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Pourquoi les robots
ne font plus rêver
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Has been

L'entreprise Honda a présenté ce mercredi à Tokyo une nouvelle version de son robot Asimo, capable désormais d'ouvrir une bouteille et de servir un verre. Mais la robotique, si elle incite toujours à la curiosité, fait moins rêver...

Patrick J. Gyger

Patrick J. Gyger

Patrick J. Gyger est historien, auteur et curateur suisse. Il est directeur du Lieu Unique à Nantes. Il a écrit notamment "Les voitures volantes : souvenirs d'un futur rêvé" (Favre - 2005).

 

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Atlantico : La firme Honda vient de présenter un robot androïde multitâches. La robotique passionne-t-elle encore les foules ?

Patrick Gyger : Ils appartiennent au passé de la science-fiction, ou plutôt à un futur antérieur. Dans le monde de la fiction c’est une thématique ancienne, voire éculée, qui a connu diverses réincarnations dans la culture, notamment cinématographique. Ce n’est pas pour rien que les trois lois de la robotique d’Isaac Asimov ont été imaginées : dans la science-fiction on ne parlait que de robots se rebellant et échappant à leurs créateurs, à l’instar du monstre de Frankenstein. Isaac Azimov, avec cette éthique du robot, a surtout permis aux littéraires et scénaristes de sortir de ces poncifs.

Aujourd’hui les robots ne sont pas forcément perçus sous l’angle habituel que leur réservait la science-fiction. Les dernières réflexions autour de l’androïde imaginent plutôt le robot comme miroir de l’homme. C’est la vraie pierre d’achoppement. La vraie question c'est  pourquoi le robot se rapproche tant de la morphologie et de la gestuelle humaine.

Le fait qu’ils aient notre taille et se déplacent comme nous est logique : ils évoluent dans un environnement bâti à l’échelle de l’homme. Mais d'où provient cette envie constante de créer des machines à notre propre image ? L’être artificiel est là pour nous présenter un miroir de l’humanité et de nous-mêmes. La façon dont on se projette dans l’être artificiel est celle dont nous nous voyons. C’est la vision de l’homme sur l’homme, en quelque sorte.

Mais comment cette utopie du robot, telle qu’elle a été, a pu générer autant de fascination ?

Cette fascination pour les êtres artificiels est ancienne, elle date de la mythologie. Héphaïstos créait déjà des êtres à l’image de l’homme, le mythe de Pygmalion est dans la même veine, dans la culture hébraïque c’était le Golem...

C’est le mythe de l’être humain en tant que démiurge de son propre univers. L’homme a été créé à l’image de Dieu, donc lui-même devient, en créant un être à sa propre image, une sorte de divinité. Dans le livre de Frankenstein, la raison de l’échec, selon Mary Shelley, c’est la transgression. L’homme se prend pour Dieu. Cette idée-là est prédominante.

Le but de la création robotique n’est pas une amélioration pratique ?

Pas nécessairement, parce qu’à partir du moment où l’on crée un robot qui remplace l’homme, dans le monde de l’industrie, on est dans une autre problématique. C’est une question d’automatisation de la société.

Quant aux robots qui ressemblent à l’homme, ou même à un animal, la question est celle du transfert d’émotion de notre part. Par exemple le robot Paro, en forme de petit phoque, est utilisé pour accompagner et distraire les personnes âgées.

Justement, comment peut-on arriver à remplacer dans notre esprit la compagnie d’un animal par celle d’un robot en forme d’animal ?

Avoir un animal de compagnie est déjà un transfert d’émotion ! Après c’est à chacun de déterminer où se trouve la limite. Les créatures de l’homme appartiennent à l’univers humain. Nous ne pouvons dissocier les deux. Lorsque l’on fait une créature artificielle, c’est une extension de notre sphère d’activité. En quoi est-elle moins « valable » qu’une créature dite naturelle ? On peut légitimement s’interroger.

Pourquoi ce mythe, cette utopie du robot androïde, de l’humain de substitution, est-il éculé, presque « has been » ?

Je ne pense pas que ça ne fasse plus rêver. Quand on voit des chercheurs comme Hiroshi Ishiguro, qui a créé d’abord un androïde à l’image de sa fille puis un autre à sa propre image, c’est tout de même très impressionnant. La science-fiction, à travers la littérature et le cinéma, nous ayant habitués à ces images-là, elles nous impressionnent sans doute moins, mais la confrontation avec un robot humanoïde reste imprévisible.

Freud appelait cela « l’inquiétante étrangeté qui se met en place », et il utilisait ces termes pour les androïdes. Ils sont comme les automates du 18ème siècle, le canard de Vaucanson ou les automates de Jacquet-Droz. Ces derniers dessinent, écrivent, jouent du piano. Il y a une suspension d’incrédulité : on adhère au propos, même si on sait que c’est un être artificiel.

C’est la notion d’illusion qui est primordiale, l’ « uncanny valley » (la « vallée dérangeante »), une réaction psychologique que l’être humain développe en présence de robots humanoïdes. C’est le moment où l’on ne sait plus si le robot est un être d’artifice ou non, et dès lors l’incrédulité est à son apogée.

Les auteurs s’en sont aujourd'hui désintéressés ?

Quelque part c’est le rôle de la littérature imaginaire. A partir du moment où une idée se réalise, beaucoup d’auteurs cessent de s’y intéresser. Le thème a été tellement développé, on a tant extrapolé dessus, qu’il est difficile de trouver des motifs originaux de s’y atteler.

On peut observer le même mouvement pour la conquête spatiale : une partie de la science-fiction sur ce sujet disparait en 1969 quand Armstrong pose le pied sur la Lune. La concrétisation d’une partie des rêves les tue.

Quels sont les rêves qui les remplacent aujourd’hui ?

Les réflexions autour de la biotechnologie et les nanotechnologies, le clonage, sont encore des thématiques récurrentes de la science-fiction actuelle.

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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