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L'histoire de Paris par un gastronome, première halte : le quartier Vendôme
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Bonnes feuilles

Dans un esprit littéraire et flâneur, Jean-Claude Ribaut nous raconte mille et une anecdotes savoureuses ; avec humour et délicatesse, l’auteur nous plonge ainsi dans son histoire d’un Paris méconnu, pleine de récits de dîners inoubliables et de rencontres gourmandes. Extrait de "Voyage d'un gourmet à Paris", publié aux éditions Calmann-Lévy, de Jean-Claude Ribaut.

Jean-Claude Rigaut

Jean-Claude Rigaut

Jean-Claude Ribaut a tenu pendant plus de vingt ans la chronique gastronomique du Monde.

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À l’ombre de la colonne Vendôme Quartier Vendôme toujours, l’Hôtel Meurice, amé- nagé le long de la rue de Rivoli, brille de tous ses feux qui, aujourd’hui, font oublier l’origine modeste et pro- vinciale de son créateur. Augustin Meurice était maître de poste à Calais lorsqu’il eut l’idée de faire visiter Paris aux Anglais après la chute de Napoléon en 1815. Le voyage dure trente-six heures jusqu’à l’hôtel, qu’il amé- nage d’abord à l’emplacement de l’ancien couvent des Feuillants. L’établissement est déplacé en 1835 après l’achèvement de la rue de Rivoli, sur laquelle il occupe dix arcades jusqu’à la rue du Mont-Thabor. Il devient alors l’un des premiers hôtels de luxe à Paris, avec des salles de réception dans un décor Louis XVI et une salle à man- ger aux allures de petit Versailles aménagée dans le salon des Tuileries, auquel Philippe Starck a ajouté une touche baroque. On sait avec Chamfort que « ceux qui ont plus de dîners que d’appétit, c’est le petit nombre ; et ceux qui ont plus d’appétit que de dîners, c’est le grand » ! Est-ce un trait de mœurs particulier à Paris ? La fête parisienne au XIXe Merveilleuses du Directoire jusqu’aux dandys anglomanes du second Empire, est décrite magistralement par Charles Baudelaire dans Le Peintre de la vie moderne. Offenbach force le trait quelques années plus tard dans La Vie parisienne, en 1866 : « Portez la lettre à Métella ! rugit le Brésilien de comédie, je veux m’en fourrer jusque-là ! » l’hôtellerie, prend la direction du Meurice. Entre 1920 et 1940, l’hôtel est fréquenté par la haute société. « Rois et reines du monde entier n’attendaient que le signal de la réouverture du Meurice pour inscrire la rue de Rivoli au nombre de leurs résidences », écrit Léon-Paul Fargue dans Le Piéton de Paris. Florence Gould y organise un déjeuner littéraire hebdomadaire et reçoit Marcel Jouhandeau, Paul Morand et Paul Léautaud. Faute d’envahir l’Angleterre, les Allemands y installent leur état-major entre 1940 et 1945. Puis Salvador Dalí, dans les années 1970 et jusqu’à sa mort en 1989, réside un mois par an dans une suite au deuxième étage de l’hôtel.

Nommé à la tête de la brigade en 1990, Maurice Marchand, natif du pays de Colette, la Puisaye, renoue avec la tradition gourmande d’une cuisine à la fois simple et sophistiquée. La relève sonne en 2003 avec l’arrivée de Yannick Alléno, qui avait alors 35 ans, jusque-là chef du restaurant Les Muses à l’Hôtel Scribe. Il connaît la maison car il fut chef saucier auprès de Maurice Marchand. Mais c’est avec Louis Grondard, chez Drouant, que Yannick Alléno a appris pendant cinq années l’essentiel de son métier : « L’après-midi, à la pause, il prenait son tablier bleu et nous livrait son savoir-faire. » tourteau parfumées aux agrumes, homard bleu au vin de château-chalon, filet de rouget à la crème de sardine, ainsi qu’une prodigieuse poularde de Bresse farcie au foie gras ou bien une épaule de cochon de lait confite aux épices. Loin des excès de la scène culinaire, où s’affrontaient défenseurs du terroir et partisans des épices, les délices du goût et du palais reprenaient le dessus. Michelin accorde à Yannick un deuxième macaron en 2004, et le troisième en 2007, l’année de ses quarante ans. et quelques coups d’éclat, tel ce pot-au-feu mirobolant, exercice classique depuis la parution de l’ouvrage de Marcel Rouff en 1924, La Vie et la Passion de Dodin- Bouffant, gourmet. Chaque génération de cuisinier s’applique à réinterpréter, à sa manière, ce pot-au-feu en quatre épisodes car la recette, suggérée de façon littéraire et poétique par l’auteur, n’est pas détaillée. Ceux de Raymond Oliver et de Jacques Manière sont restés dans les mémoires des personnes qui les ont dégustés. Celui de Yannick Alléno évite tout poncif et mérite d’être gravé dans nos mémoires gustatives. Le premier service est un puissant judru mariné au marc de Bourgogne, accompa- gné de pommes de terre au beurre de truffe. Le judru est un gros saucisson de ménage, fabriqué dans toute la Bourgogne à l’automne, qui doit sécher plusieurs mois. Le pouilly-fuissé lui confère un premier quartier de noblesse. Vient ensuite un morceau de poitrine de porc gratiné d’une fine purée soubise. La douceur de la soubise – sauce à base d’oignon – est rehaussée d’un trait de mou- tarde dijonnaise. L’on reste donc en Bourgogne, avec, de surcroît, un fort honnête marsannay. Léger détour vers la Bresse avec le troisième service, composé d’un suprême de volaille à la façon de Lucien Tendret, où l’escalope de foie gras de canard est glissée (« contisée », dit-on en langage culinaire) entre la chair et la peau, ce qui appelle la délicatesse d’un volnay. Le dernier service est un pavé de filet de bœuf cuit à la ficelle, piqué à la moelle, et servi avec un musigny, une bouquetière de légumes et une tar- tine relevée au raifort. Cette version à la fois légère et sophistiquée signifie que Yannick Alléno a fait sien le point de vue du grand coutu- rier Yves Saint Laurent parlant de la robe Mondrian qui le rendit célèbre : « Toute création n’est qu’une recréation, une façon nouvelle de voir les mêmes choses, de les expri- mer différemment, de les préciser, d’en exalter un angle jusque-là inaperçu ou d’en accuser les contours. » Yannick Alléno a quitté le Meurice le 31 janvier 2013, laissant la place, six mois plus tard, à Alain Ducasse et sa brigade du Plaza Athénée, fermé pour des travaux d’envergure.

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