Ce que la progression de Podemos démontre de l’état actuel de la politique européenne<!-- --> | Atlantico.fr
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Pablo Iglesias, leader du parti Podemos.
Pablo Iglesias, leader du parti Podemos.
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A bâbord toute !

Après Syriza en début d'année, c'est à l'Espagne de consacrer la gauche radicale à travers des élections régionales et municipales. Une suite de bouleversements politiques qui révèle les faiblesses et les failles du mode de gouvernance actuel de Bruxelles.

François Lafond

François Lafond

François Lafond est directeur d’EuropaNova. Il a été conseiller du Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères italien (2006-2008), directeur adjoint de Policy Network à Londres (2003-2006), chargé de mission puis Secrétaire général adjoint de Notre Europe à Paris, présidé par Jacques Delors (1999-2003), et chercheur au Centre Robert Schuman de l’Institut Universitaire Européen de Florence (1992-9).

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Christian Makarian

Christian Makarian

Christian Makarion est le Directeur Délégué de la Rédaction de L'Express. Il écrit également des chroniques en politique internationale.

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Atlantico : Lors des élections du 24 mai, la gauche radicale espagnole a remporté un large succès. Que peut avoir à craindre l'Union européenne de l'arrivée au pouvoir de ce type de formation eurosceptique ?

Christian Makarian : Pour schématiser, l’Union européenne apparaît à l’ensemble des électeurs des 28 pays membres comme un système lointain, désincarné et bureaucratique. Ce sont là l’essentiel des reproches qui lui sont adressés de façon collective et confuse. Mais vouloir globaliser ce sentiment ne rend pas compte des réalités nationales, car un clivage très net s’opère entre les pays qui subissent une crise économique très sévère (la Grèce, l’Espagne, le Portugal et en partie l’Italie) et ceux qui s’en sortent mieux. Les pays du sud ajoutent au catalogue des critiques l’accusation d’austérité, de libéralisme et celui d’une domination financière dictée par des forces qui ignorent par trop les souffrances spécifiques des populations auxquelles on impose le plus de sacrifices. Tandis que les pays du nord restent crispés sur d’autres griefs, comme celui de l’immigration ou de l’excès de règlementation. Le résultat en est une perte de solidarité européenne face aux difficultés. Si bien qu’il y a autant de raisons d’en vouloir à l’Europe qu’il y a de motifs d’insatisfaction nationale : il ya bien des contestations de l’UE de toutes parts, mais elles constituent des formes de protestation différenciées, difficilement susceptibles de s’unifier dans un mouvement commun. Dans ce cadre, la forte émergence de Podemos n’a pas vocation à faire tâche d’huile. On le voit bien en France, dont la situation est encore loin du désastre espagnol, où les appels de Jean-Luc Mélenchon à imiter le mouvement des indignés ne rencontre finalement que peu d’écho. Quant à Syriza, en Grèce, malgré les proclamations de sympathie de la gauche française, le gouvernement socialiste de Manuel Valls s’est empressé de faire bloc avec l’Allemagne pour rappeler aux Grecs qu’ils doivent rentrer dans le rang, après quelques accommodements. Au total, l’Union européenne reste invariablement impopulaire, mais invariablement décisionnaire faute d’alternative crédible.

François Lafond : La première conséquence ne concerne pas l’Union européenne, mais le système politique espagnol, avec en premier lieu le gouvernement de M. Rajoy et le parti populaire, majoritaire. Un quart des électeurs seulement soutient le pouvoir en place, ce qui ressemble à une situation que l’on connait aussi en France… Le deuxième enseignement concerne la gouvernabilité des villes et des régions puisque ces collectivités territoriales devront mettre en place des coalitions, de type « arc en ciel », des exécutifs capables de gérer Madrid, Barcelone et tant d’autres villes. Et tous ces exécutifs locaux, plus proches de leurs électeurs devront mettre en place des politiques locales, qui seront certainement des contre-pouvoirs au gouvernement central. Avec le risque de conflits plus fréquents. L’Union européenne n’a rien à craindre des échéances électorales locales ou nationales. Quel que soit le résultat des élections, la légitimité de l’ensemble en sort renforcée, même si comme lors des élections du Parlement européen de l’année dernière avec la présence de partis politiques sceptiques quant à la construction du projet européen, ce sont des signaux que nous devons prendre en compte dans l’orientation à suivre.   

Comment expliquer ce résultat électoral alors même que l’Espagne sort enfin du marasme dans lequel elle était enfermée ? Les efforts de Mariano Rajoy pour vendre la croissance arrivent-ils trop tard ?

François Lafond : L’Espagne sortie du marasme est certainement une formulation quelque peu rapide et exagérée… quand le taux du chômage est à plus de 20 % sur l’ensemble du territoire, et que la croissance, certes positive, ne permettra pas de le résorber rapidement. La politique du gouvernement a été orientée, comme dans la plupart des pays du sud de l’Europe sur la consolidation budgétaire (réduction du déficit public, désendettement de l’Etat), et par conséquent sur les nécessaires réformes structurelles comme le recalibrage de l’intervention de l’Etat, de manière à respecter au mieux la coordination économique et budgétaire qui se met en place au sein de la zone euro en particulier. Les sacrifices demandés aux Espagnols produisent les mêmes effets qu’en Italie ou en Grèce en particulier avec l’émergence de partis politiques, ou de mouvements extérieurs au système politique en place, qui a failli aux yeux des électeurs.     

Christian Makarian : Podemos représente un mouvement profondément ancré dans la réalité sociale du pays, attaché à l’entraide, engagé humainement, directement proche des gens, très impliqué dans les questions de procédures relatives au logement, secteur à cause duquel la bulle espagnole a explosé en provoquant la crise que l’on sait. Bref, tout le contraire des partis politiques espagnols et, notamment du Premier ministre Mariano Rajoy, qui ne dispose pas d’une implantation populaire et qui incarne, au contraire, le bras exécutif des gestionnaires. Ce dernier a obtenu une amélioration nette des déficits publics, un redressement de la courbe de croissance, qui était en chute libre, et des résultats d’exportation probants. Or ce sont là des chiffres macroéconomiques, qui pèsent favorablement aux yeux des experts de Bruxelles, mais qui ne trouvent pas de traduction concrète dans le vécu quotidien de celui qui se retrouve à la rue avec toute sa famille. De surcroît, et surtout, le chômage continue de culminer en Espagne. C’est pourquoi le PP (droite au pouvoir) et le PSOE (socialiste) ensemble obtiennent à peine plus de la moitié des suffrages. Le désespoir économique va de pair avec la sensation d’être délaissé par les politiques : c’est à cela que Podemos semble pour beaucoup d’Espagnols apporter une réponse, ce que prouve le recul sensible de l’abstention. Non pas en visant une solution globale, mais en dénonçant les injustices criantes et en assurant un engagement visible et vérifiable par les citoyens. C’est de la microéconomie sociale et politique, en quelque sorte, soutenue par des leaders qui se montrent, pour l’heure, fidèles et conformes à leur discours.

Bien que l’incertitude continue de dominer la situation grecque, comment expliquer le succès de Podemos en Espagne. La population espagnole choisit elle ici la confrontation au-delà de toute autre considération ?

François Lafond : Si confrontation il y aura, c’est bien avec le pouvoir en place à Madrid. Pourquoi les nouveaux maires des villes devraient s’en prendre à Bruxelles en particulier ? Cela n’a guère de sens d’un point de vue politique ou juridique. Les électeurs envoient principalement un message au gouvernement de M. Rajoy, et éventuellement au PSOE, qui ne représentent maintenant qu’un électeur sur deux.

Le cas grec est différent, puisque le résultat des élections législatives de janvier 2015 a donné comme vainqueur le parti de gauche Syriza, mais qui pour gouverner, s’est allié avec un parti nationaliste de droite assumée. Et le moins que l’on puisse dire est que le gouvernement issu de cette coalition semble aller dans le sens opposé de ce qui serait l’intérêt des électeurs de Syriza : fuite des capitaux, croissance économique atone, augmentation du déficit budgétaire avec certaines des promesses maintenues, et le risque de faire défaut… . Les prêteurs vont finir pas devenir beaucoup moins compréhensifs face aux arrogances inutiles et quelque peu académiques du ministre Varoufakis !    

Christian Makarian : D’abord, il faut tenir compte de l’exaspération réelle des populations, ensuite se souvenir qu’il s’agit d’élections locales et dans treize régions, lesquelles sont sans doute plus vitales en Espagne que dans tout autre pays méditerranéen de l’Union. Un examen rapide des figures de proue du mouvement contestataire montre l’émergence de candidats déterminés sur le terrain social ou judiciaire et détachés des préoccupations habituelles des politiciens traditionnels. A Barcelone, par exemple, la plate-forme citoyenne, conduite par Ada Colau, qui a acquis sa célébrité en luttant contre les expropriations immobilières, a fait passer au second plan la question de l’indépendance de la Catalogne, qui fait tant couler d’encre depuis des années au sein du jeu politique habituel. Partout, l’impact profond de la crise du logement a été décisif, or cette dernière est à juste tire attribuée à l’incurie ou la cupidité des formations politiques jusqu’ici dominantes.  Une autre femme, à Madrid, Manuel Carmena, âgée de 71 ans, s’est taillée la deuxième place à l’issue du scrutin, ce qui lui vaudra de devenir maire grâce à l’alliance stratégiquement calculée du PSOE. La population espagnole, parmi laquelle beaucoup de bénévoles se sont levés spontanément pour appuyer le mouvement de contestation, n’a pas précisément choisi la confrontation avec l’Union européenne, ni même le défi, mais tout simplement la sincérité de son enracinement. Reste à savoir si cela conduit à une capacité gestionnaire, ce qui est une tout autre question.

Une stratégie d’union des gauches, Syriza et Podemos, est-elle réellement en mesure de peser sur la politique à venir de l’Union Européenne ? De façon purement institutionnelle, l’Europe est-elle finalement capable de changer sa ligne politique ? 

François Lafond : C’est effectivement un nouveau signal envoyé par les citoyens que la seule rigueur budgétaire ne permettra pas de relancer nos économies européennes. Mais ce message a déjà été envoyé et reçu… Lors de la Présidence italienne (juillet-décembre 2014), faisant écho à ce que le Président français murmurait depuis son élection en 2012, la Banque Centrale européenne a assoupli sa politique monétaire en mettant en place le quantitive easing, la Commission européenne a publié une communication estimant nécessaire d’avoir une lecture plus souple des critères de Maastricht et le plan d’investissement du Président de la Commission européenne Juncker prévoit d’injecter des dizaines de milliards supplémentaires pour relancer nos économies. La Chancelière Merkel est elle aussi bien plus conciliante. Reste à poursuivre les trois objectifs : consolidation budgétaire, réformes structurelles et investissement massif dans les filières d’avenir.

Christian Makarian : On ne voit pas comment Podemos et ses alliés, d’une part, Syriza, de l’autre pourraient effectuer leur jonction. Il y a des pasionarias, d’un côté, et des ténors sociaux aux accents nationalistes, de l’autre : les deux paysages sont assez différents. Deux réalités jouent à plein. Premièrement, la Grèce et l’Espagne ont en commun d’avoir connu la dictature, dans un passé pas si lointain, et de compter des gauches marxistes en décomposition accélérée durant la dernière décennie. Deuxièmement, les élites nationales y sont perçues comme des hommes de paille, si défaillants, des exécutants sans relief de Bruxelles. A l’échelon européen, en tout cas, ces deux surgissements marquent sans nul doute les limites des sacrifices que l’Union peut demander aux peuples qui la composent.

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