Pourquoi les femmes abandonneraient tout souhait de progression après deux ans passés au sein d’une même entreprise <!-- --> | Atlantico.fr
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En arrivant dans une entreprise, 43% des femmes visent un poste de direction.
En arrivant dans une entreprise, 43% des femmes visent un poste de direction.
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Double vie

Les femmes seraient moins motivées par la perspective d'une promotion que les hommes après un certain temps passé dans la même entreprise. La cause de cette stagnation serait la double vie qu'elles mènent, ballotées entre leur vie domestique et leur vie d'entreprise.

Olivier Cousin

Olivier Cousin

Olivier Cousin est professeur de sociologie à l'Université Bordeaux II et chercheur associé au CADIS/Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques EHESS/CNRS. Ses recherches portent sur le rapport des cadres au travail, l’éducation et la socialisation des élèves. Il a écrit en 2008 Les cadres : grandeur et incertitude, publié chez L'Harmattan.

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Atlantico : Bain Capital (une société financière) a réalisé une étude sur les femmes américaines au travail. D'après celle-ci, si en arrivant dans une entreprise 43% des femmes visent un poste de direction, après deux ans seulement 16% d'entre elles gardent ce même objectif. Comment expliquer ce  revirement de projet professionnel ?

Olivier Cousin : D'un point de vue général, la réalité du travail fait que l'on réajuste ses objectifs, qu'il n'y a pas nécessairement de perspectives d'évolutions. Tous les aspirants aux poste de cadres n'y auront pas accès, l'entreprise est un endroit exigeant, la compétition y est rude. Une fois sur place, on révise ses jugements. Ces postes envisagés peuvent se révéler moins intéressants qu'ils n'y paraissaient : les responsabilités y sont lourdes, l'investissement conséquent, la pression grande, les contraintes importantes… Le projet de monter en grade ne résiste donc pas toujours.

En ce qui concerne les femmes, si lorsqu'elles entament leur carrière professionnelle elles semblent plus motivées que les hommes, on peut imaginer que, c'est en partie, parce qu'elles sont généralement plus sérieuses que le sexe opposé. Elles optent souvent d'ailleurs, au préalable, pour des études plus longues. Elles choisissent naturellement des filières qui les prédestinent à des responsabilités élevées.

En outre, les parents encouragent traditionnellement les jeunes filles à s'investir scolairement, à s'orienter vers des métiers qui, jusqu'à il y a peu, ne leur étaient pas destinés. On les pousse à être ambitieuses, audacieuses, d'un côté, et de l'autre la société les restreint dans leurs possibilités. Bien souvent, les épreuves qui jalonnent leur parcours par la suite sont inconscientes !

Dès leur arrivée en entreprise, elles font face à une vision stéréotypée de leurs capacités : seront-elles aussi engagées, disponibles, capables que les hommes le seraient à leur place ? A l'inverse, la question ne se pose jamais pour un homme, on présuppose automatiquement qu'il sera apte à accéder à un poste à hautes responsabilités. En effet, qu'un homme prétende à un poste de dirigeant n'interpelle personne : on est habitué à les voir occuper ce type de postes. On naturalise des fonctions qui ne le sont pas, on attend des hommes qu'ils soient plus doués, résistants et combatifs.  

Inconsciemment, on soupçonne donc toujours les femmes d'incompétence. Pour avoir droit au même traitement que leurs comparses, il faut qu'elles s'investissent d'avantage qu'eux.

Comment expliquer que les femmes accordent plus d'importance à la balance travail/vie professionnelle que les hommes ?

Les femmes sont plus sensibles à la balance travail/vie professionnelle soit parce qu'elles ont des enfants et doivent donc subir le rythme de la double journée de travail, ce qui a tendance à les décourager rapidement. Soit, parce qu'elles ont le projet de fonder une famille et d'avoir des enfants. Alors que la carrière des hommes est favorisée par la construction d'une famille, celle des femmes ne l'est absolument pas !  

Socialement, un homme qui construit une vie de famille,  reste encore trop associé à l'image d'un homme qui se stabilise. C'est un gage de sérieux. Inversement, une femme qui se marie et devient maman, sera soupçonnée d'être moins disponible au travail. Surgirons rapidement dans la bouche de ses supérieurs les "mais alors vous serez beaucoup absente ?" surtout parce que si l'enfant tombe malade c'est habituellement la femme qui prendra un congé et non pas son époux.

De plus, il demeure encore bien des inégalités sociales faisant que les femmes sont, encore, majoritairement responsables des tâches domestiques. Elles doivent apprendre à conjuguer leur vie privée et leur vie familiale. La situation empire dès lors qu'elles ont un enfant, les obligeant à faire une double journée de travail. Au six à huit heures travaillées dans la journée, s'ajoutent la vie domestique. Elles occupent donc deux fonctions quand les hommes s'occupent encore peu du domicile. En outre, les entreprises ne tiennent pas encore compte de cette double journée, d'un côté comme de l'autre "le deuxième métier" est ignoré !

Finalement, accédant rarement à de grosses responsabilités, les femmes auront rapidement tendance à se demander à quoi bon ? A quoi bon sacrifier leur vie privée, alors qu'elles n'ont rien à y gagner !

La femme reste donc tributaire du rôle que lui assigne la société et l'entreprise suit ce modèle arbitraire !

Cette pression de l'entreprise a tendance à démoraliser les femmes, deux après être entrée en poste le confiance en elle-même baisse d'environ 50% ; alors que les hommes ne la ressente pas de la même manière. Cette différence peut-elle s’expliquer par un manque d'encouragement, de félicitations faites aux femmes ?

Elles sentent d'elles-mêmes que la progression sera plus difficile et perçoivent bien qu'on ne leur accorde pas le même crédit. Par exemple, en cas d'absence on le leur demandera pas d'explication, assumant rapidement que l'enfant est responsable de ce retard.

Leur vie privée est ignorée ce qui est automatiquement facteur d'inégalités. On ne la prend pas en compte, la même mobilité sera exigée de la part d'un homme d'une femme, qu'elle ait des enfants à charge ou non. Si on mute une femme et qu'elle refuse ou qu'elle accepte l'offre mais la diffère, on percevra son geste comme un manque d'engagement de sa part. Ce qui se retournera, bien évidemment, contre elle !

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