"Comment paraître intelligent", leçon n°2 : faire grand usage de l'ironie et éviter le rire gras<!-- --> | Atlantico.fr
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Si vous tenez toujours à paraître malin, la franche rigolade est à bannir.
Si vous tenez toujours à paraître malin, la franche rigolade est à bannir.
©DR

Bonnes feuilles

Quand il est utilisé à bon escient, l'humour est une arme redoutable pour charmer son auditoire. Pierre Ménard liste les 1001 façons de paraître intelligent dans un "Petit bréviaire destiné à ceux qui ne le sont pas, écrit par quelqu'un qui aurait besoin de le lire". Extrait de "Comment paraître intelligent", aux éditions du Cherche-Midi (2/2).

Pierre  Ménard

Pierre Ménard

Pierre Ménard a déjà publié, au cherche midi, Pour vivre heureux, vivons couchés (2013) et 20 bonnes raisons d'arrêter de lire (2014).

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L’humour est à double tranchant : il peut signaler la bêtise crasse tout comme l’intelligence supérieure. Prenez quelques précautions avant de vous y adonner. Si vous tenez toujours à paraître malin, la franche rigolade est à bannir. N’oublions pas qu’autrefois un homme d’esprit n’avait pas le droit de découvrir les dents en riant. Érasme affirme ainsi dans son manuel de politesse que "seuls les sots disent : je me pâme de rire ! Je tombe de rire ! Je crève de rire !" et recommande de se couvrir le visage avec un mouchoir si l’on sent que l’on ne pourra s’empêcher de laisser échapper un rire sonore. Le Christ lui-même, qui a connu la colère et les larmes, ne s’est jamais abandonné à rire. 

L’humour intelligent ne prête pas au rire gras, mais au sourire (et encore !). Balzac se moque dans Le Père Goriot de la sotte Sylvie qui laisse "échapper un gros rire bête", et Zola maudit dans La Curée le "rire fou et bête" des bourgeois du second Empire. Le rire sonore est en effet considéré comme une odieuse grimace tenant plus de l’animal que de l’homme. Baudelaire fustige ainsi dans De l’essence du rire cette "convulsion nerveuse", ce "spasme involontaire comparable à l’éternuement", et ne voit pas de "signe plus marquant de débilité". Il se moque pour la même raison des Belges, "peuple siffleur et qui rit sans motif, aux éclats. Signe de crétinisme". Si l’on ne doit pas rire n’importe comment, on ne doit pas non plus rire de n’importe quoi. Ce ne sont malheureusement pas les batailles de boue et Vidéo Gag qui doivent réjouir l’être (prétendu) supérieur. 

Vous m’objecterez que Molière truffe certaines de ses pièces de farces paysannes, comme Dom Juan. La subtilité est qu’il ne veut pas faire rire avec sa farce paysanne, mais de sa farce paysanne. Le rire du spectateur de Molière est un rire moqueur, le rire du lettré contre le paysan vulgaire et grossier. C’est là que nous rejoignons le point que nous souhaitions aborder : l’humour d’intelligence. Ce n’est pas par hasard que Bergson remarque que "le comique s’adresse à l’intelligence pure" et que Ludwig Wittgenstein souhaitait écrire un traité philosophique sous forme de blagues. En effet, l’humour permet par différents moyens de faire montre de son esprit. 

C’est le cas de l’ironie, qui suppose une prise de distance avec le réel. En faisant de l’ironie, on se situe au second degré. On rompt donc avec le premier degré, la réalité excrémentielle. Swift constate ainsi que "personne n’accepte de conseils ; mais tout le monde acceptera de l’argent : donc l’argent vaut mieux que les conseils". Par ailleurs, en jouant sur les sous-entendus, l’humour crée un esprit de communauté, séparant ceux qui comprennent la drôlerie du propos de ceux qui ne l’entendent pas. Dans Les Trois Mousquetaires, en voyant que d’Artagnan sourit à une phrase à double entente, "M. de Tréville jug[e] qu’il n’[a] point affaire à un sot". Zola décrit de son côté le "sourire d’intelligence" qu’esquissent discrètement les femmes au passage de Mme Saccard, et Lucien Leuwen fait des plaisanteries "afin de ne pas passer pour aussi bête que [les] députés campagnards invités avec lui". 

Au contraire, le père Goriot passe pour une ganache pour ce qu’il ne saisit pas l’ironie de certains propos. "Le vieillard n’entendit pas les plaisanteries que sa réponse lui attirait, il était retombé dans un état méditatif [...] dû à son défaut d’intelligence." Mais c’est peut-être avec l’humour français que se marque le plus clairement cette idée de supériorité intellectuelle. Le mot même de supériorité est intéressant, puisqu’il traduit toute la suffisance de ceux qui s’y adonnent. En effet, si l’Anglais se moque de lui-même (self-deprecation), le Français aime se moquer des autres. Baudelaire prend pour exemple le sot plaisir que l’on prend à voir quelqu’un tomber.

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