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Quand le médecin de campagne remplace le gendarme
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La tactique du gendarme

Dans son roman "Médecin, quand reviendras-tu?", Robert Escande raconte son quotidien de médecin généraliste dans la campagne ardéchoise. En plus d'être le "toubib", il joue aussi le rôle de psychologue, conseiller et parfois de ... gendarme. Extraits (2/2)

Robert Escande

Robert Escande

Robert Escande a exercé durant 20 ans dans son cabinet de médecin en Ardèche.

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La mère Chapelain était une charmante vieille fille, toute menue, toute ridée. Elle avait tenu autrefois l’unique hôtel-restaurant de Saint Etienne en montagne. Il avait à l’époque une excellente réputation, toujours briqué comme un sou neuf, on y venait de loin pour se régaler des spécialités culinaires locales. Elle était encore fringante, la mère Chapelain, bien qu’elle sorte de moins en moins, handicapée par une vilaine "cyphose": cette déformation vertébrale progressive fait courber l'échine de nos anciens, sous le poids des ans et d'une carence en calcium dans les vertèbres. Elle se dandinait le torse à l’horizontale. Elle avait une solide réputation, et n’était pas du genre à se tromper en comptant sa monnaie ni à raconter des balivernes. Aussi quand elle m’appela :

-« Docteur, venez vite, il y a plein de gens chez moi ! », je ne pris pas l’information à la légère.

-« Appelez les gendarmes, madame Chapelain, de mon côté je me prépare à venir ».

-« Je l’ai fait, mais ils veulent que vous passiez d’abord ! ».

Bien évidemment, je reconnaissais la témérité légendaire de mes fonctionnaires de gendarmerie. Dans les cas, pas si rares que cela, où un forcené tenait une arme et menaçait de se suicider, de tuer sa femme, ou de tirer sur tout ce qui bouge, on envoyait toujours en éclaireur le toubib. Le médecin du village ardéchois de Coucoulude, pressé par les gendarmes d’administrer un sédatif à un agité muni d’un couteau de cuisine, n’avait eu la vie sauve que grâce à son excellente condition physique et sa vitesse au sprint. Il ne laissa dans l’affaire qu’un peu de fierté, le fond de ses culottes, et une entaille sur la partie la plus charnue de sa personne.

Une autre fois, un gendarme de notre brigade, croisant dans je ne sais plus quelle circonstance, un individu passablement énervé, avait assisté stoïque à la destruction totale de son véhicule de fonction à coup de pelle à neige, sans jamais s’interposer.

Ce soir-là, je jouerai encore une fois les éclaireurs. Pendant le court trajet qui me séparait du domicile de madame Chapelain, j’échafaudais en silence toutes les hypothèses plausibles. Des voleurs, ou une bande de gamins en train de faire une mauvaise blague ?

Arrivé devant sa maison que je trouvais étrangement calme, je sonnais, et aussitôt madame Chapelain m’ouvrit la porte, toute réconfortée.

-« Docteur vous tombez bien, entrez je vous en prie. Ils sont partis mais j’ai eu très peur ! ».

Devant l’appartement propre comme une salle de réanimation, et vide comme une administration les jours de finale de la coupe du monde de foot, j’inspectai brièvement les lieux, tout en me faisant expliquer cette intrusion. Fort heureusement, pour conforter ses allégations, il en restait un, caché sous la table. C’était Victor, des « feux de l’amour », qui après l’avoir attirée par un puissant aimant et collée au plafond, s’était réfugié sous la table en chêne et s’accrochait aux pieds.

Un rapide coup d’œil sous la nappe me permit d’établir un diagnostic brillant : bouffée hallucinatoire. Une petite piqûre d’Haldol à demi-dose suffit à régler temporairement le problème, et madame Chapelain vécut encore quelques années dans sa maison sans poser trop de problèmes, avant de finir paisiblement ses jours dans une maison de retraite, où à mon départ elle était encore.

Quant à nos valeureux gendarmes, ils s’étaient mis en embuscade derrière ma voiture. Voyant qu’au bout d’un bon moment il ne se passait pas grand-chose, ils firent irruption dans la maison, fusil à pompe au poing, dans le plus pur style des séries américaines.

Extraits de Médecin, quand reviendras-tu ?, Editions Baudelaire (12 mai 2011)


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