Abrutis du caddie : pourquoi notre rapport totalement biaisé aux chiffres nous coûte cher au moment de passer en caisse<!-- --> | Atlantico.fr
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Certains commerçants profitent du niveau moyen en maths des Français.
Certains commerçants profitent du niveau moyen en maths des Français.
©Reuters

Affaire en or

Une partie importante de l'établissement des prix repose sur l'incapacité de la majorité des gens à appréhender rapidement et convenablement les chiffres et les ordres de grandeur. Une aubaine pour les commerçants qui peuvent inciter – à peu de frais – les comportements des acheteurs. Petit traité des manipulations auxquelles à l'approche de Noël vous êtes susceptible d'être confronté.

Nicolas Guéguen

Nicolas Guéguen

Nicolas Guéguen est professeur de psychologie sociale à l'Université de Bretagne-Sud. Il a notamment écrit Psychologie du consommateur : pour mieux comprendre comment on vous influence aux éditions Dunod.

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Un prix affiché n'est pas juste un rapport entre une offre et une demande. Une promotion n'est pas seulement la manière de se débarasser d'un stock. Le marketing se sert depuis longtemps de l'étude du comportement des consommateurs pour orienter leurs actes d'achat, sans renfort de publicité, seulement par le simple agencement de certains chiffres, et de l'impact sur le ressenti du consommateur. Le point sur les techniques les plus connues, les plus utilisés, et surtout... les plus efficaces !

1) La faiblesse du niveau en maths du consommateur moyen

Typique dans l'alimentation, la promesse, par exemple, d'avoir "33% de produit en plus". Les acheteurs potentuiels croient que cela revient à avoir indirectement un rabais de 33%. Faux bien sûr : un rabais de 33% serait 50% de produit en plus ! Plus généralement, les consommateurs perdent tout sens critique lorsqu'une promotion – sur la taille ou sur le prix – leur est exprimée en pourcentage.

Nicolas Guéguen : Habituellement, on utilise toujours quand on veut parler de rabais ou d'avantage pour le client, on parle en pourcentage plutôt qu'en valeur absolue. Comme les consommateurs n'aiment pas faire le travail de calcul mental eux-mêmes, si le travail est fait pour eux l'avance – et même s'il est faux ou flou – exprimer un chiffre en "X%" donne de meilleurs effets. Vous ferez plus de ventes si vous, en baissant à 1,50 euros un produit à l'origine affiché à 2 euros, si le vendeur dit lui-même qu'il y a un rabais de 25%, alors que le consommateur est capable de faire lui-même le calcul. Cela demande à l'acheteur un petit travail intellectuel. Or, il a été prouvé que si le vendeur affirme d'emblée qu'il y a une baisse de 25%, l'acheteur aura l'impression "que ça a baissé plus" que s'il devait calculer lui-même. Il y a en effet un "coût" pour faire un calcul mental qui rend l'offre moins intéressante. C'est la même logique quand vous achetez "trois pour le prix de…" où les produits sont vendus plus cher que quand ils sont achetés à l'unité. Et le consommateur le sait parfois lui-même, mais la méthode reste efficace. Le monde qui nous entoure est tellement complexe que les automatismes qui nous sont donnés nous aident à baisser notre vigilance.

2) L'impact du premier prix visible dans un magasin

Technique typique des magasins de luxe : mettre des produits très chers à l'entrée (comme par exemple un sac de créateur, au tarif à 4 chiffres) que le consommateur moyen trouvera exagérément cher. Il acceptera alors d'autant mieux le prix à trois chiffres de la montre, un peu plus loin, vendue nettement plus cher que ce que l'on pourrait la payer ailleurs, dans un magasin qui n'a pas affiché ses "produits de luxe" à l'entrée.

Nicolas Guéguen : C'est une méthode connue que l'on appelle "l'effet contraste". Quand vous partez d'un niveau élevé de prix, les niveaux qui suivent vous paraissent moins importants que si vous partiez du bas. Il faut donc toujours présenter le produit plus cher au début. C'est la même logique quand la publicité présente les modèles les plus hauts de gamme – pratique très courante dans l'automobile par exemple – pour donner un ressenti plus positif sur les modèles les plus courants lorsque le consommateur y sera confronté.

3) Le rejet des prix extrêmes... et la manière d'en jouer

Nous n'aimons pas payer les produits les plus chers, mais ne voulons pas non plus payer ceux "au rabais". Quand trois produits à peu près identiques (trois types de bière dans un bar exemple) sont proposés, le produit au prix intermédiaire est souvent celui le plus vendu. Pour booster les ventes d'un produit, il suffit alors de s'assurer qu'il existera – même artificiellement – un produit plus cher, et un autre moins cher, pour rendre le produit "intermédiaire" très attractif.

Nicolas Guéguen : C'est une pratique moins courante mais que j'ai déjà pu constater. Les consommateurs imaginent que le produit haut de gamme dans un magasin est celui où il se "fera avoir" le plus, avec le plus de marge pour le vendeur, alors que le bas de gamme ne rassure pas pour sa qualité. Le produit du milieu est donc celui qui rallie le plus facilement la volonté d'achat.

4) La capacité du consommateur à se créer des justifications pour son achat

Comment vendre un produit, par exemple dans l'électroménager, qui affiche déjà un prix élevé en valeur absolue ? En mettant à côté un produit quasi identique nettement plus cher. Le premier paraîtra plus attractif. Pourquoi ? Parce que dans un contexte où il est finalement impossible de connaître la vraie valeur des biens, le consommateur adore se se justifier par "la bonne affaire" !

Nicolas Guéguen : On est dans le même mécanisme "d'effet contraste" que j'évoquais précédemment, signe que la pratique est très courante dans le commerce.

5) Mettre le consommateur sour pression

Pourquoi les bonbons à forte marge sont-ils placés près des caisses dans les supermarchés ? Parce que la situation de pression générée par la file, la nécessité d'avancer fait baisser notre garde sur notre capacité à raisonner sur le prix des biens. Une logique qui pousse à acheter des produits à très forte marge pour le vendeur, sans recul critique de l'acheteur.

Nicolas Guéguen : Effectivement, dans ce contexte le consommateur est dans une situation où une décision doit être prise très rapidement, sans possibilité de retour, et avec une forte pression pour ne pas le reposer une fois que vous l'avez pris. Et ce mécanisme est très efficace, il l'est même beaucoup plus que les stratégies qui jouent sur les affichages de prix.

6) Miser sur la pénibilité de chaque dépense

Comme nous n'aimons pas sortir notre porte-monnaie, nous préférons souvent nous abonner (à un journal plutôt que de payer au numéro ; à une salle de gym plutôt que de payer au cours) ce qui nous évite la pénibilité psychologique de sortir de l'argent. Sauf que ce raisonnement nous amène largement à payer pour des choses que nous ne consommons même pas ! Il vaut mieux, dans la logique purement comptable, payer un peu plus, pour des biens/services dont nous jouissons réellement.

Nicolas Guéguen : On est dans une logique aussi de facilité. Si l'être humain doit élaborer des stratégies où il va devoir compter pour savoir les combinaisons qui le font gagner, cela va devenir intenable pour lui. Plus on nous suggère des automatismes, moins il y a de vigilance. Et le piège des abonnements est d'autant plus difficile à éviter que les gens n'ont plus les mêmes aptitudes aux calculs rapides. Une étude a été menée dans des stations-services où vous pouvez laver votre voiture vous-même. Dans la première, on vous donnait une carte de fidélité avec huit cases. A chaque lavage, on cochait une case, quand la carte était remplie, vous aviez un lavage gratuit. Une autre station-service proposait la même carte mais avec dix cases. Cependant, l'argument de vente était "si vous êtes nouveau, nous vous cochons trois cases au lieu de une à votre premier passage". Cela revient exactement au même que dans la première station-service. Pourtant, l'étude montre que les gens reviennent plus dans celle offrant la carte à dix cases ayant le sentiment qu'il y avait une meilleure affaire…

7) Le goût immodéré pour les rabais et les bons

Phénomène classique mais qui fonctionne toujours : un consommateur porteur d'un bon de réduction va acheter quelque chose dont il n'avait nul besoin. Il va dépenser moins que le "vrai" prix certes, mais plus que s'il s'était comporté naturellement... en n'achetant rien !

Nicolas Guéguen : Cette capacité de créer des "opportunités" d'achat à été très bien intégrée par une entreprise comme McDonald's qui utilise cette stratégie pour les desserts, ce qui est le plus difficile à vendre dans ses restaurants. Dans un restaurant on disait que le produit était en promotion toute l'année, et dans l'autre qu'il l'était "aujourd'hui uniquement" (en disant bien sûr la même chose tous les jours). Quand on disait que le produit était en promotion "aujourd'hui seulement", les ventes décollaient. Et une promotion faite tous les jours n'est évidemment plus une promotion.

La variante c'est aussi de pousser les gens à se déplacer dans un magasin en faisant miroiter une promotion sur "les 200 premiers". Quand vous arrivez sur place et qu'il n'y a plus de promotion (car il y en avait finalement très peu et qu'elles ont toutes été vendues), et comme vous voulez rationnaliser votre déplacement, vous allez finalement acheter quelque chose, qui lui ne sera pas du tout en promotion. Et au pire, certains produits ressembleront beaucoup à la promotion que vous avez raté pour vous pousser à l'achat.

8) L'obsession du chiffre "9" dans les prix

65% des biens achetés ont un prix se finissant par "9". Ce chiffre a quasiment une portée symbolique de "prix juste", voire de "bonne affaire" totalement autosuggérée, qui a rendu la pratique de l'&affichage de ce type de prix commun à quasiment tous les secreurs commerciaux.

Nicolas Guéguen : La théorie classique, c'est bien évidemment le sentiment que vous ne passez pas à la dizaine du dessus, ce qui poussera la personne à sous-évaluer le prix du bien, donnant l'impression de faire une meilleure affaire. On appelle même les prix qui se finissent en "9", les "prix magiques". Je trouve cependant cette appellation abusive car on surestime beaucoup l'influence des prix en "9". Une étude massive, portant sur 90 000 personnes, avait porté sur un catalogue de vente de vêtements pour femme. L'un des catalogue 'n'avait que des prix ronds, l'autre n'avait que des prix en "9". Dans le premier, le taux d'achat était de 3,07% dans le second il n'était qu'à… 3,23%. Et les paniers moyens ne différaient que de 2 dollars sur un montant moyen de 80. Cela ne peut donc avoir un vrai impact que si vous multipliez cela à outrance car les effets sont quand même assez faibles… Pourtant la stratégie continue de se répandre : on voit maintenant des prix en "9" sur des maisons ou des voitures, ce qui ne se faisait pas avant.

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