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Le paradoxe de François, le pape qui fascine à l’extérieur du Vatican mais qui n’arrive pas à convaincre à l’intérieur
©Reuters

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Le pape défraie souvent la chronique, son encyclique en est la dernière preuve. Ses déclarations et ses prises de positions progressistes agacent le Vatican mais ont un écho formidable à l'extérieur. Pour autant il n'est pas sur que les intentions du pape soient bien comprises.

Bernard Lecomte

Bernard Lecomte

Ancien grand reporter à La Croix et à L'Express, ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, Bernard Lecomte est un des meilleurs spécialistes du Vatican. Ses livres sur le sujet font autorité, notamment sa biographie de Jean-Paul II qui fut un succès mondial. Il a publié Tous les secrets du Vatican chez Perrin. 

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Atlantico : L'encyclique du pape François sur l'environnement a récemment beaucoup fait parler. Si l'immense majorité de l'opinion publique souligne un pas en avant et salue le progressisme du pape, le Vatican lui ne partage pas cet enthousiasme. Le pape François est-il seul contre tous au sein de la Curie ?

Bernard Lecomte : Certes non ! Même si l’on observe quelques tensions dans les milieux les plus conservateurs de l’Eglise, le pape n’est en aucune façon « seul contre tous » ! D’ailleurs, concernant l’encyclique Laudato si, les grincements ne se font pas entendre du côté de la Curie, mais dans certains milieux catholiques conservateurs, libéraux ou « climatosceptiques », notamment aux Etats-Unis. C’est Jed Bush, candidat républicain à la Maison Blanche, qui a expliqué « qu’il n’allait pas à la messe pour y entendre parler économie ou politique ». C’est l’ineffable Greg Guffeld, le chroniqueur de Fox News, qui a considéré le pape François comme « l’homme le plus dangereux du monde ». Enfoncés, Daech, Al Quaïda, Poutine et Kim Jong-Un !  On s’étonne que la chaîne n’ait pas préconisé, pour sauver l’Amérique, quelque raid aérien sur la Cité du Vatican !

Plus sérieusement, l’accueil de l’encyclique papale a été extraordinairement positif dans le monde entier – y compris, ce qui n’est pas fréquent, dans les milieux intellectuels français. Nul doute que cette intervention magistrale du Saint Père dans le débat public concernant la préservation de l’environnement restera une date importante dans l’histoire de l’Eglise, un peu comme le fut l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII en 1963. Des remarques, des réserves se sont fait entendre, par exemple sur la « décroissance » ? Tant mieux ! Un tel texte, par les exigences qu’il suggère, ne pouvait pas plaire à tout le monde.

Quels sont les sujets qui posent problème, et auprès de quelles mouvances précisément au sein du Vatican ?

Au sein du Vatican, c’est plutôt la réforme interne qui prête à contestation, et aussi la seconde session du Synode qui se réunira en octobre. La réforme avance : la nouvelle manière de gérer les finances du Vatican est quasiment au point, et les changements structurels au sein de la Curie s’organisent. En la matière, toute réforme bouscule les habitudes et, par conséquent, suscite quelques inévitables mécontentements. Quant au Synode sur la famille, on a bien perçu, à la fin de la première session, en 2014, qu’il avait provoqué quelques débats virulents, y compris entre tel ou tel cardinal. Notamment sur l’attitude plus ou moins ouverte de l’Eglise envers les homosexuels ou les divorcés remariés. Je crois qu’on aurait tort de se plaindre de ces tensions, qui ont réintroduit au cœur de l’Eglise une certaine culture du débat qui lui fait du bien. Le XXIè siècle ne prédispose aucune institution, fût-elle la plus ancienne et la plus grande de la planète, à des certitudes définitives ou des interdits péremptoires.

Plus que jamais le pape doit arbitrer entre son positionnement progressiste inédit au Vatican et les dogmes de l'Eglise catholique. Quelles sont ses marges de manœuvres ? Le pape François ne risque-t-il pas de s'isoler de plus en plus ?

Vous employez le mot « progressiste » comme certains journaux français ont qualifié le pape François de « révolutionnaire » ou « de gauche ». Ces mots-là conviennent sans doute sur la scène politique, mais ils sont décidément inadaptés au domaine religieux. Le pape François est sans doute audacieux, dynamique, volontaire, inspiré, généreux, habile, courageux, etc, mais il n’est ni « de gauche » ni « de droite » ! Dans quel camp allez-vous situer un pape qui dénonce le capitalisme destructeur de l’environnement, qui appelle à une vraie solidarité avec les migrants, mais qui condamne toujours aussi vertement le mariage gay et l’avortement ? Tout pape est à la fois « progressiste » et « conservateur », selon qu’il appelle à un sursaut moral ou qu’il se fasse l’héritier de la doctrine évangélique !

De manière générale, comprend-on réellement son message ? Ses positions paraissent parfois très tranchées pour un pape...

On comprend son message quand on fait l’effort de l’écouter, de le lire et, j’ajoute, de le méditer un peu. On comprend notamment, à lire les 192 pages de son encyclique Laudato si, qu’aux yeux des chrétiens qu’il représente, tout soit « lié », comme il dit, et que la protection de l’environnement ne puisse être dissociée de la protection de l’homme et de la vie. La « conversion écologique » à laquelle le pape appelle tous les hommes est forcément « intégrale », contrairement à bien des engagements partiels, manipulateurs ou politiciens, sans parler de ceux qui finissent par diviniser la nature, oubliant que c’est l’homme qui mérite qu’on se bouge, et non la planète en tant que telle !

Vous dites que ses positions sont « tranchées », et vous avez raison. Pour reprendre le mot de l’Evangile, le pape François n’est pas un « tiède ». Nous autres Européens allons devoir nous habituer à ce pontife venu du sud qui considère que l’Europe est d’abord un continent riche et égoïste ! De même que les catholiques de nos vieux pays commencent à comprendre que le pape argentin n’attend pas d’eux qu’ils entretiennent leur patrimoine religieux, mais qu’ils se fassent missionnaires et sortent de leur vieilles églises pour aller annoncer la Bonne nouvelle aux « périphéries ». 

Qu'est-ce que cette situation présage du synode à venir à l'automne prochain ?

Il y aura deux rendez-vous importants, cet automne. Le grand rendez-vous écologique de Paris où l’encyclique du pape sera souvent citée – peut-être pas par les Français, mais par beaucoup d’autres délégations, vous verrez ! Et le grand rendez-vous du Synode sur la famille, à Rome, qui verra les cardinaux et les évêques présents osciller entre le respect méticuleux d’une doctrine évidemment immuable et la référence vertigineuse à l’immensité de la « miséricorde » de Dieu, à laquelle le pape a voulu dédier la prochaine Année sainte.

Entre ces deux tendances, il y aura des échanges parfois musclés, on le sent bien, notamment sur le sujet de l’accession des divorcés remariés à l’eucharistie – ce sujet apparemment anodin, mais qui touche au plus profond du dogme catholique : ce que Dieu a uni, l’homme peut-il le désunir ? La réponse devrait être négative, mais correspond-elle alors à l’infini de la miséricorde divine ? Quand ces questions – qui sont parfois douloureuses – touchent à l’histoire bimillénaire d’une Eglise comprenant plus d’un milliard de fidèles, on comprend qu’on ne puisse y répondre, vite fait, par oui ou par non !

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