S’il n’y avait que la question de l’immigration… Ces autres “Waterloo moraux” que l’abus de bonnes intentions inflige à la France<!-- --> | Atlantico.fr
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Cécile Duflot, ex-ministre du Logement, a interpellé le président de la République estimant que "notre politique des migrations était un Waterloo moral".
Cécile Duflot, ex-ministre du Logement, a interpellé le président de la République estimant que "notre politique des migrations était un Waterloo moral".
©Reuters

Quand Cécile Duflot fâchée, elle toujours agir ainsi

L'ex-ministre du Logement a interpellé le président de la République sur l'immigration. A la liste des défaites morales en matière de politiques figurent effectivement celle-ci, mais aussi l’éducation ou encore l'attitude du gouvernement face aux violences faites aux chrétiens dans le monde.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde (lire ci), Cécile Duflot, ex-ministre du Logement, a interpellé le président de la République estimant que "notre politique des migrations était un Waterloo moral". En matière d'immigration qu'est ce qui représente réellement un Waterloo moral ? 

Vincent Tournier : En tout cas, cette référence à Waterloo est très étonnante. Ce n’est pas tous les jours qu’on entend la gauche se référer à la grande fresque napoléonienne avec manifestement une pointe de nostalgie. Cécile Duflot a certainement voulu frapper les esprits avec cette formule-choc, en cette année de commémoration. Mais sa démarche laisse quand même songeur : d’abord parce que son article entend faire appel aux grandes valeurs républicaines, alors que Napoléon n’a jamais fait partie du Panthéon des héros républicains, encore moins chez les écologistes ; ensuite parce que la défaite de Waterloo correspond plutôt à un échec dans la protection des frontières et dans la préservation de la souveraineté nationale. 

Donc, si on devait parler d’un Waterloo dans la période contemporaine, il faudrait plutôt le faire pour décrire l’attitude des responsables politiques qui ont ouvert les frontières depuis un demi-siècle. A la limite, l’extrême droite pourrait ici ironiser en disant que, avec les expulsions du gouvernement actuel, c’est un peu comme si Manuel Valls faisait donner la Garde. Mais a priori, ce n’est évidemment pas ce que voulait dire Cécile Duflot…  

A force de ne pas vouloir gérer cette question, a-t-on aggravé le problème ? 

C’est effectivement tout le problème. Depuis les années 1980, l’immigration a été un enjeu très politisé, ce qui a empêché de poser les problèmes et de trouver des solutions. Par certains côtés, il est maintenant trop tard, et les gouvernements sont contraints de gérer une situation qu’ils ne maîtrisent plus vraiment. 

Les problèmes se sont accumulés au point de provoquer des tensions sociales très fortes. C’est en partie pour cette raison que François Hollande et Manuel Valls ont réagi très vivement à la proposition de la Commission européenne, le 13 mai dernier, d’imposer des quotas de réfugiés. Il s’agissait d’abord pour l’exécutif de mettre un frein à la stratégie de la Commission européenne qui tentait de profiter de l’émotion dans l’opinion publique à la suite des drames humains pour tenter d’accroître ses compétences sur l’immigration, domaine sur lequel les Etats veulent rester maîtres. Mais il s’agissait aussi d’empêcher que ne se diffuse l’idée selon laquelle la France allait se voir imposer de nouveaux flux de migrants. Sur ce point, certains commentaires de presse ont d’ailleurs été de mauvaise foi. Des journalistes ont dénoncé l’attitude du gouvernement français en disant qu’il pouvait bien prendre en charge quelques milliers de personnes. C’est oublier d’abord que la France a déjà accueilli des masses très importantes de migrants, comme la Grande-Bretagne, ce qui explique que leurs réactions soient assez proches ; c’est négliger ensuite qu’un accord de principe revenait à se lier les poings pour l’avenir face à une Commission européenne qui ne cesse de plaider pour une immigration encore plus large.

Il reste que ce qui se passe actuellement est terrible pour la gauche. Elle voit le gouvernement mener une politique très proche de celle qui était conduite sous la droite, pourtant considérée comme honteuse. La différence est seulement dans l’enrobage : la droite est plus radicale dans ses discours que dans ses actes, alors que la gauche fait l’inverse. Mais au fond, les deux se retrouvent sur l’essentiel. Cela veut dire que les partis de gouvernement, quelle que soit leur sensibilité idéologique, se heurtent à la même réalité. Cette réalité se résume à trois points : premièrement les flux migratoires sont devenus plus importants du fait de la globalisation et de la dégradation de la situation internationale, avec désormais une partie de l’Afrique qui désire franchir la Méditerranée pour fuir le chaos ; deuxièmement ces flux ne cessent de poser des problèmes considérables au point de fragiliser les équilibres en Europe, qu’ils soient territoriaux, sociaux, scolaires, sociétaux ; troisièmement les contraintes nationales et européennes rendent les solutions plus difficiles. Je ne vois pas comment on peut continuer sans déboucher sur une crise importante. Certains ténors de la droite ont déjà proposé de revoir les accords de Schengen. A mon avis, les débats devront aller beaucoup plus loin. David Cameron demande à revoir l’attribution des droits sociaux pour les migrants, et Manuel Valls vient de critiquer sévèrement le mécanisme des travailleurs détachés, qui constitue une véritable bombe à retardement pour les Etats-providence. C’est donc un débat considérable qui attend les Européens, et que la gauche européenne ne pourra pas esquiver.

Que dire de l'indifférence des politiques relativement aux chrétiens d'Orient et aux chréyiens en général ? 

Le terme de christianophobie est apparu très récemment et ne bénéficie pas de la même légitimité que le mot islamophobie, alors que le sort des chrétiens est au moins aussi préoccupant que celui des musulmans. Pour comprendre, il faut tenir compte du contexte géopolitique et des grilles de lecture idéologiques. Le terme islamophobie a été promu sur la scène internationale dans le cadre d’une concurrence entre certains pays musulmans, notamment l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui ambitionnent d’exercer un magistère moral sur le monde musulman. Cette concurrence, qui se déroule sur fond de rivalité entre chiites et sunnites, se traduit par la volonté d’imposer le délit de blasphème au niveau des Nations-Unies. En France, le terme d’islamophobie a été soutenu par des associations musulmanes qui sont elles aussi en compétition pour se présenter comme les bons représentants de l’islam. Ces associations ont trouvé un certain soutien auprès d’intellectuels et de militants qui voient les migrants comme les nouveaux damnés de la terre, et qui ne supportent pas les critiques à l’égard des mœurs et des valeurs de ces populations.

Malheureusement, cette vision s’est heurtée à la réalité, ou plutôt à deux réalités. La première est l’antisémitisme dont une partie des musulmans est porteur, à la fois pour des raisons historiques et pour des raisons conjoncturelles liées au conflit israélo-palestinien. La vague de violence antisémite qui s’est produite en France à partir d’octobre 2000 a initialement été niée ou minorée par les autorités, ce qui conduit des auteurs comme Pierre-André Taguieff à proposer le terme judéophobie pour casser cette indulgence et cet aveuglement. 

La seconde réalité est la hausse des violences antichrétiennes qui se sont produites au Moyen-Orient, mais aussi en France même, à travers notamment les dégradations dans les lieux de culte. Là encore, comme pour les violences antisémites, ces violentes n’ont pas été prises au sérieux. La preuve en est que le terme "christianophobie" n’existait pas et demeure encore suspect. Il y a plusieurs raisons à cela : le fait que la religion catholique reste perçue en France comme une religion opprimante par nature ; le discrédit qui entoure les mouvements chrétiens militants, lesquels ne sont acceptés que s’ils se cantonnent à l’humanitaire ; le manque de relais des chrétiens auprès des intellectuels, des médias et des mouvements politiques ; une relative discrétion des chrétiens eux-mêmes, qui ont appris à composer avec une société laïque. Il faut aussi tenir compte du fait que l’idée même qu’il puisse y avoir, au XXIème siècle, des guerres de religion est devenue en grande partie inaccessible. Les réactions qui ont entouré depuis 1996 le livre de Samuel Hungtington sur le choc des civilisations resteront sans doute comme un cas d’école pour les historiens du futur. Aujourd’hui, personne ne peut envisager que les hommes en viennent à se faire la guerre au nom de leurs cultures ou de leurs croyances, même si l’actualité le dément un peu plus chaque jour. 

A lire également :Et maintenant les églises pour cible du djihad : quand nos tentatives pour taire la christianophobie grandissante n’ont fait qu’attiser les tensions que l’on souhaitait éviter

Faut-il voir dans la réforme du collège manifestation de l'égalitarisme qui dans un idéal d'égalité sacrifie finalement les plus fragiles ? 

Je ne sais pas s’il faut parler d’égalitarisme car le terme est un peu fort et connoté. Il faut aussi rappeler que la réforme actuelle prolonge des réformes ou des projets qui ont été voulus par la droite, notamment le socle minimum de compétences. 

Je dirai plutôt que cette réforme vise à prendre acte de l’incapacité dans laquelle se trouve le collège actuel de faire face à la dégradation du niveau des élèves, car le système scolaire français actuel n’est pas adapté. Il faut en effet souligner que, en France, l’enseignement a toujours été plutôt élitiste. La tradition, c’est plutôt la méritocratie, donc tout le contraire de l’égalitarisme. On oublie ainsi que l’école de Jules Ferry a laissé cohabiter deux filières dans le primaire : l’une pour les gens modestes, l’autre pour les catégories plus fortunées. De même, l’enseignement supérieur a toujours fait cohabiter deux cursus : le cursus des universités et celui des grandes écoles, avec son réseau de classes préparatoires hyper sélectives. La création du collège unique en 1975 marque une rupture, mais pour rendre cette réforme acceptable auprès des familles aisées, celui-ci est finalement resté très exigeant sur le plan des programmes, tout en donnant de nombreuses possibilités aux familles pour préserver leurs enfants, notamment par le jeu des options ou des dérogations à la carte scolaire, mais aussi par le biais des filières d’excellence.

Le problème est que ce système arrive à bout de souffle. Pour différentes raisons, les élèves ne peuvent plus suivre. On a sous-estimé ici les effets des transformations sociales et culturelles de ces dernières décennies, évidemment le chômage de masse, mais aussi les déstructurations familiales liées à l’explosion des divorces et des familles monoparentales, ainsi que les médias, sans oublier l’immigration. Ce dernier point fait l’objet d’un tabou. Par exemple, on évoque fréquemment le problème de ces 150.000 jeunes qui sortent sans qualification du secondaire, mais parmi ces jeunes, quelle est la part des enfants issus de l’immigration ? Le problème est que beaucoup de migrants peinent à suivre l’enseignement tel qu’il fonctionne, à la fois pour des raisons sociales et culturelles, mais aussi pour des raisons liées à la fragmentation territoriale. Prenez par exemple la mobilisation de ces mamans à Montpellier, dans le quartier sensible du Petit Bard, qui est devenu un quartier communautaire. Ces mères demandent davantage de mixité : elles se plaignent que les petits enfants blonds ont disparu. En même temps, toutes ces mères portent toutes le voile, sans comprendre que ces signes de religiosité peuvent effrayer. Du coup, cette concentration amplifie les difficultés. Aujourd’hui, l’Education nationale n’arrive plus à trouver des enseignants pour aller en Seine-Saint-Denis. Cette fuite des enseignants est très préoccupante, surtout quand on sait qu’elle frappe les personnes qui sont sans doute parmi les plus ouvertes et les plus tolérantes. Cela risque d’avoir des effets en cascade pour l’avenir.  

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