Roger-Pol Droit, “Qu’est-ce qui nous unit” : on oublie la pluralité de “nous” qui habite chacun, alors qu’elle est vitale<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans son livre, Roger-Pol Droit insiste sur le "nous" que représente la famille.
Dans son livre, Roger-Pol Droit insiste sur le "nous" que représente la famille.
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Entretien

Dans "Qu'est-ce qui nous unit ?" publié chez Plon, Roger-Pol Droit revient sur le "nous" et la capacité de "vivre ensemble", à travers plusieurs institutions que sont la famille, l'Etat ou le terroir. Entretien avec l'auteur.

Roger-Pol Droit

Roger-Pol Droit

Ecrivain, philosophe, chercheur au CNRS, enseignant à Sciences-Po, Roger-Pol Droit est l'auteur d'une vingtaine de livres, dont plusieurs traduits dans le monde entier. Il écrit régulièrement dans Le Monde, Le Point et Les Echos. Avec Petites expériences de Philosophie entre amis (Plon, 2012), il retrouve la veine des 101 expériences de philosophie quotidienne, best-seller mondial traduit en 23 langues, l'alliance d'écriture limpide, tantôt poétique tantôt drôle, d'imagination débordante qui a fait son succès. (Voir www.rpdroit.com)

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Atlantico : Dans votre livre, vous explorez les "nous" qui nous permettent de nous retrouver et constituent notre lien humain. Comment en est-on arrivé à devoir se poser cette question de ce qui nous unit ? Qu'est-ce qui s'est dissout pour que la société ait du mal à y répondre d'elle-même ?

Roger Pol Droit : L’interrogation sur ce qui constitue les liens humains n’est pas évidemment pas récente. En fait, c’est fait la question du politique, de l’existence même des humains en société, tout autant que celle de l’amour et de l’amitié. Ces questions n’ont cessé d’être scrutées au cours de l’histoire de la pensée, depuis Platon et Aristote jusqu’à nos jours. Mais c’était, si j’ose dire, des questions froides, souvent coupées des réalités concrètes. Aujourd’hui, ce qui nous unit est devenu une question urgente, pour deux raisons principales.

D’abord la multiplication des conflits, des affrontements, des divisions. L’affichage permanent des tensions dans les flux d’informations nous fait oublier l’autre versant, celui des solidarités et des unions. J’ai donc voulu les remettre en lumière – non pas pour estomper la réalité des heurts, mais pour rééquilibrer le regard. Car je suis convaincu qu’on doit tenir ensemble les faces opposées de la réalité.

D’autre part, quantités d’identités - nationales, culturelles, sociales, individuelles... – sont entrées en crise sous les effets conjugués, notamment, de la mondialisation  et de la digitalisation des relations humaines. D’où cette impression partout présente de perte des repères, avec pour conséquence des crispations identitaires, des replis sur des « nous » figés, clos, essentialisés.

Lire aussi l'extrait de son ouvrage : "Qu'est-ce qui nous unit ?", de Roger-Pol Droit : cette confusion entre le terroir et l’Etat qui empêche la construction du "nous" national

Dans ce livre, je propose donc de réexaminer ce qu’on appelle « nous », de découvrir la diversité des liens humains, qui définissent plusieurs de grands types de « nous » (entre autres : famille, amis, amants, langue, terroir, Etat, humanité, ensemble des vivants). Chaque personne se rattache à des quantités de nous différents, mais on oublie la pluralité de nous qui habite chacun, alors qu’elle est vitale.

De quoi nous vient cette capacité à nous unir ? Vous évoquez le vivre-ensemble, quelle définition lui donnez-vous ?

Le ressort ultime de ce qui permet de constituer des « nous » est malaisé à cerner. Parmi les causes bien connues figurent la lenteur du développement d’un être humain, sa si longue enfance, le langage articulé, les échanges matrimoniaux, commerciaux, symboliques... Sans oublier l’immédiate solidarité qui pousse les humains à se secourir en cas de détresse, sans réfléchir et sans parler.

« Vivre ensemble » est autre chose. L’expression s’est affadie, elle est souvent devenue une sorte de potion magique consensuelle qui ne m’intéresse pas. A mes yeux, en parlant de « vivre ensemble », il n’est pas question de nier les tensions, mais de les prendre au contraire comme point de départ. « Vivre ensemble » n’est donc pas une réponse, mais une question : comment constituer un « nous » avec nos divisions, nos divergences et nos clivages ? Depuis cinq ans, j’ai élaboré en collaboration avec le CESE, à la demande de Jean-Paul Delevoye, une série de Forums sur le vivre ensemble, qui ont abouti à quatre volumes publiés aux PUF. Chaque année, depuis 2011, ces Forums réfléchissent sur des tensions à surmonter pour vivre ensemble, « entre confiance et défiance », « temps court et temps long », « richesse et pauvreté », « unité et diversités » etc.

En quoi la confusion entre le terroir et l'Etat est-elle une difficulté pour le "nous" national, et donc la question d'identité nationale ?

Le terroir et l’Etat sont deux formes de relations totalement distinctes. La première est affective, corporelle, sensible : on aime la terre de son enfance, ses odeurs, ses saveurs, la couleur des toits et des champs, les coutumes de chez soi... Ce qui est tout à fait légitime. Je ne vois pas au nom de quoi on devrait refuser à qui que ce soit cet attachement. Mais il n’a rien à voir avec l’Etat, qui instaure entre les citoyens une relation juridique, rationnelle et non pas charnelle. Un même Etat de droit englobe des régions dissemblables, des langues et des coutumes différentes, des terroirs disparates. Confondre la terre et la loi, c’est le point de départ de tous les fascismes.

Vous insistez beaucoup sur ce "nous" que représente la famille. Ce "nous" est-il mis en danger au fur et à mesure des années ?

J’y insiste tout simplement parce que le nous de la famille -  quelle que soit l’époque ou la civilisation considérée - est celui où tout être humain commence à  se construire, de manière plus ou moins conflictuelle mais toujours primordiale. Je n’ai pas le sentiment que ceci soit en danger. Des formes historiques de la famille sont évidemment en train d’évoluer, mais les liens eux-mêmes ne sont pas menacés.

Dans votre épilogue, vous concluez en disant que finalement, ce qui nous unit se résume en deux mots: corps-parlant. Comment expliquez-vous cette expression ?

C’est une antique définition de l’humain, qu’Aristote formulait en grec par les termes « zôon logikon », que l’on peut traduire aussi bien par « animal parlant », que par « animal doué de raison ». Je préfère corps-parlant, pour indiquer que l’humain possède un corps expressif, travaillé par le langage. C’est dans cette présence expressive et ces manifestations que s’ancre ce qui nous unit, que ce lien soit construit ou bien  spontané, qu’il soit réfléchi ou bien impulsif, qu’il soit restreint ou global. 

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