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Omerta sur la viande : comment des asticots se retrouvent dans vos steaks
©Reuters

Bonnes feuilles

Ingénieur agronome, Pierre Hinard découvre les dessous des usines à viande : des asticots dans la viande hachée, des pièces congelées, décongelées, recongelées, des analyses faussées, des dates truquées, du sang déversé dans les champs. Face à ces manquements, les services vétérinaires sont absents ou corrompus et les pouvoirs publics pour le moins… distraits. En bout de chaîne, des consommateurs lésés, méprisés et trop souvent malades. Extrait de "Omerta sur la viande", publié chez Grasset (2/2).

Pierre  Hinard

Pierre Hinard

Éleveur, fils d’éleveurs, ingénieur agronome et ancien créateur de marchés bio à Paris, Pierre Hinard entre il y a dix ans dans une importante société d’abattage et de découpe de Loire-Atlantique qui sert tout le bottin de l’agroalimentaire, de McDonald’s à Flunch, d’Auchan à William Saurin. Un parcours exceptionnel et très spécialisé, des vertes prairies normandes aux steaks hachés en barquettes, via le monde secret des abattoirs.

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Le responsable du nettoyage m’explique qu’il monte régulièrement sur le toit de tôle bien qu’il n’en ait pas le droit – il est même en réelle infraction – parce que avec la chaleur de l’été, des asticots se développent dans l’amoncellement des viandes : ça grouille tellement, précise-t‑il, qu’ils finissent par retomber dans la cheminée quand on arrête la pulsion d’azote. Et de la cheminée… directement dans le broyeur d’où ils sont poussés vers les moules à steaks. Puis de guerre lasse et faute d’obtenir gain de cause, il a simplement cessé de grimper nettoyer le toit.

Il se propose de me montrer et nous voici au sommet de l’échelle : quelle vision ! Une masse agglomérée et mouvante grouille au bord de la cheminée. Après avoir fait nettoyer tout ça je m’empresse de ressortir les notes dans lesquelles je faisais valoir la non-conformité de la cheminée du haché et demandais aux responsables de l’entreprise de déplacer la cheminée. Chaque fois, la maintenance m’a répondu que l’ordre n’avait toujours pas été signé par le patron. Le temps a passé, les vers ont prospéré.

Après cette équipée sur le toit et le mail d’Auchan, je retourne voir Jeff Viol et cette fois il donne son feu vert aux travaux. C’eût été un motif majeur de fermeture et de déclassement des installations si les services vétérinaires avaient cherché à vérifier. Mais ça tombe bien, ils n’ont jamais eu cette curiosité. Pourtant, je l’ai dit, la présence constatée d’asticots n’était pas une première ce jour-là. Mais les autres fois – oui il y en eut plusieurs, et ce n’est guère mieux –, ils provenaient de matières premières dépassées, souillées, largement périmées…

Plus d’une fois, la plus frondeuse des filles de la chaîne (à ces postes pénibles, debout face au tapis qui défile à grande vitesse, la main-d’oeuvre est essentiellement féminine) a fait irruption dans mon bureau pour se plaindre de trouver des vers dans les viandes qui lui sont apportées. « Pierre ! Venez voir, ce n’est plus possible ! On n’est pas payé pour faire de la merde » – elle me décrit des bacs entiers de viandes infectes qui viennent d’être déposés au sas d’entrée de l’atelier de haché en provenance des chambres froides, de l’autre côté de la route.

Quand je vais constater l’affaire, elle est loin d’avoir exagéré : c’est même très en deçà de la réalité et bien au-delà de tout ce qu’on peut imaginer ! Dans des bacs inox de 250 et 300 kg s’entassent des muscles pas frais, en tout cas pas découpés de la veille ! Il s’agit de gros muscles désossés, dénervés, déjà noircis. Sans doute des retours de clients, vu l’aspect de la découpe, probablement renvoyés par Auchan. C’est poisseux au fond des bacs, le tout baigne dans un jus noir et infâme et surtout, l’odeur est saisissante : ça pue.

« Cette viande-là ne devrait pas venir jusqu’à nous », remarque-t‑elle. Sa remarque est judicieuse car l’atelier du haché est un bâtiment particulier dans la chaîne de production où, comme nous l’avons vu plus haut, les règles sanitaires sont les plus strictes. Elle le sait personnellement puisque chaque membre de son équipe a reçu une formation spécifique sur l’hygiène et les règlements sanitaires avant de pouvoir y travailler.

Dans ces cas-là, je retraversais la route pour aller voir le directeur commercial. Mais rien à faire. La société savait très bien comment écouler cette matière première : « On la mettra à William Saurin, ils en feront des sauces et des conserves, pasteurisées on n’y verra que du feu. »

Extrait de "Omerta sur la viande", de Pierre Hinard, publié chez Grasset, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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