"Les femmes et les enfants d'abord" ? Sauf que 150 naufrages nous enseignent que ceux qui survivent le plus sont…<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Titanic ou l'élégance d'un naufrage
Le Titanic ou l'élégance d'un naufrage
©DR

Tombe à l'eau

L'expression consacrée lors des naufrages, et exprimant l'élan protecteur des hommes envers les femmes (et les entités plus faibles), ne trouve pas exactement d'écho dans la réalité...

Les bonnes valeurs se perdent. Ou bien elles n'ont jamais existé. Grace à Hollywood, chacun garde en tête le naufrage du mastodonte des mers, en 1912. Le Titanic et le destin tragique des aristocrates anglais qui voyageaient vers les Etats-Unis ont gravé à jamais la fameuse phrase "les femmes et les enfants d'abord" dans l'imaginaire collectif. Tel Leonardo Di Caprio, les hommes présents sur le navire ont fait don de leur vie pour sauver celles des épouses et des bambins en les installant sur les chaloupes trop peu nombreuses pour tous les passagers. Ce fait, une étude suédoise de 2012, menée par Mikael Elinder et Oscar Erixson de l'université d'Uppsala, ne le conteste pas.

"70% des femmes et des enfants ont été sauvé contre seulement 20% des hommes" précise l'étude, renvoyant cette pratique à une "règle maritime non écrite". Elle s'était d'ailleurs déjà vérifiée en 1852, lorsque le Birkenhead, un navire militaire britannique a sombré dans l'océan indien. Les valeureux soldats ont laissé leurs places aux femmes, passant au passage à la postérité grâce à  un poème élogieux de Rudyard Kipling.


Le Titanic

Cette "règle" sur les femmes et les enfants est apparu au temps des Lumières, raconte Slate. Auparavant, seul Dieu décidait du sort des humains alors chacun pouvait sauver sa vie comme il l'entendait. Au milieu 18ème siècle, la femme prend une autre dimension et devient la "protectrice de la famille".

Frédérique Leichter-Flack, professeure de littérature à Science Po décrypte cette pensée pour le magazine Raison Publique : "Affirmer qu’au cœur même de la catastrophe, il y a des règles de civilité, et consacrer ses derniers instants, en toute lucidité, à faire respecter ces règles, c’est transformer l’épouvante de la mort en acceptation d’un sacrifice qui peut alors entrer dans la légende - sur fond d’orchestre bien sûr, imaginaire ou avéré." Le romantisme victorien tourne à plein régime.

Car passé ces glorieux exploits… plus rien. Pire, sur les 18 navires coulés entre 1852 et 2011 et cités par l'étude, les deux exemples du Titanic et du Birkenhead sont les seuls où la mortalité des femmes est plus faible que celle des hommes. Ainsi, de façon générale, 37,4% des hommes naufragés ont survécu tandis que le score n'atteint que 26,7% pour les femmes.

Pour les enfants, il sombre à 15,3%. En revanche, que les marins se rassurent, 61,1% de l'équipage a été sauvé tout comme 43,8% des capitaines. Les drames récents comme celui du Costa Concordia ou celui du ferry coréen ont prouvé que les chefs de bord sont souvent les premiers dans les chaloupes, contredisant ainsi une autre "règle non écrite", celle du capitaine, dernier homme debout sur le ponton.


Le Northfleet

Et comme si cela ne suffisait pas, les témoignages au bord du Titanic ont montré que l'envoi des femmes et des enfants dans les canots étaient avant tout une erreur d'interprétation d'un ordre du capitaine par l'équipage. Dans le détail, les exemples de couardise sont ainsi bien plus nombreux que les actes de courage. En 1873, le NorthFleet finit sous l'eau. 83 hommes sont sauvés. Une seule femme et deux enfants vont survivre. Un passager du Pegasus, coulé en 1843, raconte dans son journal : "l'hôtesse a tenté de m'attraper par la main mais j'ai pu m'en extraire pour sauver ma propre vie."

Et quand le principe s'applique, c'est avant tout pour protéger des objets de valeurs que sont les femmes. Lors du naufrage du Evening Star en 1866, elles sont ainsi enfermées dans leur cabine sur ordre du capitaine. Comme on protégeait ses richesses, on imaginait sauver "les femmes et les enfants d'abord".

L'affirmation est tellement fausse que les premières activistes s'en sont emparées pour mieux la détourner. Comme le rappelle Lucy Delap, historienne à l'Université Sainte-Catherine de Cambridge, les féministes du 20ème siècle se sont opposées à ce mythe de l'homme chevaleresque. "Elles ont répondu au désastre du Titanic par un slogan mémorable : Vote pour les femmes, canots pour les hommes." Entre élégance surannée et réalité du moment, l'histoire a choisi son camp. Dans un bateau, mieux vaut être un homme et de préférence membre de l'équipage. Sinon, c'est chacun pour sa peau.

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