Google, Facebook, Twitter et cie… Service gratuit contre utilisation de nos données : comment trouver l’équilibre raisonnable<!-- --> | Atlantico.fr
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Facebook ou Twitter font partie des géants du web collectant les données personnelles de leurs utilisateurs.
Facebook ou Twitter font partie des géants du web collectant les données personnelles de leurs utilisateurs.
©Reuters

Gagnant gagnant

L'enjeu pour les géants du web est clair : capter le maximum des dépenses publicitaires à travers le monde qui représentent pour la seule année 2014, 444 milliards d’euros, tous médias confondus. Pour ce faire, ils s'ajustent dans la collecte et monétisation de nos données personnelles à destination d'une publicité ciblée.

Clément Brygier

Clément Brygier

Clément Brygier a co-fondé Digital Insighters en 2013 avec Audrey Fleury. L’agence conseil est spécialisée en data analytics et gestion de réputation.

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Laetitia   Puyfaucher

Laetitia Puyfaucher

Laetitia Puyfaucher a créé en 2000 le groupe de communication éditoriale Pelham Media Ltd., aujourd’hui un des leaders du domaine, regroupant les agences WordAppeal, l’Eclaireur et KCO, et des antennes à l’étranger.

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Atlantico : Google, Facebook ou Twitter font partie des géants du web collectant les données personnelles de leurs utilisateurs. Une contre partie à la gratuité d'utilisation de leurs plateformes. Mais comment valorisent-ils ces dernières sur le plan commercial ?

Clément Brygier : Parmi ces géants du web qui maitrisent la collecte et la monétisation de données personnelles, j’ajouterais également Amazon et Apple. Toutes ces entreprises placent la donnée de leurs utilisateurs au cœur de leur stratégie d’expansion. L’enjeu est de capter le maximum des dépenses publicitaires à travers le monde. En 2014, elles représentent 444 milliards d’euros, tous médias confondus.

Sur le plan commercial, pour valoriser ces données, Google, Facebook, Amazon et Apple promettent aux marques un meilleur ciblage de leurs publicités et donc de meilleurs taux de conversions. Facebook et consorts proposent plusieurs critères aux marques voulant faire de la publicité contextuelle. C’est possible de cibler selon la situation géographique, le genre, les marques préférées, la situation professionnelle, la situation matrimoniale etc. Ainsi une marque de mobile peut désormais pousser une publicité sur les smartphones des hommes mariés ayant récemment regardé Breaking Bad alors qu’ils passent à côté d’une boutique SFR ou Orange.

Les marques sont assurées de toucher les audiences avec les plus grandes affinités pour leurs produits. Les développeurs d’applications mobiles ont la promesse d’atteindre les accrocs aux jeux mobiles. Les labels de musique savent qu’iTunes proposera leurs albums auprès d’audiences ayant déjà des préférences pour leur style de musique…

Malgré la possibilité de cibler la publicité selon plusieurs critères, ces acteurs du web sont une boite noire. Ils restent très secrets sur ce qu’ils savent précisément sur leurs utilisateurs et comment ils l’utilisent. Cette frustration se retrouve à la fois chez les utilisateurs, les clients et les régulateurs.

Pour chacun de ces medias, sociaux pour tout ou partie, comment les données des utilisateurs sont-elles monétisées ?

Clément Brygier : Ces données sont surtout monétisées grâce aux pubs ciblées et contextuelles. Elles représentent la majorité du revenu de Google, Facebook et Twitter.

En 2014, pour Facebook elles comptent pour 92.5 % du revenu d’exploitation. Chez Google, elles comptent pour 93 % et chez Twitter pour 89.5 %.

Twitter s’essaye depuis 2012 à une autre stratégie de monétisation. Ils vendent les tweets publiques (0.08€ pour 1000 tweets) aux sociétés sérieuses voulant les analyser en masse.

Des entreprises de Big Data analytics, comme Digital Insighters, acquièrent des millions de tweets mentionnant une marque par exemple et apportent un niveau de compréhension poussé pour les leurs clients. Par exemple, quelles sont les habitudes de consommation, quelle est la réputation de la marque, quels internautes s’intéressent réellement à la marque, quelles sont les dynamiques d’influence au sein des communautés de marque, existe-t-il des risques non-soupçonnés pour l’image etc…

Bien évidement ce travail se fait dans des conditions exigeantes. Twitter est strict et ne libère ses données qu’aux entreprises respectant leurs règles légales et morales.

Aujourd’hui la part de revenu chez Twitter sur la vente de ces données stagne, elle tourne autour de 11%. (41 millions de dollars au troisième trimestre 2014).

Lire aussi : Le revenu généré par chaque utilisateur de Google, Facebook et Twitter

En fonction du profil d'utilisateur, de son appartenance nationale, de l'utilisation qu'il fait de ces medias, le profit moyen généré évolue-t-il ? Dans quelle mesure ? 

Clément Brygier : Oui Google, Facebook, Twitter constituent tous des profils ultra-détaillés de leurs utilisateurs et cherchent à tirer un maximum de profit en fonction de leur profils. Aujourd’hui deux grands axes de profils utilisateurs se dessinent. La nationalité et la possession d’un mobile.

Wall Street surveille de près la capacité de Silicon Valley à monétiser ses données. Les investisseurs obligent la publication de certains chiffres dans leurs publications financières :

Le MAU, « Monthly Active Users ». Le nombre d’utilisateurs ayant visité le service au moins une fois dans le mois. Si l’utilisateur n’est pas actif il ne peut pas être monétisé. Facebook et Google dépassent le milliard de MAU (Google : 1.5 Md et Facebook 1.32 Md). Twitter atteint avec un peu de mal les 284 millions de MAU.

Ensuite l’ARPU, « Average Revenu Per Users ». Le revenu moyen généré par utilisateur. Il se distingue souvent par géographie. Par exemple, chaque trimestre, sur les USA et le Canada, Facebook génère environ $5.79 par utilisateur grâce à la publicité. Ce sont les utilisateurs le plus profitables car ce sont ceux au plus fort pouvoir d’achat et donc attirant les plus grandes dépenses publicitaires.

Sur la même période, l’utilisateur européen rapporte environ $2.61. Facebook est sous pression de Wall Street au sujet de l’Inde. Chaque utilisateur indien rapporterait moins de $0.40 par trimestre car ils intéressent moins les publicitaires et ils se trouvent tous sur mobile.

C’est d’ailleurs sur ce dernier point que Facebook, Twitter et Google segmentent leurs utilisateurs. Les investisseurs demandent de distinguer les revenus générés auprès d’utilisateurs mobiles ou ordinateurs.

Les chiffres par zone géographique de Google et Twitter ne sont pas communiqués, mais il est assez évident que les tendances précitées demeurent. En moyenne, ils le sont toutefois : Google remporte la mise de très loin avec $45 par utilisateur, suivi de Facebook avec $7,24 par utilisateur et pour finir Twitter à $3,50.

Dans le futur, avec l'apparition du data santé notamment, comment l'exploitation de ces données personnelles est-elle amené à franchir de nouvelles limites ? Quelles recettes financières peuvent-ils espérer en tirer ? (croissantes, décroissantes, de quel ordre)

Clément Brygier : La plus grande limite concerne les données génétiques et biométriques. Alors que l’ensemble des datas utilisateurs peuvent évoluer avec le temps (adresse, comportement d’achat, préférences de marque…) nos données génétiques sont éternelles et leur valeur ne périme pas une fois dans la main d’acteurs peu scrupuleux. Malgré le risque, c’est une des nouvelles frontières de la data personnelle.

Des sociétés dans la Silicon Valley proposent des tests génétiques avec diagnostiques santé à la clé. Ces données intéressent déjà les laboratoires pharmaceutiques qui pourraient développer des traitements ciblés et contextuels… comme les publicitaires finalement. On reste vraiment aux débuts du sujet, le marché ne devrait « que » peser 2.2 milliards en 2017.

Laetitia Puyfaucher: Oui, de nouvelles étapes seront franchies. Je ne pense pas qu'il soit intrinsèquement malsain que l'exploitation de mes données procure un profit à l'un des GAFA. Tant mieux pour eux et tant mieux pour moi car résultat je vais avoir à disposition des outils de communication gratuits, des applications fabuleuses et des temps de navigation raccourcis vers l'objet de mes recherches.

Revenons aux nouvelles étapes qui seront franchies. J'ai donné en mai dernier une conférence Tedx que j'ai intitulé The Human Stock Exchange. Le propos : l'être humain commence à être coté (regardez notamment les plateformes Fantex, Pave et Upstart ; regardez également l'amendement ISA - Income Sharepoint Agreement - déposé ce mois d'avril par le sénateur américain Marco Rubio. Il sera bientôt possible de prendre - sous des formes plus ou moins pures - de l'equity dans l'être humain. C'est-à-dire d'avoir des investisseurs de "soi-même" et de leur payer en retour un dividende (mécanisme - pour tout choquant qu'il semble l'être au premier abord - l'est peut-être moins que le (sur)endettement - cf. les 1,2 trilliard de dettes étudiantes aux États-Unis).

Consultez également la bande dessinée de Xavier Dorrison intitulée également de Human Stock Exchange et le roman de Bernard Mourad intitulé les actifs corporels.

Que décrivons-nous ? Que les objets connectés, avec la quantité de données de santé mais également comportementales et sociétales qu'ils vont recueillir, vont avoir pour connaissance de rendre l'être humain plus "transparent", plus "analysable" qu'une entreprise cotée.

La gratuité de ces outils justifie-t-elle en partie l'utilisation de nos données et leur exposition publicitaire ou autre ? Jusqu'où cela est-il acceptable pour les utilisateurs et de la part de ces plateformes ?

Clément Brygier : C’est toujours un contrat qui s’établit entre les plateformes et les utilisateurs. Un des bon côtés de l’utilisation de nos données personnelles, c’est de ne pas être bombardé par des pubs n’ayant aucun intérêt.

C’est acceptable jusqu’à l’information privée/secrète. Celle qu’on ne connait pas sur soi-même ou qu’on souhaite cacher à son entourage. Facebook peut deviner notre orientation sexuelle ou anticiper une rupture amoureuse, Google devine notre état de santé physique et mentale. Exploiter ces données alors qu’un utilisateur ne les a pas partagées pourrait poser problème.

Amazon par exemple a remarqué que certains utilisateurs font des achats compulsifs inhabituels dans les nuits du vendredi ou samedi soir. Le géant du e-commerce avait conclu que c’étaient des achats effectués sous l’emprise de l’alcool et savent désormais cibler ce comportement.

Laetitia Puyfaucher: Ces outils sont gratuits précisément dans le but d'attirer un maximum de personnes et donc de pouvoir tirer le maximum de l'utilisation des données.

Idem pour le point d'acceptabilité ou de consentement. On ne peut véritablement consentir que si l'on a le choix de faire autrement. Est-ce véritablement le cas ?

Oui pour twitter, d'ailleurs eux ne gagnent pas d'argent, oui pour Facebook même si chacun perçoit bien que l'abstinence ici est plus ardue. Mais dans le cas de Google, il n'y a pas et il n'y aura pas de point d'acceptabilité tant que la part de marché sur la recherche est largement supérieur à 90 %.

Quel serait le bon modèle, celui qui contenterait à la fois utilisateurs et géants du web ?

Clément Brygier : Il existe un modèle nommé VRM ou « Vendor Relationship Management » qui permettrait de trouver un équilibre entre gratuité et utilisation de réseaux sociaux ou service à valeur ajouté. C’est un concept introduit par David Searls un professeur à Harvard qui cherche à placer utilisateurs et vendeurs à un niveau plus égal.

Pour résumer, ce système permettrait de vendre ou offrir nos données utilisateurs à une marque en échange de promotions spécifiques. Ce modèle est plus complexe qu’un simple click « J’accepte les conditions d’utilisation » le jour de notre inscription à un réseau social… ça explique peut-être pourquoi il ne décolle pas encore !

Laetitia Puyfaucher: Je suis plutôt libérale sur tout un tas de sujet, mais voyez-vous sur ces questions là, je ne pense que le bon modèle pourra être trouvé sans l'intervention des États. Pourquoi. Parce que pour trouver un bon deal, il faut que le rapport de force ne soit pas trop déséquilibré. Je pense que dans le cas de Facebook, Twitter, le rapport de force existe. Les internautes peuvent toujours opter de "quitter" le réseau social si ce dernier malmenait trop leur vie privée. Ce n'est pas le cas de Google.

Je pense que le coup de semonce du Parlement Européen (le jour de la Thanksgiving pour l'anecdote) est intéressant. Google sera in fine démantelé à moins qu'une véritable offre alternative ne voit le jour.

Nous dirigerons-nous alors vers ce qu'on voit dans d'autres secteurs avec la séparation de ce qui relève de l'infrastructure (Cf. la problématique du dégroupage dans les télécoms, le transport, l'énergie) ? La situation actuelle n'est pas soutenable, d'autant plus que ces multinationales échappent à l'impôt, ce qui en général n'est pas le cas de l'internaute.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter

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L’ensemble des chiffres communiqués sont publiques...

Sur les médias sociaux :

http://www.businessinsider.com/r-facebook-seeks-india-revenue-boost-with-missed-call-ads-2014-02

http://www.medianama.com/2014/04/223-facebook-100m-users-india-struggling-monetization/

http://www.zdnet.com/article/facebooks-business-model-puzzle-how-do-you-monetize-india/

https://investor.twitterinc.com/releasedetail.cfm?releaseid=878170

http://www.medianama.com/2014/07/223-facebook-asia-q2-2014-earnings/

Marché de la pub :

http://www.emarketer.com/Article/Global-Ad-Spending-Growth-Double-This-Year/1010997

Marché génétique :

http://www.biomedtrends.com/GetDetails.asp?CatName=Genetic%20Testing

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