marchés numériques – ce qui est au demeurant fort contestable).

Olivier Babeau : On se souvient en effet que la Commission européenne avait infligé à Microsoft des amendes cumulées s’élevant à 2,2 milliards d’euros entre 2004 et 2013. Aux Etats-Unis, des procédures avaient eu lieu mais avaient accouché de sanctions incomparablement plus clémentes.

Dans le cas de Google, c’est l’enquête ouverte par la Commission pour abus de position dominante qui représente aujourd’hui la menace la plus considérable pour la firme californienne. Une différence de traitement qui tient peut-être à des conceptions différentes du droit de la concurrence, mais peut-être aussi un peu, disons-le, au fait que les grandes firmes bénéficient d’une bienveillance naturelle de la part de leur pays d’origine. L’Europe en revanche voit d’abord les géants du Net comme des concurrents étrangers à ses propres entreprises, et réagit plus fermement face à eux. Cela n’empêche pas les Etats-Unis de se joindre aux autres pays de l’OCDE pour exiger des changements dans les pratiques d’optimisation fiscale de ces sociétés (pratiques dont elle pâtit aussi).

Aux Etats-Unis, c'est une association indépendante qui a découvert la supercherie et qui l'a relayée devant des institutions compétentes. En Europe, ce schéma est-il envisageable ? Les associations jouent-elles un rôle tout aussi déterminant ? Quelle est la marge dont disposent les acteurs indépendants ?

David Bosco : Sur ce point, notre droit européen doit progresser. Pour prendre l’exemple du droit de la concurrence, les actions d’associations de consommateurs en réparation du préjudice que les infractions économiques leur cause balbutient en Europe. Elles sont très efficaces aux Etats-Unis. Mais là encore c’est une différence culturelle : le système américain accorde une place importante aux actions privées alors que, traditionnellement, les infractions économiques sont plutôt poursuivies par l’administration en Europe. 

Erwan Le Nohan : Les associations européennes sont également actives et elles contribuent assez efficacement à mettre les entreprises sous pression, en faisant valoir leurs agendas et en les imposant dans l’espace médiatique – parfois comme si elles ignoraient presque que le but des entreprises est d’abord de faire du chiffre d’affaires. Les associations américaines sont peut-être plus fortes, plus vives, plus indépendantes (en France, il faut rappeler que le magazine « 60 millions de consommateurs » … est une filiale du ministère des finances !). Elles disposent également de moyen d’action plus importants, notamment à travers les class actions…

Olivier Babeau : Le « tireur d’alarme », comme on appelle celui qui dénonce une pratique répréhensible dans l’entreprise, est plus facilement un acteur indépendant. On apprendra sans doute au cours de l’enquête concernant VW qu’un nombre non négligeable de gens étaient au courant (exactement comme dans les cas des scandales Kerviel, Madoff ou Parmalat…). Parties prenantes à l’activité du constructeur de près ou de loin, ils n’avaient pas intérêt à ébruiter le scandale.

Or l’Europe a, comme les Etats-Unis, un grand nombre d’ONG ou d’associations qui peuvent potentiellement jouer ce rôle de tireur d’alarme. Il est certain néanmoins que plus l’impact d’un scandale (notamment en termes de retombées économiques) est fort sur un territoire donné, plus une pression naturelle s’exercera sur le dénonciateur potentiel appartenant à ce territoire. Autrement dit, l’Allemand qui aurait révélé l’affaire n’aurait peut-être pas été porté en triomphe... Souvenons-nous du sort réservé dans l’antiquité à l’apporteur de mauvaises nouvelles ! C’est sans doute pourquoi il a été plus facile pour des Américains de « tirer l’alarme » concernant VW.

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