Opération élimination de Jean-Marie Le Pen : la méthode Marine comparée à la méthode Bruno Mégret 98<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen réussira-t-elle là où Bruno Mégret s'est cassé les dents ?
Marine Le Pen réussira-t-elle là où Bruno Mégret s'est cassé les dents ?
©Reuters

Cible

Décembre 1998 : lors d'un conseil national du FN, Jean-Marie Le Pen est hué et sifflé par les partisans de son bras droit de l'époque, Bruno Mégret, qui l'accusent de se complaire dans des provocations stériles. Cette crise mène à la scission du parti, Bruno Mégret quittant le mouvement pour fonder le MNR.

Valérie  Igounet

Valérie Igounet

Valérie Igounet est historienne, chercheuse associée à l'Institut d'histoire du temps présent (CNRS). Valérie Igounet est l’auteure d’Histoire du Front national. Le parti, les hommes, les idées (éditions du Seuil, 2014) et anime le blog francetvinfo "Derrière le Front. Histoire, analyses et décodages du FN".

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Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique

Lorrain de Saint Affrique est un ancien journaliste.

Proche du Front national, conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen de 1984 à 1994, secrétaire départemental du FN dans le Gard et conseiller régional du Languedoc-Roussillon, de 1992 à 1998. Il avait été écarté du FN en 1994 à l’occasion d’un conflit avec Bruno Mégret. Il a publié Dans l'ombre de Le Pen (Hachette Littératures) en 1998. A la suite de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN, il renoue avec celui-ci : depuis le 1er octobre 2015, il exerce la fonction d’assistant parlementaire du député au Parlement européen, en charge des questions de presse.

 

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Atlantico : En 1998, Bruno Mégret et ses partisans accusaient le fondateur du FN de se complaire dans des provocations stériles et de ne pas ambitionner d'accéder au pouvoir en recherchant des alliances avec le RPR et l'UDF. Refuse tout compromis avec Mégret, Jean-Marie Le Pen a poussé son bras-droit à la scission. Pourquoi ce que Bruno Mégret a tenté en 1998 n'a-t-il pas fonctionné ?

Valérie Igounet : Plusieurs raisons expliquent l’échec de Bruno Mégret. Tout d’abord son nom : Mégret. La crise qu’a traversé le FN en 1998 a confirmé l’attachement au patronyme Le Pen et la pertinence de la marque éponyme dans l’histoire du FN. Le Front national est le seul parti politique français rattaché à un nom.

Ensuite, il faut souligner que le FN était, à ce moment-là aussi, dans une certaine dynamique (plusieurs municipalités, des résultats électoraux porteurs, 42000 adhérents). Nous sommes après les régionales de 1998 pendant lesquelles l’alliance RPR-UDF s’est défaite dans quatre régions pour se recomposer avec le FN. En interne, le président du FN s’apparente pour beaucoup de cadres à un handicap… à la fin des années 90, le président du FN représente un obstacle pour permettre au FN de progresser électoralement. En 2015, il l’est avant tout pour la stratégie de « dédiabolisation » du parti.

Autre chose : peut-être parce qu’il sent le danger, Jean-Marie Le Pen use particulièrement de son arme favorite, la provocation,  peu avant la scission et aujourd’hui : en 1997, il est l’auteur de plusieurs « sorties verbales » dont une récidive du « détail » comme en 2015.

La personnalité des deux hommes était également très différente, pour ne pas dire opposée. Jean-Marie Le Pen qui, pour beaucoup, était l’homme politique par excellence, le provocateur né, le tribun, le fondateur du FN, la « bête » médiatique. A l’opposé, Bruno Mégret, l’idéologue discret, à qui on reproche son manque de charisme.

Voici ce que l’ancien délégué général du FN (1988-1998) me disait en 2013 à propos de la scission et de la conception mégrétiste et lepéniste de la politique : « deux conceptions du parti se sont affrontées : celle d’un parti potiche, purement utilitaire pour servir la personnalité Le Pen symbolisée par l’attitude de Le Pen lors des élections : la photo du candidat n’a aucune intérêt. Il faut mettre celle de Le Pen ; un mépris pour le travail des cadres, des candidats, des militants. Et puis l’autre qui consistait à faire du FN un grand parti come les autres : des leaders, des locaux, une structure qui existe indépendamment de son président qui est capable de lui survivre ».

Lorrain de Saint Affrique : Bruno Mégret, transfuge de la Nouvelle Droite et des cabinets ministériels RPR, pensait que depuis 1987 et « l’affaire du détail », la figure de Jean-Marie Le Pen, aussi charismatique soit-il, serait un obstacle permanent à toute stratégie d’alliance. Dans son esprit, en 1995, ce devait être la dernière fois que le fondateur du Front National  concourrait à l’élection présidentielle.  Tout en promouvant dans son proche entourage des personnalités représentatives de l’extrême-droite la plus dure, Mégret se construisait méthodiquement une image plus consensuelle, moins « segmentante » que celle de la vieille garde lepéniste. La mort accidentelle de Jean-Pierre Stirbois, en novembre1988, lui avait laissé le champ libre pour étendre son emprise sur l’appareil. Comme Marine LE PEN aujourd’hui, ses équipes fournissaient un important travail idéologique et sémantique afin d’équilibrer puis d’étouffer les saillies verbales jugées contre-productives et surtout incontrôlables du « Menhir ». Comme Marine Le Pen aujourd’hui, il considérait que « l’Islam n’avait pas d’avenir en France comme fait de civilisation ». Distinctement de Marine Le Pen et de Florian Philippot cependant, sa vision européenne, « boréale », lui faisait concevoir des propositions moins en rupture. Cette semaine, Mégret regrette de n’avoir pu « se débarrasser de toute la famille ». Il voit bien que c’est plus ou moins sa stratégie à lui qui installe Marine Le Pen dans une position électorale élevée. Seulement voilà : il était un Mégret, pas un Le Pen.

Quelles sont les différences dans les stratégies, si l'on devait comparer cette méthode avec celle de Marine Le Pen ?

Valérie Igounet : Les stratégies sont totalement différentes. Bruno Mégret a voulu s’emparer d’une machine, d’un parti politique alors qu’il n’en était « que » le numéro deux. Pour se l’approprier, il devait donc être, non seulement suivi par une majorité d’adhérents, de cadres mais en plus, il devait le subtiliser au père fondateur.

Marine Le Pen est présidente du parti. Outre les questions juridiques inhérentes à une éventuelle exclusion de son père, elle ne s’empare pas d’un parti. Elle le préserve tout en le faisant « évoluer » sans le père. Aujourd’hui, c’est une sorte de mise à mort et de reniement politiques. En 1998, le second aspect était absent.

Qu'est-ce qui explique qu'elle ait réussi là ou il a échoué ? Méthode, ligne, contexte, personnalité ?

Valérie Igounet : A-t-elle réussi où Bruno Mégret a échoué ? Marine Le Pen prolonge simplement une stratégie inaugurée au début des années 2000. Rappelons qu’elle est entrée au FN en 1998 comme conseillère juridique. Et que, justement, après la crise mégrétiste et l’élection présidentielle de 2002, elle a commencé et confirmé sa stratégie d’infiltration au sein du FN. Présidente de l’association Générations Le Pen, elle a composé et imposé peu à peu sa matrice idéologique. Mais surtout, son père a imposé sa fille à tous et à toutes. Beaucoup sont partis ou ont été exclus du FN parce qu’ils s’opposaient à Marine Le Pen.

En 2015, les choses sont totalement différentes. Le FN se trouve dans une dynamique inédite que ce soit sur le plan de ses résultats électoraux, le nombre d’élus et d’adhérents, etc. Ensuite, la situation s’est inversée… tout simplement. Nous sommes en présence d’un duel inédit : fille contre père ; une quadra contre un octogénaire ; une présidente contre un président d’honneur.

Marine Le Pen se considère comme l’héritière du FN, ceci à tous les sens du terme.

Est-ce qu''elle y arrive parce que ce qu'elle propose pour le FN correspond davantage aux attentes du FN aujourd'hui ? Une offre qui plaît au contexte ?

Valérie Igounet : Marine le Pen et les hommes et femmes du FN sont parvenus à détourner la matrice originelle du FN en s’adaptant certes à un contexte et des attentes. Aujourd’hui, le parti d’extrême droite préserve son marqueur principal : la haine anti-immigré avec l’islamophobie. Mais elle a surtout voulu « dédiaboliser » un parti, notamment en s’affranchissant du marqueur antisémitisme-négationnisme, et affirmer une nouvelle stratégie qui s’oppose en de nombreux points au FN lepéniste. La ligne politique  affichée par Marine Le Pen est de faire le FN de son père sans les provocations. Mais ce n’est pas exactement ce qu’elle a fait ! Bruno Mégret, par contre, aspirait à cela.

Lorrain de Saint Affrique : Le Front National est devenu un parti de la demande, et non de l’offre. Les concepteurs du programme font preuve d’une souplesse intellectuelle digne de la plus cynique des agences de communication. Ils reniflent les souffrances et comblent les manques. Le contexte les sert : le Front monte sur les Français qui descendent. On entend le vol noir des corbeaux sur la plaine… Et ça marche !

Mais si cette offre là avait été faite en 98, est-ce que cela aurait pu marcher ?

Valérie Igounet : Le FN de 1998 ne pouvait pas proposer cette « offre ». Bruno Mégret ne voulait en aucun cas s’affranchir des marqueurs principaux du FN. Cette logique de « normalisation » affichée par Marine Le Pen la conduit inéluctablement à une disparition du FN de Jean-Marie Le Pen.

Lorrain de Saint Affrique : Aussi méthodique et appliquée soit il, il manquait à Mégret de nombreux atouts de séduction pour animer un courant populiste ; en revanche, s’agissant de passer des accords avec la droite républicaine, puis de la noyauter sournoisement et patiemment, peut-être aurait-il été l’homme de la situation. Le baroque Jean-Marie Le Pen a eu sa peau, comme il aura celle de sa fille Marine si la crise actuelle perdure et si l’escalade se poursuit.


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