Samsung regagnera-t-il avec le Galaxy S6 la guerre des portables après l’avoir déjà gagnée puis perdue ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le nouveau Galaxy 6
Le nouveau Galaxy 6
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Reconquête

Après avoir détrôné le smartphone d'Apple avec son Galaxy S3, Samsung lance son S6, dont les performances seront supérieures à son concurrent. Une bon point pour la marque coréenne, mais qui ne suffira sans doute pas à convaincre des utilisateurs avant tout à la recherche d'expérience.

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry

Frédéric Fréry est professeur à ESCP Europe où il dirige le European Executive MBA.

Il est membre de l'équipe académique de l'Institut pour l'innovation et la compétitivité I7.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles, dont Stratégique, le manuel de stratégie le plus utilisé dans le monde francophone

Site internet : frery.com

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Atlantico : Au cours du World Mobile Congress, Samsung a présenté son nouveau Galaxy S6: au-delà de son prix qui pourrait être très élevé, quelles sont les nouveautés du produit qui le distingue de l'offre d'Apple?

Frédéric Fréry : A l'inverse d'Apple, Samsung s'est jusqu'à présent rarement distingué ni par l'originalité du design de ses appareils, ni par la qualité des matériaux utilisés : on lui a souvent reproché les finitions plastiques et l'aspect passe partout de ses téléphones. A cet égard, le Galaxy S6 marque une volonté de Samsung d'affronter Apple sur son propre terrain, avec en plus une recherche de spécificités techniques et de fonctionnalités supérieures à la concurrence (notamment les performances de l'appareil photo et de la batterie). Cela dit, la surenchère technologique n'est pas nécessairement la clé du succès sur ce marché. Faut-il rappeler qu'à sa sortie en 2007, l'iPhone était techniquement en retrait par rapport aux smartphones Nokia ou Blackberry de l'époque : pas de 3G, pas de MMS, pas de fonction vidéo, pas de batterie amovible, pas de possibilité d'étendre la mémoire. Cela n'a pourtant pas empêché son succès, qui a plus reposé sur la construction d'un véritable écosystème et la remarquable cohérence entre le logiciel et le matériel. Croire que ce sont les spécificités techniques qui garantissent le succès est une illusion. Le client recherche une expérience, pas des performances.

Dans la course Apple Samsung, il semble que le premier soit maintenant en passe de définitivement remporter la guerre. Ca n'a pas toujours été le cas, et Samsung était même parvenu à dépasser son concurrent en volume de vente. Comment Samsung avait-il réussi à s’imposer sur le marché du mobile ? Quelle stratégie s’était révélée gagnante ?

Il faut toujours se méfier des calculs de parts de marché et de volumes de vente. Effectivement, Samsung a été pendant plusieurs années consécutives le leader du marché des smartphones en volume, avec une part de marché deux fois supérieure à celle d'Apple, soit environ 30 % du marché mondial pour Samsung et environ 15 % pour Apple. Cependant, en termes de rentabilité, le constat est inverse : avec une part de marché deux fois inférieure à celle de Samsung, Apple a dégagé jusqu'à deux fois plus de profits, ce qui implique que les iPhones sont quasiment quatre fois plus rentables que leurs équivalents de Samsung. Or, en termes de stratégie, le succès ne se mesure pas par les ventes, mais par les profits : si vous dégagez de manière durable un profit significativement supérieur à celui de la concurrence, vous avez clairement la meilleure stratégie. Être le plus gros ne sert à rien si on n'est pas le plus rentable. La domination de Samsung n'a donc été qu'une illusion d'optique : le véritable gagnant, c'est incontestablement Apple, comme le montrent sa plantureuse trésorerie (170 milliards de dollars, soit environ la somme des chiffres d'affaires de PSA et de Carrefour) et son incroyable capitalisation boursière (755 milliards, soit environ six fois celle de la plus grosse entreprise française, Total).

Il est intéressant de remarquer à cet égard que même s'ils sont directement concurrents, les stratégies d'Apple et de Samsung sont en fait très différentes. Apple a externalisé toute la production de ses smartphones et de leurs composants auprès de sous-traitants, pour se concentrer sur l'optimisation de son système d'exploitation et sur l'ouverture de ses Apple Stores. A l'inverse, Samsung utilise le système d'exploitation Android fourni par Google, conserve en interne la fabrication de ses appareils et de leurs composants (processeur, mémoire, batterie, écrans) et ne s'est pas aventuré dans la distribution. De manière très schématique, Apple s'est centré sur la relation utilisateur (design, ergonomie, service), alors que Samsung a une démarche d'industriel (conception, fabrication, recherche de performance technique).

A quel moment Samsung a perdu son rôle de leader ?

Le principal problème de Samsung a été l'émergence récente des constructeurs chinois, comme Huawei, Lenovo (qui a racheté Motorola) ou Xiaomi. Ils ont proposé des modèles techniquement très proches de ceux de Samsung (eux aussi utilisent le système Android), avec un design souvent plus attractif et surtout un prix inférieur. Les produits Samsung se sont ainsi banalisés et leur différence n'a plus été suffisante pour justifier la préférence des consommateurs. De plus, depuis le lancement des iPhones 6 et 6 Plus, Apple a aussi très significativement augmenté ses volumes de vente, les appareils à grand écran étant particulièrement appréciés en Asie. Au total, Samsung est donc coincé entre des constructeurs Chinois qui proposent des produits très proches des siens, et un Apple dont l'incroyable succès continue à défier les lois de l'économie.

A court terme et plus long terme, quel est l’avenir de Samsung sur le marché des mobiles ? 

Sauf miracle, il semble peu probable que Samsung parvienne ni à enrayer la chute des ventes de ses smartphones, face à des concurrents asiatiques toujours plus agressifs, ni à réussir à augmenter ses prix, face à un Apple à l'offre solidement positionnée sur le haut de gamme. En revanche, la carte maîtresse de Samsung, c'est sa stratégie d'intégration verticale, qui lui permet d'être pour encore un certain temps un acteur incontournable dans la conception et la fabrication de toute une série de composants. Après tout, le succès de l'iPhone 6 n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour Samsung, puisque le dernier né d'Apple est équipé d'une mémoire, d'une batterie et même, pour certains modèles, d'un processeur fabriqués par le Coréen. Samsung Electronics a débuté comme sous-traitant des Japonais dans les années 1970. Il n'est pas impossible que son avenir soit en fait un retour aux sources.

Samsung a d’autres ressources et n’a jamais été qu’un constructeur de téléphones : sur quels marchés pourrait-il se repositionner 

Samsung est un conglomérat très diversifié, un chaebol, qui représente à lui seul une part significative du PIB coréen. Le groupe est présent à la fois dans les BTP, les chantiers navals, l'automobile, la chimie, l'assurance, l’hôtellerie, l’électroménager ou l'électronique. Ses déboires dans les smartphones peuvent être compensés par les succès de ses autres branches. En ce qui concerne les objets connectés, c'est très certainement un marché d'avenir, mais là encore Samsung pourra tout autant s'y positionner comme fournisseur de composants que comme marque grand public. Une nouvelle fois, la culture du groupe est une culture industrielle et ce n'est pas nécessairement ce qui est le plus adapté à la commercialisation de produits résolument tournés vers l'utilisateur final. Chacun son métier, et Samsung fait après tout très bien le sien.

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