La mondialisation sens dessus dessous, ou quand les Chinois ouvrent des usines textiles aux États-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
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Des industries textiles chinoises ont commencé à délocaliser une partie de leurs usines en Caroline du Sud (Etats-Unis).
Des industries textiles chinoises ont commencé à délocaliser une partie de leurs usines en Caroline du Sud (Etats-Unis).
©Reuters

Le monde à l'envers

Des industries textiles chinoises ont commencé à délocaliser une partie de leurs usines en Caroline du Sud (Etats-Unis). Elles bénéficient d'un accès direct aux plantations de cotons et ont recours à une main d'œuvre prête à tout pour trouver du travail, dans une région où les taux de chômage sont très élevés. Cela annonce une nouvelle mondialisation, avec obsolescence du clivage Nord/Sud.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : Quel est l'intérêt économique pour les entreprises chinoises de délocaliser leurs sites de production textile aux Etats-Unis? Comment expliquer ce phénomène ?

Gilles Saint-Paul : L’intérêt économique ne réside pas dans les salaires qui restent évidemment plus élevés – et même bien plus élevés, de l’ordre de dix fois plus -- aux Etats-Unis qu’en Chine. D’ailleurs il faut se garder de tirer des conclusions hâtives de ce genre d’anecdotes, car le propre du capitalisme est d’ouvrir la voie à toutes sortes d’expérimentations, et de laisser les marchés faire le tri entre les bonnes et les mauvaises idées. Cela étant dit, il n’en reste pas moins que sous l’effet de la croissance, les salaires ont augmenté bien plus rapidement en Chine que dans les pays occidentaux : le coût horaire du travail y a quadruplé depuis 2002. L’entreprise chinoise qui s’installe aux Etats-Unis y perd certes en termes de coût du travail, mais bien moins que par le passé et elle s’y retrouve dans la mesure où (dans le cas du coton) elle se rapproche de ses fournisseurs de matières premières, ainsi sans doute que de ses clients, et bénéficie d’un niveau de protection légal et de qualité d’infrastructures publiques, ainsi que d’un secteur financier, supérieurs à ce qu’elle trouverait en Chine. Par ailleurs, les excédents commerciaux chinois sont inévitablement associés à une accumulation de créances envers le reste du monde, puisque la Chine vend plus aux autres pays qu’elle ne leur achète, et doit placer l’argent ainsi gagné sur les marchés de capitaux internationaux.  Une conséquence de ce déséquilibre, entre autres, est que l’investissement direct de la Chine dans les pays étrangers, y compris développés, tend à s’accroître.

Ces mécanismes pourraient-ils engendrer la multiplication des implantations d'usines appartenant à des industriels de pays émergents ?

Les usines appartenant à des industriels de certains pays émergents – ceux qui exportent plus qu’ils n’importent – sont appelées à se développer, en raison du lien positif, expliqué plus haut, entre l’investissement direct étranger et les excédents commerciaux. Il est plus difficile de savoir où ces industriels vont installer ces usines. L’exemple américain montre que le coût de la main d’œuvre n’est qu’un des paramètres. Sa qualité, l’accès aux fournisseurs et aux circuits de distribution, les infrastructures, la fiabilité de l’Etat de droit, sont autant de paramètres qui influencent la rentabilité de l’investissement.  Les pays qui seront gagnants seront ceux qui seront capables de conjuguer stabilité politique, institutions favorables au commerce et modération des coûts de main d’œuvre. Mais il faut bien voir que ce dernier avantage ne saurait être que transitoire, car les hausses de productivité associées aux transferts de technologie et à l’investissement direct étranger ont un effet positif sur la demande de main d’œuvre et se traduisent en fin de compte par des hausses de salaires (c’est ce qui est arrivé au Japon au cours de l’après-guerre).

Après la Chine, quel sont aujourd'hui les nouveaux pays du travail low-cost ?

Il existe d’importantes réserves de main-d’œuvre peu qualifiée en Afrique et les salaires y sont très faibles. On s’attend donc à observer des mouvements de capitaux à destination de l’Afrique et le décollage économique de certains pays africains. Ces pays sont par ailleurs riches en matières premières, ce qui devrait constituer un intérêt supplémentaire. Cependant, bien d’entre eux sont en proie aux conflits ethniques et à la corruption, phénomènes qui réduisent la rentabilité des investissements et maintiennent ces pays dans le sous-développement. On peut cependant supposer que quelques pays africains parviendront à surmonter ces handicaps ; ils devraient alors de rendre particulièrement attractifs dans les années qui viennent.

Quels sont aujourd'hui les secteurs où les marchés émergents sont encore en position de force?

La notion de secteur est de plus en plus trompeuse car un même produit est fabriqué dans différents pays, selon l’avantage comparatif des uns et des autres. Ce sont donc de plus en plus les tâches, plutôt que l’ensemble de la fabrication, que l’on délocalise. Les pays émergents, de par l’importance de leur main d’œuvre peu qualifiée, sont naturellement spécialisés dans les tâches intensives en travail : centres d’appel, assemblage, etc.  Un cas classique est celui de l’i-phone. Celui-ci est importé de Chine, mais seul l’assemblage y est effectué, ce qui ne représente que 4 % de la valeur totale de l’i-phone. Le vrai défi pour les pays émergents, à l’avenir, est celui de l’introduction de robots, qui pourraient représenter une main d’œuvre à bas coût inégalable. Cela remettrait en question les stratégies de développement fondées sur l’exportation de biens, ou plutôt de tâches, intensives en travail peu qualifié, réduisant rapidement le volume des échanges mondiaux, et contraignant les pays émergents à investir dans l’éducation et la recherche. Dans le cas de l’Afrique, cela ne sera envisageable que dans la mesure où ce continent pourra enfin effectuer sa transition démographique, mettant un terme à l’explosion actuelle.

La crise de 2008, en touchant sévèrement l'ensemble de l'économie de marché et en fragilisant les monopoles, est-elle responsable de ce retournement de situation, ou les racines sont-elles à chercher ailleurs ?

A mon sens, le phénomène n’est guère lié à la crise de 2008, mais est une conséquence naturelle de la convergence en termes de coût de main d’œuvre des pays émergents ainsi que des excédents commerciaux accumulés par ces pays. Cependant, la crise de 2008 a probablement accéléré cette évolution parce qu’elle a modéré les salaires dans les pays les plus développés, et parce qu’elle a entraîné une chute des prix immobiliers. Mais on aurait observé un décollage des flux d’investissements en provenance des pays émergents même si la crise ne s’était pas produite, comme en témoigne, à nouveau, le précédent du Japon.

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