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L'affaire Maurras ou une "criminelle façon d'aimer la France"
©Reuters

Bonnes feuilles

Le procès de Charles Maurras, écrivain et intellectuel d’extrême droite jugé pour collaboration, se tient en 1945, devant la Haute Cour de Justice de Lyon. Lorsqu'on lui donne la parole, Maurras va se perdre dans des labyrinthites inextricables pour expliquer "son amour pour la France". Extrait de "L'affaire Maurras" publié aux éditions L'âge d'Homme (2/2).

Jean-Marc Fedida

Jean-Marc Fedida

Jean-Marc Fedida est avocat au barreau de Paris. Egalement essayiste, il est l'auteur de Impasses de Grenelle : De la perversité écologiste (Editions Ramsay, 2008).

 

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La parole que lui donne le Président, il l’a demandé depuis le début du procès et a dû l’attendre, alors, il va la garder. Il a préparé une longue déclaration qu’il va lire sept heures durant finissant par lasser tout le monde, même ceux le mieux disposé à son égard. Mais de sa voix haute perchée et de toute l’énergie qui est sienne, il lira page par page ce qui a posteriori doit être considéré comme un véritable testament, une sorte d’extrait concentré de toutes ses doctrines et de toutes ses théories, sur la politique de la nation, sur la race et sur la France.

Maurras y parle de la France comme d’une femme que lui seul comprend que lui seul connaît et dont lui seul comprend les mystères. Maurras parle tout seul et dans son crâne de sourd résonne la réponse que lui envoie un être inventé par lui. Il ressemble à ces égarés qui finissent obsédés par l’image d’une femme qu’ils pensent être seul à pouvoir comprendre puisqu’il devine dans son comportement des réponses aux messages qu’il lui envoie. Charles Maurras est trop vieux pour reconnaître que cette France dont il dit être le seul héros et la seule voix audible n’existe pas, ou plutôt qu’elle n’existe plus. Cette France des Rois et des Reines agenouillées devant le Sacré Cœur ou recevant un Sacre dans la cathédrale de Reims, cette patrie élue du Christ et de son Église apostolique et romaine animée par un peuple uni par le miracle de la Vierge auquel il se trouve dédié, cette France qui est sauvée par une simple bergère qui entend des voix.

Cette France n’est plus et Maurras en est inconsolable, il ne cesse de revisiter, de refaire le chemin sur lequel il l’a perdu. Il veut la retrouver, car, il en est sûr, cette France lui parle encore, il en entend la voix, elle est donc encore vivante et il lui importe de le crier à la face de ces juges ! Tel sera-ce qu’il croit être l’enjeu de son procès, il se voit un destin à la Chénier, qu’on lui donne une guillotine et il saura s’en faire un collier et par son sacrifice montrer le chemin du courage pour que les Français croient encore, comme jadis, au message messianique de leur pays.

Ce n’est pourtant pas l’enjeu de ce procès et l’écrivain va se perdre à débattre dans des labyrinthes inextricables. Maurras pense que c’est le procès de sa France que l’on fait, alors que ce n’est que le procès de sa personne. Maurras pense qu’il peut utilement se faire l’avocat de cette accusation qui est portée contre sa patrie, alors que ce n’est que son comportement apprécié au regard des dénonciations contenues dans L’Action française que l’on juge à Lyon, ce mois de janvier là. Pour Maurras, l’accuser c’est accuser la patrie, le poursuivre c’est attenter à l’honneur de la Nation, il garde la certitude d’avoir à la perfection incarné la situation de la France pendant toute la durée de l’Occupation allemande, alors l’accuser d’avoir été complaisant à l’égard des entreprises de l’ennemi, cela revient à accuser son pays tout entier.

Extrait de "L'affaire Maurras", de Jean-Marc Fédida, publié aux éditions L'âge d'Homme. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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