Comment l’Europe a détruit l’économie grecque pour rien<!-- --> | Atlantico.fr
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La Banque centrale européenne a une grande part de responsabilité dans le dossier grec.
La Banque centrale européenne a une grande part de responsabilité dans le dossier grec.
©Reuters

Tragique

Même si les Grecs ont contribué aussi à leur naufrage économique, la Banque centrale européenne apparaît comme étant l’acteur majeur du dossier, entre ses erreurs de politique monétaire, le refus de l'inclusion de la Grèce dans le programme de rachat d’actifs européens et les menaces de fermeture du robinet à liquidités.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Depuis le déclenchement de la crise de 2008, la Banque centrale européenne est en première ligne dans la chaîne de responsabilité ayant entrainé l’oblitération de l’économie grecque. Il est toujours possible de se réfugier derrière des idées aussi faciles que les Grecs sont des fainéants, des assistés, ou des profiteurs, la simple analyse macroéconomique est sans équivoque. Après avoir commis une erreur originelle fatale, la BCE n’a cessé de mettre une pression de plus en plus forte sur la Grèce, et ce, notamment, pour éviter de se confronter à ses propres errements.

Phase 1 : 2008. Erreur fatale en zone euro

Printemps 2008. Alors que le monde s’apprête à entrer en récession - les indicateurs PMI (indices des directeurs d’achat publiés par l’institut Markit) signalent dès le mois de juin 2008 une contraction de l’activité - la BCE choisit de relever ses taux directeurs par deux fois, en avril, puis en juillet de cette même année. Jean-Claude Trichet commet une erreur magistrale en assommant l’économie de la zone euro alors que celle-ci est déjà à l’arrêt. C’est le début de l’embrasement de l’économie de la zone euro.

Trois années plus tard, le même Jean-Claude Trichet réédite son erreur en relevant une nouvelle fois les taux d’intérêt en avril 2011. Et ce, alors même que l’ensemble de banques centrales étrangères pratiquent une politique inverse. La convalescence européenne a fait son temps, et replonge immédiatement dans un cercle de récession. Au terme de ces incessantes erreurs de jugement, la zone euro se trouve être la lanterne rouge de la croissance mondiale après 7 années de crise.

Afin de mesurer pleinement le résultat des actions de la BCE sur l’ensemble de l’économie européenne, il suffit de se référer aux adultes du métier (selon Christine Lagarde, la question grecque doit se régler entre adultes), c’est-à-dire en évitant de se référer aux enseignements monétaires des européens. Le 24 octobre 2003, Ben Bernanke, futur président de la Réserve Fédérale des Etats Unis rend hommage à Milton Friedman, et en profite pour donner les clés permettant de juger une politique monétaire :

"Cependant, à mon sens, la recommandation la plus fondamentale avancée par Milton Friedman est l’injonction faite aux décideurs politiques de fournir un arrière-plan monétaire stable à l’économie. Je prends ceci comme une déclaration plus forte que le serment d’Hippocrate pour éviter des désastres majeurs". 

Pour éviter des désastres majeurs, comme ceux de l’Europe post 2008, le point central est donc de permettre un cadre monétaire stable. Ben Bernanke poursuit sa démonstration en indiquant les éléments permettant de mesurer la stabilité du cadre en question :

"En fin de compte, il apparaît que l’on peut vérifier si l’économie a un arrière-plan monétaire stable uniquement en regardant des indicateurs macroéconomiques tels que la croissance du PIB nominal ou l’inflation."

Ainsi, en premier lieu, la stabilité de l’inflation. Pour la zone euro, cette stabilité ressemble à une attraction de fête foraine :

Inflation HICP. Eurozone. 2008-2015

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Mais l’essentiel est ailleurs. Car c’est le second élément développé par Ben Bernanke qui apporte la preuve la plus décisive de la faillite de la BCE dans sa mission d’autorité monétaire durant la crise: la stabilité de la croissance nominale (croissance économique à prix courants, c’est-à-dire non encore ajustée des chiffres de l’inflation - la croissance nominale s’oppose à la croissance réelle qui n’inclut pas les chiffres de l’inflation).

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L’écart séparant les deux courbes représente ce qui peut être directement reproché à la BCE dans la crise qui frappe le continent depuis 2008. Il s’agit de son incapacité à fournir une stabilité nominale à l’ensemble du continent. Car la croissance nominale est sous influence directe et totale de la Banque centrale européenne. Et cet écart peut être représenté en points de croissance nominale, soit 22 points depuis 2008.

Ecart entre croissance nominale de la zone euro et tendance pré-crise. Source BCE

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C’est ici que la Grèce intervient. Puisque la zone euro est, dans son ensemble, plongée au sein d’une récession sans précédent depuis 1929, les économies les plus fragiles parmi les pays membres sont en première ligne pour payer l’addition. Par exemple, la Grèce :

PIB nominal Grèce (bleu) , contre tendance pré-crise (noir). Source ELSTAT.

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L’économie du pays est anéantie. Tout simplement. Il n’est même pas nécessaire de rappeler que la BCE fait partie intégrante de la Troïka, qui a eu pour objet de demander à la population grecque de venir payer les erreurs commises par la BCE. En ajoutant l’austérité budgétaire à l’austérité monétaire, le PIB du pays se contracte au final de 26,72% entre le dernier trimestre 2008 et le premier trimestre 2015. Le chômage atteint 26,6% à ce jour.

Suite à la destruction économique du pays, la population grecque décide de voter en dehors des clous, et porte Syriza au pouvoir.

Phase 2. La main tendue à tous, sauf au plus faible

Le 22 janvier 2015, et avec 7 années de retard, la BCE se décide à agir en apportant une réponse monétaire à la crise en mettant en place un plan de relance de plus de 1000 milliards d’euros, dit assouplissement quantitatif, pour l’ensemble de la zone euro. En l’occurrence, la création monétaire est actée au travers du rachat d’obligations d’Etats des différents pays membres. Les bourgeons de reprise actuelle au sein de la zone euro n’en sont que la conséquence. Seul problème, le programme ne concerne pas la Grèce.

Ainsi, le 5 mars 2015, à Nicosie, Mario Draghi déclare :

"Pour le moment, la BCE ne peut pas acheter des obligations grecques » « Dès que la Grèce remboursera les obligations SMP dues, et elles seront exigibles en juillet ou en août » (…) alors nous serons en capacité d’acheter des obligations grecques à travers ce nouveau programme d’achat d’actifs"

L’économie la plus faible, celle qui a subi le choc le plus dur de l’ensemble du continent n’est tout simplement pas incluse dans le programme. Pour que la Grèce puisse figurer parmi les bénéficiaires de l’assouplissement quantitatif, une condition est donc posée : la poursuite du plan d’austérité. La mauvaise idée, pour la population grecque, de voter avec ses pieds trouve ici sa sanction la plus claire. A partir de cette date, le pays est déjà abandonné au bord de la route. L’austérité doit continuer, et aucun soutien monétaire ne sera accordé, traduisant une rupture totale d’équité au sein de la "communauté européenne".

Phase 3. La panique bancaire.

Alors que la Grèce entre dans la dernière ligne droite avant son exclusion, ou son maintien, au sein de la zone euro, la BCE va utiliser la dernière corde dont elle dispose ; l’octroi, ou non, de liquidités pour le système bancaire grec. En effet, alors que la survie de la Grèce au sein de la zone euro devient une vraie question, la population locale va commencer à s’inquiéter du devenir de ses liquidités détenues dans les banques. Si la Grèce sort, les euros deviendront des drachmes, il est alors temps de retirer ses économies d’un système bancaire proche de la faillite.

Afin d’alimenter les banques grecques en liquidités, la BCE apporte son soutien à travers les prêts d’urgence (ELA – Emergency Liquidity Assistance). Pour ce faire, en février 2015, la Banque centrale européenne fixait un plafond de 60 milliards d’euros à ce mécanisme. Depuis, le plafond a été atteint et a du être relevé, à totale discrétion de la BCE, sur demande des banques grecques.

Mais le 18 juin dernier, la machine s’emballe. Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, va porter le coup de grâce.  Ainsi, selon l’agence Reuters :

"Deux officiels ont indiqué que durant la réunion, le patron de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, avait demandé à Benoit Coeuré, membre du directoire de la BCE, si les banques grecques étaient en capacité d’ouvrir demain.

Coeuré a répondu : "Demain, oui. Lundi, je ne sais pas".

La menace est évidente et va être entendue. Depuis, chaque jour, l’ouverture des banques grecques est conditionnée à la bonne volonté de la BCE. En accédant, ou non, à la demande de liquidités des banques locales, le BCE tient la survie de système financier au creux de sa main. Face à une menace imminente, la population procède immédiatement au retrait de ses liquidités. En une semaine, 5 milliards d’euros sortent des banques grecques ; exsangues.

Désormais, le pays est à totalement à genoux. La Grèce a eu le tort de ne pas mourir en silence. Et peu importe Syriza ou Alexis Tsipras. Car il n’est pas utile de mesurer le désastre grec à l’aune du néo-marxiste. Il suffit de se référer à Ben Bernanke et Milton Friedman, peu soupçonnables en la matière, pour appréhender la situation.

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