Droits de l’homme, liberté religieuse, démocratie : la face très noire de nos alliés de la coalition anti-califoutraques islamiques<!-- --> | Atlantico.fr
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Droits de l’homme, liberté religieuse, démocratie.. les côtés obscurs de la coalition contre l'Etat islamique
Droits de l’homme, liberté religieuse, démocratie.. les côtés obscurs de la coalition contre l'Etat islamique
©REUTERS/Brian Snyder

Amis encombrants

Les alliés de la France dans son combat contre le Califat islamique ne sont pas tous, loin de là, des références dans le domaine des droits de l'homme. Rigorisme religieux, activisme réprimé ou absence de liberté d'expression, l'écart avec le projet de société des islamistes radicaux qui sévissent en Syrie ou en Irak est souvent bien mince.

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar est géographe, spécialiste des questions de géopolitique et d’éducation. Il est docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne, diplômé du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques et de l’Institut Français de Géopolitique.  

Il a publié récemment l’ouvrage Qatar, une Education City (l’Harmattan, 2012) et dirige la commission Éducation, Programmes FLAM et Francophonie du laboratoire d'idées GenerationExpat.

Il vient de publier, également, L'Algérie Aujourd'hui, aux éditions Michalon (Avril 2014)

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La France a rejoint la coalition contre l'Etat islamique (même si elle a annoncé ne vouloir intervenir qu'en Irak et pas en Syrie). Cependant, si le manque de respect qu'a EI de la vie humaine n'est plus vraiment à prouver, les alliés de la France issus du Golfe persique sont loin, eux aussi, d'être des modèles dans le domaine.  

Arabie Saoudite

Le royaume est depuis longtemps la cible des critiques sur ses manquements nombreux aux droits de l'homme. Les autorités conservatrices du pays sont notamment accusées de bafouer le droit des femmes, de museler la liberté d'expression, de persécuter les activistes politiques et de pratiquer la détention arbitraire et la torture.

En juillet dernier, l'avocat Waleed abu al-Khair a été condamné à 15 ans de prison, plus 15 ans sans pouvoir quitter le pays, et 53 000 dollars d'amende après avoir été reconnu coupable d'avoir critiqué le régime et ses représentants.

L'Arabie Saoudite est aussi l'un des pays les plus actifs dans l'application de la peine de mort. Au moins 22 personnes ont été décapitées sur le seul mois d'août, y compris quatre membres d'une même famille pour des faits de possession de haschisch.

Qatar

L'image du Qatar déjà peu reluisante sur la question des droits de l'homme s'est encore aggravée avec les révélations de centaine de migrants venus du Népal, du Pakistan ou de l'Inde, sur leurs conditions de travail lors des chantiers de constructions des infrastructures pour la Coupe du monde de football 2022. Le secrétaire général de l'International Trade Union Confederation estime même que 4000 ouvriers seront morts sur les chantiers de l’événement avant que le coup d'envoi du premier match ne soit donné.  

Les autorités du Qatar sont également assez peu tolérantes avec l'opposition politique. Mohammed Rashid al-Ajami, un célèbre poète, purge une peine de 15 ans de prison pour avoir écrit un poème critiquant la famille régnante. Des inquiétudes naissent également sur la nouvelle loi qui punit la diffusion de "fausses informations" en ligne, et qui pourrait être détourné pour restreindre un peu plus la liberté d'expression.

Bahreïn

Le royaume sunnite prétend avoir fait des progrès notables sur la question des droits de l'homme depuis les émeutes de 2011 qui ont fait trembler le régime. Un optimisme démenti par les défenseurs des droits de l'homme qui font état d'actes de torture et de détentions injustifiées. En août dernier, l'activiste Maryam al-Khawaja a été arrêtée à son arrivée dans le pays et accusé d'outrage aux forces de l'ordre et d'avoir insulté le roi. Cette militante des droits de l'homme, qui vit à l'étranger, se rendait dans le pays pour rendre une visite à son père, lui aussi militant des droits de l'homme, qui purge une peine de prison à perpétuité pour son implication dans les émeutes de 2011.

Les chiites demandent une meilleure répartition du pouvoir politique largement détenu par les sunnites, et la fin des discriminations. Les révoltes de 2011 ont entraîné la mort d'une centaine de personne et un nombre inconnu de détention arbitraire.

Emirats arabes unis

Le pays est accusé d'un nombre impressionnant de manquements au droits de l'homme avec en tête le travail forcé, la détention arbitraire, la torture, les procès partiaux et la restriction de la liberté d'expression. La situation est même devenu criante aux yeux du monde l'année dernière lors du procès du groupe d'activistes "UAE 94" accusé de compléter contre le gouvernement. Sur les 94 activistes, 69 ont été condamnés à des peines de prison entre 7 et 15 ans. Ce procès a largement été reconnu comme inique et les aveux des accusés le plus souvent obtenus sous la torture.

Jordanie

Le pays s'attire les félicitations pour avoir laissé entrer dans son espace national des milliers de réfugiés fuyant le conflit syrien. Mais tout le monde ne peut pas rentrer en Jordanie : le pays refuse les réfugiés palestiniens et irakiens qui viennent de Syrie. Plus de 100 Palestiniens ont ainsi quitter le pays en 2011 selon Human Rights Watrch. Mais les critiques fusent aussi sur la manière dont les autorités traitent les Jordaniens eux-mêmes. Usage de la torture et détentions injustifiées parmi les groupes activistes seraient des pratiques communes. La liberté d'expression n'est pas non plus la valeur première dans le pays : le rédacteur en chef du journal Jafra News a ainsi été arrêté pour avoir "troublé les relations avec un pays étranger" après avoir publié sur Youtube une vidéo jugée insultante pour l'émir du Qatar.

Atlantico : Les Etats du Golfe ne se distinguent pas par leur respect des droits de l'homme. Les critiques pourtant virulentes qui leur sont faites – notamment vis-à-vis du Qatar futur organisateur de la Coupe du monde, peuvent-elles faire bouger les lignes ?

Mehdi Lazar : Il est certain que "le coup de projecteur" concernant la situation des droits de l'homme dans les pays du Golfe est un moyen de pression important afin de faire évoluer la situation. 

Cela permet d'accélérer la mise en place de réformes dans les États du Golfe, où souvent des bonnes intentions sont affichées mais sans calendrier précis. On assiste donc la plupart du temps qu'à des effets d'annonce, notamment lors de rencontre bilatérales de haut niveau avec de grands États occidentaux ou bien à la suite de faits divers tragique comme on entend régulièrement dans la région.

C'est en ce moment le cas des travailleurs immigrés présents au Qatar sur les chantiers de la coupe du monde. Mais suite aux différents rapports d'organisation des droits de l'homme depuis 2012 et à des articles dans de grands quotidiens tels que le Guardian suivant la mort de travailleurs étranger en 2013, le gouvernement qatari a cet été approuvé de nouvelle mesures visant à améliorer le traitement des travailleurs étrangers sur son sol. De même, le système du parrainage (kafala en arabe, sponsorship en anglais) existe dans l’ensemble du Golfe arabique vient d'être assoupli au Qatar. Il est donc certain qu'il existe un lien entre les enjeux liés à la coupe du monde 2022, les scandales qui éclatent et les réformes qui voient le jour.

Ces pays peuvent-ils assurer un rôle de pivot de stabilité dans la région ? Que peut-on craindre dans la gestion des droits de l'homme dans la région si ces pays sont amenés à gagner en influence ?

Ces pays sont déjà fortement influents dans la région, notamment depuis la séquence des printemps arabes et à la suite de l’affaiblissement ou l'isolement dans la région des puissances traditionnelles: Irak, Égypte, Iran. De là à jouer un rôlr de stabilité, il y a fossé que ces pays doivent accepter de franchir et qui consiste à ne plus supporter (de diverses manières) de mouvements dans des Etats étrangers. de même, d'autres Etats tels que la Turquie ou l'Iran sont très influents au niveau régional.

Cependant, il convient de rappeler que les plus graves atteintes aux droits de l'homme au Moyen-Orient ne sont pas commis dans les pays du conseil de coopération du Golfe et par les pays membres du GCC mais bien dans des États en proie aux déflagration des printemps arabes tels que la Syrie. En outre, dans un certain nombre de pays dans la région, dont l’Égypte, nous assistons à une période contre-révolutionnaire qui entraine des abus massifs concernant les droits humains (voir par exemple les arrestations massives de militants des Frères musulmans ou de journalistes). 

Bien sûr, les États du conseil de coopération du Golfe sont très mal placés en ce qui concerne les droits de l'homme, quels que soient les classements internationaux, et à ils ont d'immenses progrès à faire. La question palestinienne est aussi une question à règler dans la région car elle permet à certains dirigeants de dire que la situation des droits de l'homme n'est pas parfaites chez eux, certes, mais que la démocratie la plus avancée de la zone, Israël, commet aussi des violations graves des droits de l'homme et du droit international dans les territoires palestiniens.

Ces Etats pourraient-ils connaître une vague de détente sur la question des droits de l'homme si l'un d'entre eux voyait les mouvements activistes gagner en influence, eu égard de leur proximité culturelle ?  

Cela dépend de ce que vous nommez mouvement activistes et de qui compose ces mouvements. Théoriquement oui, bien que nous voyions plutôt l'inverse en ce moment car ces mouvement n'ont pas encore assez d'influence pour inverser le rapport de force. Ainsi dans les pays du Golfe ou en Égypte, l'importance prise par la mouvance des Frères Musulmans, seule opposition ou proto-opposition organisée aux régimes en place, a poussé les États égyptiens ou encore l'Arabie saoudite ou les Émirats Arabes Unis à réagir vigoureusement, notamment par des arrestations sur leur sol, mais aussi par une rupture diplomatique avec le Qatar en mars 2014.

Avec un champ politique inexistant (pas de partis politiques, syndicats ou société civile dans la plupart des États du conseil de coopération du Golfe), cela parait difficile d'envisager une plus grande influence de mouvements activistes. La jeunesse et les femmes pourraient être des catégories sociales poussant à plus de réformes, tout comme les nombreux étrangers composant la population des pays du golfe et qui sont indispensables au fonctionnement économique du pays. Cela dit, pour ces gouvernements l'évolution de la situation des droits de l' homme poserait un triple problème à la fois économique, social et politique. Politiquement, une large amélioration des droit humains dans de nombreux États serait une claire menace vers la survie même de ces régimes monarchiques et non démocratiques. De même, la situation économique de ces pays dépend dans une large mesure de la présence de travailleurs immigrés et autant la faiblesse du droit du travail ainsi que le manque d'institutions capables de faire respecter ce dernier, mais aussi les larges profits induits par des abus vis à vis de travailleurs permettent à ce système de continuer. Enfin, il est difficile de faire évoluer un système social inégal lorsqu'il est tant verrouillé. Les forces conservatrices résistent aux changement tandis que de nombreux nationaux de pays du Golfe voient dans le statu quo social un moyen de préserver leur identité qui leur semble déjà fragile face aux mutation économique et démographique si rapides que connaissent ces États.

Je rappelais par ailleurs en février 2013 qu'un ouvrage de Christopher Davidson After the Sheikhs: the Coming Collapse of the Gulf Monarchiesavançait l'argument que vu les facteurs de fragilité internes et externes des États du Conseil de Coopération du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, leur chute pourrait survenir au cours des trois à cinq prochaines années. Ceci pourrait être le cas en raison d'une contestation interne trop importante. Des tentatives ont été vues pendant les printemps arabe, que ce soit au Bahreïn ou en Arabie Saoudite. Cette dernière a d'ailleurs accordé en 2011 le droit de vote des femmes aux élections locales (sans grands enjeux). Ainsi, dans de nombreux États de la région, la frustration des jeunes et des femmes reste réelle et le chômage, la pauvreté, la discrimination entre les hommes et les femmes, la distance entre le régime autoritaire et la jeunesse – en général dans la région 75% de la population a moins de 25 ans –  la censure  sont des facteurs de fragilité importants. De cette contestation spontanée des certaines franges de la population nationales, alliée ou pas aux nombreux immigrés, pourrait aussi venir une évaluation rapide de la situation des droits de l'homme. Mais probablement que certains régimes n'y survivraient pas.

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