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Première Guerre mondiale (1914-1918) : Verdun, chronique d'une bataille annoncée
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Bonnes feuilles

Après les cruelles désillusions de 1914 et les offensives répétées, aussi meurtrières que vaines, de 1915, les stratèges tirent en 1916 les leçons de la guerre des tranchées et envisagent alors de mener le conflit en scientifiques. Extrait de "1916 - L'enfer", de Jean-Yves Le Naour, édité chez Perrin (1/2).

Jean-Yves  Le Naour

Jean-Yves Le Naour

Docteur en histoire et documentariste, Jean-Yves Le Naour, spécialiste de la Grande Guerre, est l'auteur de nombreux ouvrages sur le sujet dont, chez Perrin, Les Soldats de la honte (Grand Prix d'histoire Ouest-France), et 1914 et 1915.
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Quand donc le GQG a-t-il compris qu’il se tramait quelque chose de peu catholique face à Verdun ? Durant tout le mois de janvier, les indices de la préparation d’une offensive se multiplient mais la religion de Chantilly n’est pas faite. Peut-être s’agit-il d’une intoxication ou plus encore d’une diversion, d’un piège qui servira à attirer des troupes avant de frapper plus puissamment en un autre point ? Une chose est certaine, ce qui se passe dans le secteur est on ne peut plus inquiétant. Du 6 au 12 janvier, les clochers des villages à proximité du front sont démolis un à un par les Allemands afin qu’ils ne servent pas de points de repère à l’artillerie française. Le général Bapst, qui commande la 72e division, réclame la prise de photos aériennes pour mieux se rendre compte de la situation. Il faudra attendre le 17 janvier pour qu’une escadrille profite d’une journée de beau temps pour photographier une petite partie des lignes allemandes. En effet, les aviateurs n’ont pas le temps de procéder à plus de 14 clichés qu’ils sont déjà pris en chasse par de nombreux Fokker interdisant le survol de leurs lignes. Le commandement sera cependant rassuré par l’examen de ces photographies qui démontrent qu’aucune parallèle de départ n’a été creusée. Il n’en reste pas moins que les bruits d’une prochaine offensive se font plus nombreux et plus insistants. Le 25 janvier, l’attaché militaire de l’ambassade de France au Danemark, doté de grandes oreilles, télégraphie à Paris que de gros rassemblements de troupes sont faits devant Verdun et Arras. De Suisse ou des Pays-Bas, des agents français apportent les mêmes renseignements pris à la source des habitants des régions envahies qui constatent la concentration de nombreuses troupes et de centaines de canons dans le nord de la Meuse. Les trains qui les convoient ont beau rouler la nuit, tous feux éteints, ce grand barnum ne passe pas inaperçu. Pour preuve le journal d’Alfred Richy, un soldat français qui s’est retrouvé piégé derrière les lignes allemandes juste après la bataille des frontières, et qui, caché dans le grenier de la ferme familiale en Meurthe-Moselle durant quatre ans, note à la date du 11 février : « Ils se préparent à lancer une grande offensive sur Verdun21. » Si même un reclus volontaire, dissimulé derrière une montagne de fagots, est au courant de ce que mijote l’ennemi, il est peu probable que Paris ou Chantilly l’ignorent totalement.

Ceux à qui on ne la fait pas, ce sont les poilus en première ligne qui connaissent leur secteur par coeur et qui savent que l’activité du front n’est pas normale. Devant eux, les Allemands travaillent nuit et jour, on entend même le bruit des pelles, des pioches, des voix et parfois même des chants et des rires. Il est vrai qu’à la lisière du bois des Caures les tranchées allemandes sont toutes proches, à une cinquantaine de mètres seulement des Français. Ailleurs, les lignes sont plus éloignées, entre 200 mètres et un kilomètre, ce qui n’est pas grand-chose. Depuis des observatoires camouflés, on repère le passage de caisses d’artillerie, ce qui ne dit rien qui vaille. Le lieutenantcolonel Driant ne se fait pas d’illusions et, dans une lettre du 22 janvier, dit attendre le choc de pied ferme. Au gouvernement, de même, on sait à quoi s’en tenir. « On ouvre de plus en plus les yeux du côté de Verdun ; on sent que le coup approche22 », écrit Herbillon le 28 janvier. Les déserteurs allemands, souvent alsaciens et polonais, confirment que cela va chauffer dans peu de temps, que d’immenses abris bétonnés, des Stollen, ont été construits à proximité des lignes pour y entasser la troupe et que les permissions ont toutes été suspendues depuis le 1er février. Le GQG, pourtant, reste dubitatif.

A Chantilly, personne ne nie les faits. La seule incertitude est de savoir si l’attaque allemande ne cachera pas un plus gros coup en Artois ou en Champagne. Comme on ne veut pas tomber dans un piège, on reste attentif sans trop s’hypnotiser. Signe que le vent a tourné, on ne traite plus le général Herr avec indifférence quand il réclame des renforts, les 16 et 24 janvier. On lui envoie aussitôt la 51e division, et on lui annonce le 7e corps le 11 février. Le 20e corps d’armée est enfin dirigé sur Bar-le-Duc, pour faire face à toute éventualité. L’inertie des bureaux est cependant telle que, par habitude, on continue à désarmer les derniers forts au moment même où ils pourraient être si utiles. Le 30 janvier, douze mortiers de 220 quittent ainsi la région fortifiée de Verdun ! Pressé par des politiques inquiets, Joffre a compris pour sa part que Verdun ne doit pas tomber et que l’intérêt moral prime ici le strict enjeu militaire. Aussi envoie-t-il le général de Castelnau en inspection, le 20 janvier, pour examiner si les défenses de la région fortifiée sont propres à encaisser la ruée. Le chef d’état-major général considère que les premières lignes sont suffisamment organisées mais qu’il est nécessaire de renforcer la seconde position et d’établir des points de résistance à contre-pente. Un régiment du génie est envoyé d’urgence le 1er février pour accomplir en quelques jours ces travaux herculéens que l’on n’a pas eu le temps de faire en un an. Le même jour, pour des raisons de communications et de ravitaillement, Verdun est détaché du groupe des armées de l’Est pour être confié à celui du Centre, commandé par Langle de Cary. Pour Castelnau, qui a quitté le poste de chef du groupe des armées de l’Est pour celui d’adjoint du généralissime depuis seulement deux mois, c’est aussi une façon d’être informé directement par le colonel Jacquand, son ancien chef d’état-major demeuré en place sous l’autorité de Langle.

Le GQG n’est donc pas complètement sourd aux bruits de bottes qui proviennent de la Meuse, mais, entre le 2e Bureau, qui recueille les renseignements et pour qui la bataille ne fait aucun doute, et le 3e Bureau, chargé des opérations, qui trouve plus logique une offensive en Champagne, Joffre hésite. Cette indécision du haut commandement est habilement renforcée par les Allemands qui, depuis le 1er février, attaquent en différents points du front, parfois très violemment, comme à Frise dans la Somme, pour donner le change et semer le trouble. Ils y parviennent assez bien. Devant cette agitation, des généraux s’énervent et réclament des renforts. Pour y voir plus clair, Castelnau envoie un officier en mission à la 6e armée du général Dubois, dans la Somme, du 9 au 12 février. Il en revient avec l’assurance que les Allemands n’attaqueront pas par là, de « faux travaux » destinés à intoxiquer les Français ayant été démasqués. Le 14 février, ce chargé de mission se rend à Avize au quartier général de Langle de Cary qui s’interroge toujours sur le point où l’ennemi fera porter son effort : « Nous sommes à peu près sûrs d’être attaqués, mais nous hésitons entre Verdun et la Champagne. Aussi allons-nous mettre nos réserves en arrière et à égale distance des deux régions, notre attention étant toutefois plus spécialement attirée sur Verdun23. » Le lendemain, l’officier est à Dugny, au QG du général Herr où il découvre, à sa grande stupéfaction, que si ce dernier est persuadé d’être la cible d’un puissant assaut, tout son état-major n’est pas complètement de son avis. Certains officiers se demandent par exemple s’il faut faire confiance à des récits de déserteurs qui pourraient très bien semer des germes d’intoxication en service commandé. Pourtant, à cette date, le doute n’est plus permis et il faut être obtus pour ne pas le comprendre.

 Extrait de "1916 - L'enfer", de Jean-Yves Le Naour, édité chez Perrin, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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