Sommet des entreprises pour le climat : et si la solution au dérèglement climatique était en fait entre les mains du privé ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le 20 et 21 mai se déroule à Paris le Sommet des entreprises pour le climat.
Le 20 et 21 mai se déroule à Paris le Sommet des entreprises pour le climat.
©Reuters

Chaud bouillant

Le 20 et 21 mai se déroule à Paris le Sommet des entreprises pour le climat. Et elles sont déjà nombreuses à avoir développé des solutions afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni

Myriam Maestroni est présidente d'Economie d'Energie et de la Fondation E5T. Elle a remporté le Women's Award de La Tribune dans la catégorie "Green Business". Elle a accompli toute sa carrière dans le secteur de l'énergie. Après huit années à la tête de Primagaz France, elle a crée Ede, la société Economie d'énergie. 

Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages majeurs: Intelligence émotionnelle (2008, Maxima), Mutations énergétiques (Gallimard, 2008) ou Comprendre le nouveau monde de l'énergie (Maxima, 2013), Understanding the new energy World 2.0 (Dow éditions). 

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Atlantico. Libérées d'un bon nombre de contraintes étatiques (frontière, législation), comment les multinationales peuvent-elles agir sur le dérèglement climatique ou au moins réduire leur pollution ? A -t-on des exemples de mesures prises par les entreprises pour elles-mêmes ?

Myriam Maestroni : Le sujet du dérèglement climatique est clairement devenu un enjeu planétaire et partagé par le grand public. C’est ce que l’on pourrait appeler "l’effet post-Al Gore". En effet, cette prise de conscience globale semble vraiment être passé de la logique du groupe de travail composé d’experts (GIEC) aux citoyens suite au documentaire américain de Davis Guggenheim : Une vérité qui dérange, dans lequel l’ancien vice-président américain présente, en 2006, de façon didactique et accessible à tous, une véritable campagne de sensibilisation sur le réchauffement planétaire. Cela lui a d’ailleurs valu le Prix Nobel de la Paix en 2007. Yann Arthus-Bertand, déclarait alors sur ce film : "C'est un film très bien fait, à l'américaine, avec de l'humour, des applaudissements… En deux heures, il en fait plus pour l'environnement que moi en dix ans !".Cela s’est traduit par de nombreuses règlementations locales visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (1), et notamment de CO2, reconnus comme principaux responsables du réchauffement climatique, et par la mobilisation de la société civile de plus en plus sensibilisée.

Cette double dimension est venue consolider une démarche entreprises par les multinationales en matière de développement durable, ayant vocation "à répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins", pour reprendre la définition du rapport Brundtland en 1987. Concrètement, cela s’est traduit par différents types d’actions allant de la publication de rapports sur le développement durable, dans lesquels les entreprises affichaient leurs engagements et résultats à la fois sur le plan économique, sociétal et environnemental, jusqu’à la transformation des modèles économiques, en passant par le lancement de nouveaux produits éco-conçus, le recyclage, la sensibilisation des salariés aux éco-gestes ou encore l’efficacité énergétique. Au départ vécue comme une série de contraintes, cette nouvelle donne est aujourd’hui vue par les entreprises ayant vocation à durer, comme une plateforme d’opportunités pour enclencher une dynamique vertueuse d’innovations et trouver de nouveaux relais de croissance. Certaines initiatives et postures deviennent emblématiques, qu’il s’agisse de repenser des produits très anciens -Levis calcule l’empreinte environnementale de son fameux Jeans 501[2]-, de repenser l’organisation pour la rendre plus frugale -Mark & Spencer s’est engagé sur plus de 180 points au travers de son Plan A-, de diminuer les consommations d’eau -Unilever repense ses lessives-, de calculer et réduire le bilan CO2 des produits (grande distribution…) pour ne vraiment citer que quelques exemples parmi des milliers, issus de la contrainte ou de la créativité. Dans la partie immergée de l’iceberg on trouve certes, aussi, des entreprises fortement mobilisées contre une réglementation de plus en plus exigeante, avec un lobbying soigneusement orchestré, ou des pratiques d’éco-blanchiment (de l’anglais "green washing") plus basées sur des effets d’affichage que sur de vraies actions responsables en faveur de l’environnement.

Parfois il est difficile de savoir à quoi s’en tenir… charge au consomm’acteur" de mieux en mieux informé de faire preuve de discernement… et il n’hésite pas à le faire.

Quel(s) est/sont l'intérêt des multinationales à s'engager en faveur de la lutte contre le dérèglement climatique ?

Je pense qu’il s’agit de plus en plus d’une question de "durabilité"… Au sens où il me semble de plus en plus difficile d’imaginer le futur sans prendre réellement acte de la Responsabilité Sociétale de ces Entreprises (RSE), c’est-à-dire de leur contribution effective et mesurée au fil du temps aux enjeux du développement durable. Cela est vrai que leurs engagements soient liés à la contrainte ou pris de façon volontaire, et quelles que soient les actions prises sur l’ensemble des 3 volets : économique, environnemental et sociétal. Ainsi pour une entreprise, gérer ses approvisionnements, ses modes de production, sa distribution, ses nouveaux produits, ses prix de revient, sa profitabilité, etc, est devenu condition certes toujours nécessaire mais plus suffisante. Désormais l’ensemble des dimensions sous jacentes au management doivent être revues, repensées, corrigées à l’aune de l’empreinte environnementale et de la perception de ce fameux "consomm’acteur" qui, directement, ou indirectement au travers d’associations, joue un rôle croissant, aidé par les relais de plus en plus rapides d’informations au travers d’internet et autres réseaux sociaux.

Par ailleurs, au-delà de la responsabilité vis-à-vis de ses clients-consommateurs, la RSE a accru les responsabilités des entreprises à l’égard des autres parties prenantes : ses actionnaires, plus exigeants en terme de garantie de leurs investissements, les pouvoirs publics qui réglementent et contrôlent, la société civile ou encore ses propres employés, avec des jeunes générations plus  sensibilisées et regardantes. Cette logique, même si elle est encore à géométrie variable se vérifie au niveau mondial.

L'innovation et les nouvelles technologies sont au coeur de la recherche et du développement de ces multinationales. Dans quelle mesure cela pourrait permettre à ces grandes entreprises de mettre en place des technologies vertes ?

A la Malraux on pourrait presque répondre l’innovation et les nouvelles technologies seront vertes ou ne seront pas… Il me semble de plus en plus difficile d’imaginer innover sans intégrer la dimension économique, sociétale ou environnementale, et ce qu’il s’agisse de technologies, de produits ou de services. On pourrait même dire que cette dimension devient un moteur de l’innovation. Ainsi, innover doit désormais rimer avec croissance verte, c’est-à-dire durable. Qui imaginerait aujourd’hui acheter un véhicule qui consomme et pollue plus ou des appareils électroménagers plus énergivores de son plein gré…?, et quand bien même par esprit de provocation ou par ignorance on souhaiterait le faire, la réglementation en vigueur filtrerait les produits, biens et services désormais éco-conçus. Cela ne veut pas dire que tout ce que nous pouvons acquérir aujourd’hui librement soit parfait… D’où l’innovation qui permet de repenser avec nos connaissances et nos exigences actuelles nos modes de consommation.

Il faut d’ailleurs bien intégrer l’idée qu’il y a un véritable espoir de croissance parce qu’il existe aujourd’hui de nouveaux produits, biens et services qui améliorent notre quotidien, notre confort en diminuant notre budget et notre empreinte environnementale. Les trois bémols à cet optimisme sont sans doute la libre circulation de biens conçus dans des pays moins soucieux que les nôtres du développement durable et parfois moins chers, d’un manque d’informations et de repères encore insuffisamment clairs sur les produits ou biens consommés, et enfin du manque de prise de conscience ou du décalage entre le moment où l’on prend de conscience d’un sujet et le moment où on décide d’agir. Prenons le cas de la rénovation énergétique, qui illustre bien ce dernier point. Aujourd’hui, en France on sait, au niveau global, qu’il y a un logement sur 2 qui consomme 6 à 9 fois plus d’énergie qu’un logement construit neuf et qui donc doit respecter les réglementations thermiques en vigueur (RT 2012). Cela représente 15 millions de logements. Pour autant on ne voit pas un décollage massif du secteur de la rénovation énergétique. Néanmoins on sent une vraie dynamique d’innovation se dégager sur le sujet avec le lancement de nouveaux produits, services ou encore d’outils numériques d’accompagnement de la rénovation énergétique, qu’on aurait pas pu imaginer il y a, à peine, 10 ans. Des sujets qui  nous obligent à aller au delà du raisonnement circulaire de la poule et de l’œuf. Une démarche qui relève aussi de cette logique d’innovation et de croissance durable.

Face aux grands défis environnementaux, les multinationales ont un rôle essentiel à jouer. Les Etats sont-ils en mesure de faire pression sur les entreprises privées de manière à se diriger vers la dépollution ?  

Cette année, la France accueillera et présidera la 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, plus connue sous le terme de COP 21, qui aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015. Il s’agit là d’une échéance particulièrement importante, puisque "Paris 2015" a vocation à aboutir à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays, dans l’objectif de maintenir le réchauffement mondial en deçà de 2°C.

Le défi sera, de projeter, de façon claire, une série d’objectifs dans un nouvel horizon temporel qui permettra de dépasser ceux actuellement poursuivis pour 2020 et contenus dans la désormais célèbre équation du 3X20 établie en 2008 dans le paquet énergie-climat : 20% de réduction des émissions de Gaz à effet de Serre, 20% d’énergies renouvelables dans le mix énergétique et 20% de réduction des consommations d’énergie.

La France va donc jouer un rôle de premier ordre sur le plan international, pour rapprocher les points de vue et faciliter la recherche d’un consensus des Nations Unies mais aussi au sein de l’Union européenne, qui occupe, historiquement, une place importante dans les négociations sur le climat. 25 ans après la publication du premier rapport du GIEC (Groupe Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat), en 1990, les connaissances scientifiques sur les changements climatiques et leurs possibles répercussions sur l’environnement, l’économie et la société ont bien évolué. Les enjeux sont désormais largement diffusés et connus. Il s’agit de tout mettre en œuvre pour limiter le changement climatique et sa myriade de conséquences analysées par des scientifiques de tous horizons et disciplines - géologues, atmosphériciens, océanographes, géographes, palynologues, glaciologues - en réduisant les émissions de gaz à effet de serre en général, et celles du CO2 en particulier.

Si le consensus existe sur les fins poursuivies, les divergences sont encore grandes sur les moyens à mettre en œuvre et les façons de les planifier dans le temps et par pays. C’est fondamentalement à ces questions que seront confrontées les différentes parties qui assisteront à la COP 21, et ce sont ces sujets qui mobiliseront l’attention de tous sur les mois à venir, dont celui, en tout état de cause des grandes entreprises, notamment multinationales qui seront bien sûr, directement parties prenantes des réflexions. Ces dernières sont intéressées à double titre, soit parce qu’elles considèrent qu’elles font directement ou indirectement partie de la solution de part leurs propres activités (construction d’usines de désalinisation de l’eau dans des zones menacées de stress hydrique, production  d’énergies renouvelables, construction de villes intelligentes, solutions d’éco-mobilité…), soit parce que leurs activités seront plus ou moins fortement affectées par les décisions qui émergeront des discussions.

Quelle évolution peut-on noter ces dernières années concernant la responsabilisation des entreprises sur ces enjeux ?

Beaucoup de chemin a été parcouru depuis la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) de 2001, qui prévoyait dans son article 116 l'obligation pour les sociétés françaises, cotées sur un marché réglementé́, de rendre compte dans leur rapport annuel de leur gestion sociale et environnementale au travers de leur activité. Aujourd’hui, de plus en plus d’entreprises se retrouvent au cœur d’une dynamique complexe qui les oblige à prendre en compte les effets d’une réglementation de plus en plus exigeante, d’une pression concurrentielle qui se double d’une capacité de transformation plus ou moins rapide, des attentes de clients devenus consomm’acteurs, et d’un contexte global qui a divisé le monde en deux : d’un côté les économies d’équipement, qui commencent à ralentir, et de l’autre les économies de rénovation encore à inventer. De lourds défis à relever… à la vitesse de l’ère du numérique.


[1] Le phénomène de de l’ "effet de serre" a d’ailleurs été décrit pour la première fois, en 1824, par un physicien français Jean-Baptiste Joseph Fourier, en ayant recours à l’analogie de la serre pour caractériser le phénomène naturel de rétention partielles des radiations solaires par l’atmosphère.

[2] http://levistrauss.com/wp-content/uploads/2015/03/Full-LCA-Results-Deck-FINAL.pdf

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