20 ans de Friends : derrière les rires enregistrés, l’incroyable acuité sociologique de la série culte<!-- --> | Atlantico.fr
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Friends fête ses 20 ans.
Friends fête ses 20 ans.
©Capture écran Twitter

Phénomène social

La série à succès devenue culte reflète les générations qui passent de l'adolescence et l'âge adulte.

Il y a 20 ans maintenant, les téléspectateurs découvraient Friends sur la chaîne NBC. Rachel, Ross, Joey, Monica, Phoebe et Chandler entraient alors dans l'histoire des sitcoms incontournables. Créée par Marta Kauffman et David Crane, Friends a diffusé son premier épisode aux États-Unis le 22 septembre 1994.

Si le pilote attirait déjà 21,5 millions de téléspectateurs, les auteurs de la sitcom étaient encore loin d’imaginer qu'elle deviendrait un tel phénomène de société. Dix ans plus tard, elle mettait fin à un mythe devant les yeux de plus de 52 millions d’Américains fans, rivés sur leur écran. Mais comment expliquer une telle empreinte sur notre société ?

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D'abord, il est évident que les personnages y sont pour beaucoup. Six héros ordinaires qui ont tous leur particularité, et qui ont la capacité se moquer d’eux-mêmes. Outre leur sympathie, l'environnement agréable dans lequel ils vivaient a aussi contribué à l'originalité de la sitcom. Leur appartement, convivial, chaleureux, mais aussi le café Central Perk qui était leur lieu de rassemblement, et leur lieu de résidence, New York, une des plus belles villes du monde, celle "où tout peut arriver".

Un mariage parfait entre ces éléments, qui explique en partie ce succès. A ce sujet, le journaliste et doctorant en études cinématographiques, Renan Cros, résumait bien cette harmonie : “la série ne nous a pas donné envie d’être ces personnages mais de vivre avec eux”, avait-il expliqué à la conférence de la cinquième saison de Séries Mania.

D'autre part, et surtout, Friends est la seule série qui a réussi à bousculer les normes sociales : les six héros sont parvenus à représenter une nouvelle tranche d'âge où l'adolescence est plus ou moins terminée, et où l'âge adulte, avec toutes les responsabilités qui l'accompagnent, n'est pas pour autant encore atteint.

Comme le souligne Clément Bosqué, bloggeur et auteur de Chroniques sur le cinéma, la littérature et la musique, le groupe de "Friends vit en une petite communauté fraternelle et mixte, dont on retrouve la forme dans les bandes d’amis d’aujourd’hui, qui choisissent de s’associer pour traverser ensemble les turbulences d’une vie adulte dont ils ne sont pas pressés d’embrasser les contraintes".

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"Il y a une identification évidente aux yeux d’une génération, née à partir des années 1970, pour qui le travail ou le mariage ne sont plus ce par quoi l'on se définit principalement, mais les aspects d'une personnalité, un des multiples rôles que l'on joue.

Ainsi, Ross Geller poursuit sa passion de gamin (la paléontologie) en "jouant aux dinosaures", joue à cache-cache lors de colloques et, face à un amphithéâtre rempli d’étudiants, contrefait l'accent britannique outré d'un vieux professeur. Sa sœur Monica Geller, chef dans un restaurant, pour le plaisir enfantin de retrouver une place de bonne élève, au premier rang, s'inscrit à des cours de cuisine de débutant.

Rachel Green, chipie ambitieuse, n'hésite pas à travestir sa personnalité, à minauder et à mentir de manière éhontée pour obtenir ce qu'elle veut. Joey Tribbiani, comédien de profession dans la série et sans doute le plus lamentable acteur de tous, s’invente un CV pour obtenir des rôles, comme lorsqu’il prétend parler le français couramment ("bla blou bli, bleu !") dans une scène d'anthologie.

Phoebe Buffay, elle, vit entièrement dans un univers imaginaire fictif, loufoque et exubérant, qui conjure une enfance passée dans une précarité des plus noires. Elle change son nom à l’état civil en un délirant "Princess Consuela Bananahamac" et revendique des compétences professionnelles (chanteuse, masseuse) des plus discutables. Quant à Chandler Bing, personne ne sait vraiment ce qu'il fait dans la vie (un vague emploi de cadre dans une grande entreprise), ce qui dit assez à quel point il n'aime pas son travail.

Friends met donc en exergue une génération pour laquelle, contrairement au proverbe qui veut qu'il n'y ait "pas de sot métier", tous les métiers sont sots, subvertissant l'injonction millénaire, qu'on trouve déjà chez Hésiode : "Dieux et hommes critiquent la vie oisive de l'homme [...] va travailler " ! (Les travaux et les jours, v. 303-312)".

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D'après Olivier Aïm, maître de conférence au Celsa, "Friends nous présente des personnages à la fois très proches à la fois du point de vue de leur situation sociale, et du point de vue de leur capacité à jouer avec les codes, les normes, les identités sociales. Ils sont un miroir des téléspectateurs jeunes qui cherchent à interroger et à déjouer les catégories sociales. En ce sens, ils ressemblent au jeune public parce qu'ils ont le même regard sur eux-mêmes, y compris lorsque ce regard flirte avec la transgression.

Au fond, les personnages de Friends sont également spectateurs de leurs propres histoires, et en cela proches de leurs téléspectateurs. N'oublions pas que les sitcoms sont tournées comme des pièces de théâtre en direct devant un public. La frontière est alors poreuse entre les spectateurs, les téléspectateurs et les personnages. En France, Friends a sans doute annoncé la pratique contemporaine de la "social tv", dans la mesure où la sitcom se regardait à plusieurs, parfois même lors de soirées spécialement organisées pour l'occasion.  

D'autre part, l'expert voit la sitcom comme une "machine expérimentale des identités et des relations". En effet, pour lui, "Friends met en scène des personnages qui cherchent à "neutraliser" les injonctions sociales, comme aurait dit Roland Barthes. Ce qui nous amuse et nous intéresse dans cette sitcom, c'est le spectacle de cette tentative de neutralisation sociale et morale. Il s'agit d'une neutralisation car elle est au fond temporaire, sachant que, même célibataires et ouverts aux relations sexuelles variées (on a moins affaire à des fucking friends qu'à des friends parfois fucking), les personnages tendent tous vers le modèle malgré tout classique, d'aucuns diraient conservateur, du mariage et des enfants". 

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Le final de Friends, diffusé le 6 mai 2004, permettait à la série de créer son propre mythe. Pour ses fans, c’était une façon de dire au revoir à ces personnages attachants, qui, pour une génération, ont accompagné ce fameux passage douloureux de l’adolescence au monde adulte.

Une analyse que partage Clément Bosqué : "Les personnages de Friends incarnent à merveille cette enfance prolongée, dont on ne sort qu’à regret. A la fin de la série, la scène où le poussin et le caneton domestique sont enfermés dans le baby-foot de Joey et Chandler et doivent en être délivrés à coup de hache est une belle métaphore d’une éclosion, peut-être, à l’âge adulte de nos deux compères(..).

Friends, c'est la permanence de l'enfance éternelle face aux aléas de la vie. Permanence de ce canapé dans lequel les personnages s'affalent, comme chez eux, et qui comme dans tant d’autres sitcoms fait miroir au canapé dans lequel on suppose le spectateur installé. Permanence attachante de cette situation : on est assis au salon avec quelques amis, on prend de leurs nouvelles à tous, on rit des épreuves et d'une vie parfois absurde (you're life's a joke, you're broke, chante le générique, "ta vie est une blague, t’es fauché").

Des soirées entières sont passées de la sorte sur des canapés, dans une configuration proche de celle de la série, à se remémorer et à rejouer les meilleures scènes. A quoi s’ajoute, pour les plus jeunes spectateurs, le charme désuet des années 90, tandis que les aînés y retrouvent le look et l’ambiance de leur enfance". 

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