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Cinéma Youtube : quand la vidéo s’invite sur grand écran
©REUTERS/Dado Ruvic

Promotion culturelle

Youtube est à Google ce que la magie, la psychanalyse, l'angoisse et le comique de situation sont à Woody Allen : un fond de commerce puissant et qui en fait, en partie, sa renommée. La machine de guerre du moteur de recherche lui permet d'être sur tous les fronts, qu'il s'agisse de musique, de cinéma ou de télévision : l'influence de Youtube paraît illimitée.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : YouTube est en forte expansion, le nombre de vues ne cesse de croître (+60% en plus par rapport à l'année passée) ce qui signifie que les revenus et les publicités augmentent également. Le poids de YouTube se fait-il ressentir sur la conception de vidéos plus traditionnelles (films, séries télévisées, émissions de télévision..) ?

Nathalie Nadaud-Albertini : Oui, car sur YouTube on trouve des extraits de films, de séries, d’émissions de TV, une grande partie des bandes annonces. Ces extraits fonctionnent comme des teasers. Et cela permet également de se renseigner, de commencer à se faire un avis avant de décider ou non de regarder en entier, que ce soit en visionnant les extraits ou en lisant les commentaires de ceux qui ont déjà vu le film, la série, l’émission en entier.

Depuis quelques années, de plus en plus d'individus ouvrent des comptes sur les sites Internet sur lesquels ils publient leurs propres vidéos. Les Youtubeurs, tels qu'on les appelle communément, entretiennent un lien de proximité avec leurs fans. Aujourd'hui, retrouve-t-on ce rapprochement entre la production et les spectateurs dans le cinéma ?

Oui. Jusqu’au début des années 2000, on proposait essentiellement aux spectateurs une œuvre selon un rapport vertical. C’est-à-dire que dans le processus de production on ne pensait pas à la réception des téléspectateurs qui, adhérant à l’œuvre, ont envie de se rapprocher des personnages et/ou des acteurs. On proposait tout au plus des interviews des acteurs dans des publications essentiellement consacrées au cinéma ou dans des supports de presse incluant une rubrique culture.

Avec l’expansion des usages Internet, et notamment l’activité des Youtubeurs, on sait que les gens attendent davantage de proximité. De sorte que l’on s’efforce d’inscrire l’œuvre cinématographique dans un rapport horizontal avec les spectateurs, et ce, à travers différents dispositifs. Par exemple, à la fin d’un film, on mettra un bêtisier. Ou on inclura sur un DVD les coulisses, certaines prises qui ont dû être refaites à plusieurs reprises. Dans la même logique, les acteurs communiqueront plus sur eux-mêmes ainsi que sur la façon dont ils ont intimement vécu le tournage, abordé leur personnage voire la réception du film par la critique et/ou les spectateurs.

Autrement dit, actuellement, la production a compris que les spectateurs attendent que l’on rende le processus de production moins opaque et les acteurs plus accessibles. On a pris acte du fait que les spectateurs attendent qu’on les présente comme de « vrais gens » et non pas comme des êtres dont on se sent très éloigné. Bien sûr, entre les stars des années 30/40 qui étaient perçues comme des icônes, des êtres évoluant symboliquement en dehors du monde du commun des mortels et les acteurs des décennies qui ont suivi, il y a une grande différence, car plus on avance dans le temps plus on désacralise les acteurs.

Le phénomène YouTube s’inscrit dans ce mouvement de désacralisation et de proximité accrue tout en l’accélérant, car il repose sur des figures de proue qui se présentent comme proches des gens et abordent souvent des thèmes de la vie quotidienne. Soit avec un humour qui  très fréquemment montre le Youtubeur comme inférieur en intelligence ou en force à ceux qui vont regarder. Soit selon un rapport d’égalité simulée. C’est le cas des auteurs de tous les tutos. On peut parler d’égalité parce que le Youtubeur apparaît comme quelqu’un qui se pose des questions pour faire telle ou telle chose et donne sa solution pratique, avec souvent une esthétique très basique. Elle est simulée parce qu’en donnant une réponse à la question que les abonnés se posent, le Youtubeur est dans les faits supérieur par ses connaissances. Cependant, tout est fait pour gommer cette supériorité et rester dans le sentiment de proximité. 

Outre le cinéma, cette nouvelle manière de se rapprocher du public a-t-elle contaminé la télévision ?

Oui. La plupart des personnages publics de télévision ont compris qu’ils doivent se situer dans une communication de proximité avec les téléspectateurs. La mise en œuvre de ce rapprochement passe par une activité sur Internet. Certains se limiteront aux réseaux sociaux comme facebook et twitter, souvent parce que, s’ils sont conscients de la nécessaire proximité à instaurer avec les téléspectateurs, ils savent également que leur activité principale doit se dérouler  dans le petit écran et non pas sur d’autres médias. Ce sera par exemple le cas des animateurs.

D’autres pourront plus facilement utiliser les différentes potentialités de communication offertes par Internet. Ainsi, certains acteurs de séries créeront-ils leurs chaînes YouTube pour se rapprocher du public et aller au-delà du personnage souvent récurrent qu’ils incarnent pour le petit écran.

En outre, de nombreux candidats de téléréalité usent abondamment de tous les modes de communication sur Internet (twitter, facebook, instagram, snapchat etc.) pour maintenir le lien avec les téléspectateurs et entretenir leur notoriété dans un rapport de proximité. Ils sont donc nombreux à utiliser snapchat pour proposer des morceaux de leur vie sans intermédiaire. Les meilleurs moments sont diffusés sur des chaînes YouTube, que ce soit par les principaux intéressés, leurs fans ou certains blogueurs. 

Et enfin, la télévision tente d’intégrer la logique de proximité de YouTube en incorporant à ses programmes certains Youtubeurs particulièrement prisés du public. On peut citer le cas de Norman qui a participé à diverses émissions (Very Bad Blagues sur Direct 8 ; Bref sur Canal + ; Palmashow l’émission sur D8 ; La jeunesse a-t-elle une histoire sur Arte ; Scènes de ménage  sur M6 et Péplum sur M6) ou celui de la YouTubeuse beauté Enjoyphoenix qui devrait participer à la prochaine saison de Danse avec les Stars sur TF1.

Si le renforcement du lien public/acteurs et productions est intrinsèquement lié à l'impact de YouTube, l'esthétique des vidéos (films, séries...) a-t-elle évolué avec l'ampleur du phénomène YouTube ? [films avec téléphones, voix off..)

Oui, on constate un impact de l’esthétique YouTube sur certains films ou certaines séries. Par exemple, le film d’horreur Cloverfield propose une esthétique qui repose sur un sentiment de réalité, d’authentification. Pour ce faire, on utilise des images qui semblent tournées avec un téléphone dans des conditions extrêmes. Elles sont donc mal cadrées, tremblent en fonction des mouvements de la personne qui filme ou montrent ce qui semble être du hors-champ, reproduisent volontairement une image de mauvaise qualité et sont fréquemment interrompues. Elles comportent également des témoignages volontairement mal cadrés en face caméra où les protagonistes s’adressent aux spectateurs. C’est-à-dire que l’esthétique utilise des figures d’adresse au spectateur qui sont très communes sur YouTube mais très rares dans la façon de filmer classique, car elles rappellent aux spectateurs qu’ils sont en train de regarder un film ou une série. C’est précisément ce que recherche  l’esthétique de Cloverfield puisqu’il est question de constituer le spectateur en témoin direct des événements.

De même, certaines séries reposent sur des scènes courtes, humoristiques, souvent très rythmées et à l’esthétique colorée avec des figures d’incrustation, comme le sont les vidéos humoristiques de certains Youtubeurs (Norman par exemple). On peut notamment penser à Samantha Oups, Scènes de ménage ou Nos Chers Voisins.

Enfin, ce lien entre le 7ème art, la télévision et YouTube est-il à sens unique ? Peut-on imaginer que les réseaux sociaux auront la même influence ?

Non, ce n’est pas un lien à sens unique. Bien au contraire. Actuellement, on ne peut plus concevoir les médias indépendamment les uns des autres, car on est dans l’ère du transmédia. C’est-à-dire que le phénomène YouTube est inclus dans un phénomène plus global qui fait que les différents médias sont imbriqués et se font échos les uns aux autres.

Si on prend le cas de la téléréalité, l’intrigue se déroule à la télévision mais aussi en parallèle sur Internet. Qu’il s’agisse pour les téléspectateurs de commenter les actes et les relations des candidats, notamment en formant des « teams » (des groupes de fans défendant un participant et entrant souvent en conflit avec les groupes défendant d’autres protagonistes perçus comme les ennemis). Ou qu’il soit question d’apporter des informations complémentaires. En effet, actuellement, dans la majeure partie des cas, lorsqu’un programme de téléréalité est à l’antenne, l’état des relations entre les participants a évolué entre le moment du tournage et celui de la diffusion. De sorte que l’on a deux feuilletons qui se déroulent simultanément et s’alimentent l’un l’autre : celui qui est proposé dans le programme et celui sur Internet qui montre comment les relations des candidats ont évolué depuis le tournage. Dans ce cadre, il est fréquent que les participants se disputent via les réseaux sociaux soit sur ce qui s’est passé pendant le tournage, soit sur leurs relations a posteriori. L’un des maîtres de cérémonie de ce grand feuilleton est le blogueur Jeremstar qui officie également sur sa chaîne YouTube où l’on trouve des vidéos où les candidats réagissent soit au contenu du programme en diffusion soit à certaines polémiques postérieures au tournage. Le feuilleton relationnel se poursuit ainsi jusqu’à se trouver réutilisé dans certains programmes réunissant les candidats de téléréalité récurrent. Autrement dit, on observe aussi une influence de ce qui se passe sur Internet, et YouTube notamment, sur les contenus télévisuels.

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