Et le nouveau roi d’Arabie saoudite offrit 32 milliards de dollars à son peuple… mais jusqu’où les Saoud pourront-ils acheter la paix sociale et sauver leur trône ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi Salmane
Le roi Salmane
©Reuters

Fuite en avant

Le nouveau monarque a ouvert les vannes de la dépense publique pour contenter une population dont la majorité ne vit que grâce à la manne étatique. L'Arabie saoudite assume un système où une grande partie des nationaux sont pris en charge, sans avoir à faire d'efforts ou être productifs, en échange d'une paix sociale et de la répression de toute volonté d'ouverture du régime. Un système efficace à court terme, mais intenable sur le long terme.

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche

Fabrice Balanche est Visiting Fellow au Washington Institute et ancien directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient à la Maison de l’Orient.

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Atlantico : Selon un article paru dans le New York Times, le roi Salmane aurait distribué une enveloppe de 32 milliards de dollars (28,2 milliards d'euros) en subventions aux associations, en bonus pour les fonctionnaires... Cette attitude s'inscrit-elle dans la même que celle de son prédécesseur ? Laquelle ?

Fabrice Balanche : Le nouveau monarque doit faire un geste envers la population saoudienne pour son avènement. Il s'agit de se faire aimer par le peuple. Lorsqu'il fût couronné empereur en l'an 800, Charlemagne a traversé Rome en jetant les pièces d'or à la foule. Nous sommes dans la même logique, mais avec une pratique modernisée. 

En 2011, le roi Abdallah avait distribué 150 milliards de dollars de subventions diverses pour calmer les frustrations de la population saoudienne et éviter que le royaume ne connaisse lui aussi un Printemps arabe. Il faut régulièrement distribuer un dividende exceptionnel sur la rente pétrolière pour satisfaire une population saoudienne de plus en plus exigeante et dépendante de l'Etat.

Quel bilan peut-on en faire pour feu le roi Abdallah ? Cette stratégie a-t-elle été réellement intéressante du point de vue de la conservation du pouvoir ?

Le pouvoir saoudien repose sur le wahabisme, les pétrodollars et la répression. Ce dernier paramètre doit être utilisé avec modération car cela pourrait déboucher sur une crise comparable à celle de la Libye. L'argent du pétrole est beaucoup plus efficace pour acheter la paix sociale. Tant que l'Arabie Saoudite est un Etat-providence, la population accepte la domination de la famille Saoud, mais que la manne viennent à manquer et le pays risque une révolte généralisée sur fond de surenchère wahabite.

Le roi Abdallah, comme ses prédécesseurs, a lancé une politique de diversification post-pétrolière. Mais tout ceci n'est pas sérieux. Les projets industriels et scientifiques sont creux, déficitaires et incapables de fonctionner sans une aide massive de l'Etat. Cette politique reste au niveau du discours, car la monarchie n'a pas intérêt au développement d'une classe d'entrepreneurs saoudiens, indépendant de la rente étatique, et par conséquent indépendants du pouvoir.

La grande majorité de l'emploi salarié du Royaume est subventionné (3 millions de fonctionnaires sur 5.5 millions d'actifs). Dans quelle mesure cette solution est-elle pérenne au regard de ses objectifs en termes de stabilité sociale ? Qu'est-ce qui pourrait faire que cela ne suffise plus ?

La majorité des actifs saoudiens travaillent en effet dans le secteur public. Ils ont une productivité minimale puisque le véritable travail est effectué par les immigrés. La fonction publique pléthorique est un moyen de redistribuer la rente pétrolière et d'obtenir l'allégeance de la population par le jeu du clientélisme. Les effectifs ne cessent d'augmenter, car il faut créer de nouveaux postes pour les masses de diplômés qui sortent de l'université chaque année et qui ne peuvent trouver d'autre emploi que dans la fonction publique avec leur caricature de diplôme. La saoudinisation des emplois dans le secteur privé, chaque société doit avoir au minimum 20% de Saoudiens, avait pour objectif de soulager la pression sur le secteur public, mais les entreprises protestent car il est difficile de mettre les Saoudiens au travail et leur productivité est faible. Elles considèrent cette mesure comme un impôt déguisé.

Le budget du Royaume tire 90% de ses recettes du pétrole, lequel subit une baisse historique de son prix. Cette technique de l'"arrosage" est-elle réaliste en termes de budget ? Sur quel "trésor de guerre" les Saouds peuvent-ils compter ? 

La famille Saoud dispose d'un fond souverain d'environs 750 milliards de $, soit deux années budgétaires. Avec sa production pétrolière actuelle, le royaume a besoin d'un pétrole à 90$ le baril pour équilibrer son budget. Il lui est impossible de réduire ses dépenses, car il doit entretenir une masse de fonctionnaires, une armée non moins pléthorique et inefficace, un généreux système social et maintenir un haut niveau d'investissement pour contenter les 3000 membres de la famille royale qui sont les sponsors des entreprises impliquées dans les projets. A terme, la technique de l'arrosage n'est pas soutenable, car la population continue d'augmenter fortement du fait d'un taux de fécondité élevé et ses besoins sont croissants. Si les parents se contentaient d'un poste de fonctionnaire, d'un appartement et d'une voiture, les enfants imbus de leurs diplomes universitaires exigent des postes de cadres administratifs et des salaires qui leur permettent deux voyages annuels à l'étranger pour échapper aux rigueurs du wahabisme et de changer de voiture là aussi annuellement. Un consumérisme effréné s'est répandu dans la société saoudienne, le centre commercial étant devenu le centre de la vie sociale au détriment de la mosquée. L'Arabie saoudite est un colosse au pied d'argile : ni son mode de gouvernance ni son système économique ne sont soutenables à terme. La monarchie peut avoir recours à l'emprunt une fois ses réserves budgétaires épuisées en attendant que les prix du pétrole ne se redressent significativement. Certes, elle a des réserves d'hydrocarbures encore pour un siècle au niveau de production actuelle, mais la consommation interne est tellement forte que sa marge d'exportation se réduit fortement, ce qui constitue un second problème pour équilibrer son budget dans l'avenir.

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