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Les progrès dans la motorisation permettent, une fois la commande lancée, d’avoir un membre actif qui accomplit l’action à la place d’un membre absent.
Les progrès dans la motorisation permettent, une fois la commande lancée, d’avoir un membre actif qui accomplit l’action à la place d’un membre absent.
©Reuters

Homo bionicus

Au regard de toutes les nouvelles possibilités offertes pour "greffer" des membres sur notre corps, la distinction entre l'Homme et la machine n'a jamais été aussi mince. Ces perspectives ouvrent sur ce que l’on qualifie parfois de "trans-humanisme" ou de "post-humanisme".

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Atantico : Quelles avancées ont été, selon vous, les plus déterminantes dans ce processus ?

Jean-Gabriel Ganascia : La bionique permet de greffer un membre et de le commander directement par l’entremise de notre volonté. Deux techniques peuvent être utilisées : soit rabouter directement les nerfs à des circuits électroniques, soit utiliser des interfaces cerveau-ordinateur. Dans des deux cas, les signaux internes, signaux nerveux pour la première technique ou signaux électriques corrélés à l’activité cérébrale pour la seconde, servent à commander de la prothèse. Les progrès dans la motorisation permettent, une fois la commande lancée, d’avoir un membre actif qui accomplit l’action à la place d’un membre absent. Enfin, on ajoute maintenant des capteurs à ces membres bioniques. Ils donnent, en retour, une sensation, certes réduite et différente de la sensation initiale, mais fondamentale pour interagir avec sa prothèse dans le monde.

Concrètement, à quelles transformations sommes-nous en train d'assister et où vont-elle nous mener ?

Ces nouveaux dispositifs permettent de remplacer un membre amputé et de continuer à vivre presque normalement. La perte d’un bras n’empêche plus de travailler, du moins pour de nombreux métiers. De même, la perte d’une jambe n’empêche plus de marcher, même si courir devient moins facile et si l’on imagine mal devenir champion sportif. Toutefois, la question se pose lorsque le dispositif permet de surpasser les performances des personnes valides. On se souvient des débats autour d’Oscar Pistorius, cet athlète Sud-Africain qui avait des fines lames de carbone à la place des pieds, ce qui lui a permis de se classer non seulement dans les jeux paralympiques, mais aussi, dans les jeux olympiques. On signale aussi le cas de Mohammed Abad, un homme de 43 ans mutilé dans son enfance après un accident, qui a reçu un pénis bionique qui lui permettrait d’avoir des érections. Nous avons donc la possibilité de restaurer, au moins partiellement, la fonction de membres amputés.

Comme le disait Rabelais, "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Pensez-vous qu'il faille avoir peur de l'Homme bionique ?

Jusqu’où peut-on aller avec les membres bioniques ? Pourquoi ne pas rajouter un bras, voire deux, et nous transformer tous en des dieux hindous comme Shiva ? De la réparation d’une défaillance, on irait alors à l’augmentation et l’on se muerait en hybrides d’hommes et de machines, autrement dit en cyborgs (cyber-organismes). Ces perspectives ouvrent sur ce que l’on qualifie parfois de trans-humanisme ou de post-humanisme. Comment ne pas craindre là un péril pour l’homme ? En effet, l’homme ainsi équipé risquerait de ne plus subsister sans équipement ; il deviendrait dépendant des machines pour sa subsistance et donc esclave... Faut-il en avoir peur ? Je n’en suis pas certain, mais en revanche je crois qu’il faut bien réfléchir aux limites à ne pas franchir. C’est là une question urgent

Face à ces évolutions, quels freins éthiques faudrait-il poser selon vous ?

A la suite d’Oscar Pistorius, une jeune athlète, Danielle Bradshaw, qui souffrait de la même maladie qu’Oscar Pistorius s’était faite amputée d’un pied. Se trouvant déséquilibrée et souhaitant accéder au podium dans des conditions équivalentes à Oscar Pistorius, elle demanda à son médecin qu’on l’ampute du second pied afin d’avoir deux lames de carbone. Sachant qu’il n’y avait pas d’impératif médical pour cela, fallait-il accéder à sa demande ? Cette question est emblématique des problématiques éthiques auxquelles la bionique risque de nous confronter. Je crois que, pour y répondre, il faudrait introduire la notion de réversibilité : l’introduction d’un dispositif matériel ne se justifie que lorsque l’opération inverse demeure possible. Si la personne se trouve déjà amputée, la question ne se pose pas. Si on lui ajoute un dispositif bionique externe comme un exosquelette, cela ne pose pas non plus de problème, à condition que l’on soit en mesure de l’en débarrasser. En revanche, on devrait s’interdire de procéder à des opérations que l’on ne peut annuler, comme supprimer un membre qui fonctionne correctement.

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